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Journalisme I Comment mettre fin à l’anarchie et réguler le métier ?

Journalisme I Comment mettre fin à l’anarchie et réguler le métier ?

Société | -   Abdallah Mzembaba

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S’il y a bien un sujet sur lequel les autorités, les journalistes et l’ensemble des acteurs du monde des médias partagent le même avis, c’est l’anarchie qui gangrène le secteur. Laisser-aller, manque d’encadrement, arrêt de l’attribution de la carte professionnelle, Cnpa jugé moins présent dans son rôle de régulateur, sont quelques-unes des causes citées, lesquelles apportent leur lot de malheur à un métier jadis noble, mais qui dans le pays, peine à prendre son envol. L’adoption du Code de l’information le mardi 8 juin dernier est perçue comme une lueur d’espoir. Reste désormais qu’il soit promulgué par le chef de l’Etat et mis en application.

 

Syndicat national des journalistes aux Comores (Snjc), ministère de l’Information, médias et journalistes soutiennent que le métier de journaliste dans le pays souffre d’un laisser-aller qui le discrédite. «La presse n’est pas structurée, tout le monde se dit journaliste. Chacun se permet, comme dans la religion, de s’autoproclamer devin et faire ce qu’il veut. La situation s’est empirée avec les téléphones et les réseaux sociaux. Dans les radios, on choisit les «animateurs de Twarab» et puisqu’ils sont éloquents, ils ont un auditoire», se plaint Ibnou Mohamed, responsable de la programmation Rtmc (Mbeni).

D’autres réalités

Au Conseil national de la presse et de l’audiovisuel (Cnpa), son président, Mohamed Boudouri, ne parle pas d’anarchie, mais d’une nouvelle forme de diversité et de pluralisme à restructurer et à encadrer. Le souci, selon lui, c’est le contenu et le fait que le «journaliste abuse» et non autre chose. A cela «s’ajoute d’autres réalités jusqu’ici inédites dans notre pays comme les réseaux sociaux. Il faut poser le débat, tout détenteur d’un téléphone n’est pas journaliste», explique Mohamed Boudouri pour qui les «journalistes professionnels doivent se démarquer par la collecte et le traitement de l’information puisque le cas échéant ça décrédibilise leurs médias et renforcent les personnes qui sont sur les différents réseaux sociaux et qui se sont autoproclamées journalistes».

 


Un avis que partage Chamsoudine Saïd Mhadji, président du Snjc pour qui «l’anarchie réside surtout sur les réseaux sociaux». Mais pour lui, le débat est aujourd’hui très clair puisque le code définit qui est journaliste et qui ne l’est pas (voir notre encadré). «Nous allons donc nous en tenir à cette définition, seulement le texte doit être promulgué par le chef de l’Etat d’abord». En effet, avec l’adoption du Code de l’information, cela va «être régulé puisque les médias sont contraints de s’enregistrer au Cnpa. Et les médias qui refuseront de se plier à cette règle verront leurs journalistes retirer de la liste des membres du Syndicat des journalistes».

 

Conscient que certaines pages Facebook, pourvue d’un auditoire conséquent, pourraient ne pas se plier à cette demande, le mouvement syndical ne compte pas s’arrêter là. «Il nous faudra, nous journalistes, mener ce combat. Si nous nous rendons à une conférence de presse par exemple et que certains acteurs des réseaux sociaux sont là, le conférencier devra faire un choix entre eux et nous», déclare le président du Snjc, qui voit là un moyen de contrecarrer ceux «qui s’autoproclament journalistes».


Pour le ministre de l’Information, Ahmed Ben Saïd Jaffar, les personnes-ressources ont le droit de convier le plus de personnes capables de relayer leur message. Il faut, par contre, une fois l’événement terminé, faire comprendre au conférencier, ministre, président ou autre, la nécessité de trier les journalistes et l’orienter pour qu’il comprenne l’importance du professionnalisme dans le secteur.

En attente de la promulgation

Et comme le patron du Snjc, Ahmed Ben Saïd Jaffar salue l’adoption du Code de l’information qui est «l’outil fondamental sur lequel s’appuyer». Aujourd’hui, «on assiste de façon un peu impuissante, à ce foisonnement de journalistes, certains relevant du métier et d’autres qui s’improvisent journalistes, et ça passe au niveau de l’opinion puisque, dès fois pour ne pas dire souvent ils sont mieux suivi que vous, journalistes professionnels. Là-dessus il n’y a rien d’étonnant dès lors que nous sommes en fait issue d’une société à tradition orale».


Dès lors, le Code de l’information «va permettre de faire de cette réorganisation une réalité parce que cacophonie il y a. Le code est un cadre juridique et règlementaire et il va permettre de poser les bases, les limites et les conditions du métier. La réponse à l’anarchie est de s’en tenir au code». Le ministre de l’Information affirme tout de même qu’il faut au préalable effectuer un travail en amont et «cela passe d’abord par sa promulgation.

