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Jeunes émeutiers I Un ras-le-bol amplifié par un mal-être social ambiant

Jeunes émeutiers I Un ras-le-bol amplifié par un mal-être social ambiant

Société | -   A.S. Kemba

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Al-watwan est allé à la rencontre hier de ces jeunes en colère, qui disent vouloir en découdre avec les forces de l’ordre, pour comprendre leurs motivations profondes au-delà de leurs récriminations immédiates. Les profils des émeutiers sont différents mais la revendication reste la même : «faire face à ceux qui ne nous donnent pas la chance de vivre comme les autres». Les émeutiers disent être prêts à entretenir des troubles, casser et mettre le feu, quitte à y laisser la vie, pour vider une souffrance inhérente à une vie de misère silencieuse.


Le ras-le-bol exprimé ces dernières quarante-huit heures par les jeunes émeutiers cache des revendications sociales qui s’entremêlent avec les contestations des résultats du double scrutin du dimanche 14 janvier. De nombreux jeunes rencontrés au nord comme au sud de la capitale ont la voix haute lorsqu’ils parlent du vote et surtout des chiffres publiés la veille par l’instance électorale. Mais au bout de quelques minutes de discussions avec certains jeunes, l’épisode des résultats laisse place à un long épilogue entremêlé d’anecdotes personnelles sur leur vie et leur avenir.

Pauvreté, chômage et mal-être social

Les échanges résument au bout du compte des revendications sociales profondes chez ces jeunes. Certains ont refusé de nous parler. Deux jeunes ont par contre accepté de nous parler séparément sous anonymat. L’un de ces émeutiers s’appelle A (**). Il a quitté l’école en classe de seconde et survit grâce à des petits boulots. Il vit au sud de Moroni. Il explique comment il a décidé de joindre les manifestants aux alentours de 11h au sud de la capitale. «Moi, j’ai entendu les gens courir, j’ai pris peur mais en montant vers Caltex, j’ai vu des personnes bien déterminées, je suis allé chez moi pour changer les habits, mettre des baskets et rejoindre le mouvement», dit-il. «Ma demi-sœur m’a dissuadé de rester à la maison mais je ne lui ai même pas répondu», ajoute le jeune qui a rappelé bien que la route menant Caltex au Stade Baumer était comme «une zone de guerre» entre des jeune manifestants et des agents des forces de sécurité déployées en renfort.


Âgé de 23 ans, A (***) fera partie du premier corps des émeutiers formé dans la zone du sud de Moroni, comme il le dit lui-même. «Il y avait du gaz partout mais nous avons tenu tête d’abord à la police puis au PIGN pendant de longues heures», dit-il, sans aucun remord. Le jeune dit apporter son soutien à tous ceux qui cassent et qui bloquent les routes. «Ce n’est pas moi qui ai mis le feu à Asgaraly mais je soutiens celui qui l’a fait car nous en avons marre de ce pays qui fait rien pour nous», lâche-t-il. «Vous croyez que c’est une vie, beaucoup de jeunes vivent mal, pas d’emplois, pas d’avenir, ces gens qui nous gouvernent ne pensent pas à nous », ajoute le jeune de 23 ans qui déplore les interventions jugées musclées des forces de sécurité dans certains habitations.


L’autre jeune qui se nomme M (***) de nature timide cache une rage contre ceux qui l’ont plongé dans la misère, sans les citer. Natif d’une localité du nord de Ngazidja, M (***) a 25 ans. Il a quitté l’école en classe de quatrième. «J’étais au collège Mboueni, mais juste quelques années. Et puis, j’ai quitté l’école, je bricolais, je gagnais de l’argent, gauche à droite mais ces dernières années, la situation cloche. Et il y a rien», dit-il. «Nous savons tous que tous les hommes politiques sont les mêmes. Mais si mon candidat avait gagné, j’allais avoir de l’espoir, retrouver mon petit bricolage et vivre bien comme entre 2017 et 2019. Mais il n’a pas gagné l’élection, on nous a volé le vote. Je suis désespéré, pas d’avenir et j’ai suivi les casseurs, je m’en fous ».


Au-delà des revendications post-électorales et des affinités directes ou indirectes avec des candidats, ces jeunes se sentent abandonnés à leur sort par un système censé leur protéger, selon eux, contre un mal-être social dont ils se disent victimes. La pauvreté, le chômage, le manque de perspectives les transforment en bombes humaines. Ils disent lutter contre «ceux qui ne nous donnent pas la chance de vivre comme les autres ». Un langage du désespoir qui nourrit une haine profonde contre l’Etat et ses institutions. «Notre objectif est de faire faire face à ceux qui ne nous donnent pas la chance de vivre comme les autres. Nous vivons mal, nous souffrons», fulmine A (***) qui dit avoir tenté de quitter le pays à deux reprises. «Ça n’a pas marché, il fallait beaucoup de moyens, je n’en avais pas», justifie-t-il.

Une même frontière idéologique

Les uns tout comme les autres, quelles que soient leurs positions, partagent la même frontière idéologique et sont prêts à rééditer les mêmes scènes. «Nous descendrons aussi longtemps que cela sera nécessaire si les conditions le permettent, nous sommes révoltés contre ce pays», ajoute M (***). A la question de savoir s’il y a des hommes politiques qui tirent les ficelles, il répond négativement à travers un signe de hochement de tête. Il persiste sur sa survie et une forme d’insatisfaction personnelle. «La vie est dure, les prix, pas de boulot, se réveiller sans même savoir de quoi manger la journée, c’est la plus terrible des souffrances», reconnait M (***) qui a déménagé plusieurs fois chez des copains à « Cambodge », un quartier de fortune qui concentre aujourd’hui l’essentiel du plan des opérations de patrouille des forces de sécurité.


Ce combat pour la survie, on l’entend aussi dans la bouche de jeunes cagoulés qui ont paralysé les quartiers nord de la capitale, à la Coulée, à Sahara et surtout sur le long du boulevard qui mène du rond-point de la Coulée à Dar-Saanda. On entend de slogans comme « Rilemewa (on est fatigué) » dans le langage de ces jeunes désespérés ou encore « on en a marre de vivre comme ça ». Ces émeutiers ont en commun un pacte non écrit pour lutter contre un système qui, selon eux, ne leur garantit pas un avenir radieux.Ces jeunes, sans repères, virent à la violence à la moindre occasion. Un naufrage social profond qui pousse ces gosses à se faire enrôler par n’importe quel mouvement pour vider une colère nourrit par une souffrance inhérente à une vie de misère silencieuse.

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