 

Une fois cette étape franchie, il nous faudra nous en approprier pour qu’il en soit décliné en actes. Le ministère que je dirige dispose d’une direction générale de l’information. Cette dernière devra travailler avec tous les acteurs du secteur pour que le code soit mis en œuvre et cela concerne plusieurs choses dont celles externes comme le fait que nous sommes dans une société à tradition orale».

 

Dans le même sens, «la loi sur la cybersécurité et la cybercriminalité est une avancée significative et peut servir de base pour lutter contre l’anarchie qui règne sur les réseaux. Cette loi complète le Code de l’information. Il y a aussi une loi sur la protection des données à caractère personnel. Ce texte existe, mais a été révisé et n’est pas encore adopté. Nous espérons qu’il sera voté lors de la prochaine session parlementaire», assure Ahmed Ben Saïd Jaffar.

 

Membre de l’Observatoire de la déontologie des médias, Idjabou Bakari propose lui d’apprendre «aux utilisateurs des médias à faire la distinction entre journalistes, qui sont des professionnels de l’information et les personnes qui interviennent dans les médias sociaux. Pour les journalistes, le problème est structurel. On peut difficilement parler de professionnalisme sans des entreprises qui emploient des salariés, sans des rédactions par exemple au niveau de beaucoup de radio».

Le rôle du Cnpa

Dans sa lancée, il affirme qu’avant «se posait la question de la formation des fondamentaux du journalisme, une question réglée en partie par le passeport du Centre de formation et de perfectionnement des journalistes comoriens. Maintenant, il faut parvenir à exploiter ce minimum acquis et l’améliorer avec les bonnes pratiques. Ce qui est possible dans les rédactions avec l’implication des responsables d’édition ou de publication. Cet apprentissage par la pratique est effectif dans la presse écrite et dans les médias publics».


L’intéressé pointe également du doigt le Cnpa et son rôle de régulateur. «Il me semble que le régulateur est peu présent, non pas dans la répression mais dans la prévention et la sensibilisation des patrons des médias. Des patrons qui doivent veiller vraiment aux contenus diffusés ou publiés par leurs médias. Il ne faut pas oublier que leur responsabilité est engagée», déclare-t-il.


Mais pour Mohamed Boudouri, «le Cnpa a été renforcé et peut mieux que jamais jouer son rôle de régulateur». Et le président du Cnpa revient sur la nécessité de la carte professionnelle. «Elle fut un temps distribuée puis faute de moyens, elle ne l’est plus». On apprendra que la fameuse carte «devait être financée à travers les publicités d’Al-watwan et de l’Ortc, les dirigeants étaient d’accord, mais le projet n’a pas survécu». Et pourtant, comme le président du Cnpa, d’autres acteurs du secteur sont formels sur le fait que la carte serait la bienvenue pour mettre de l’ordre dans «cette cacphonie».

 

C’est en effet ce que croit Toufé Maecha, journaliste à La Gazette et président de la section comorienne de l’Union de la presse francophone. «Je pense que le Cnpa doit reprendre les séances d’attribution de la carte de presse, laquelle séance n’a eu lieu, hélas, qu’une seule fois. C’est ainsi que débutera la fin de l’anarchie, quand on distingue le journaliste professionnel (le stagiaire y compris) de l’amateur». Un avis que partage Ibnou Mohamed, qui implore le Cnpa à se pencher sur la question et à évoquer les difficultés liées à la carte professionnelle.

Manque de valorisation du métier

Au ministère de l’Information, Ahmed Ben Saïd Jaffar explique que pour la carte, ce n’est pas qu’un problème de budget. Le ministre parle d’une situation qu’il connait pour l’avoir vécu en tant que directeur de l’Ortc. «Nous avons, d’une manière ou d’une autre, contribué à rabaisser la profession. Quand un responsable de l’Ortc comme moi, décide de recruter des gens qui ne sont pas du métier, c’est rabaisser la profession.

 

Je l’ai fait comme tant d’autres, parce que je le voulais ou parce que d’autres me l’ont demandé. Ce n’est pas normal, mais en ce qui concerne la carte professionnelle, on a tenu des réunions, lorsque j’étais à l’Ortc, avec le Cnpa pour parler de la professionnalisation du métier avec l’attribution de la carte de presse. Seulement, très peu des agents exerçant dans la profession ont accepté de suivre la formation proposée par le Cnpa pour l’attribution de cette carte et des sanctions ont même été prises contre certains d’entre eux», affirme Ahmed Ben Saïd Jaffar.


Et «ce problème n’est pas valable seulement à l’Ortc, mais également dans tous les organes de presse. Et là-dessus il y a un problème et un travail doit être fait sur ce niveau. C’est le rôle que doit jouer le Cnpa, une fois identifié ces problèmes proposer des solutions afin de les résoudre. Je pense donc qu’il ne s’agit pas seulement d’un problème de budget. Il y a tout un travail de sensibilisation, d’information et de communication qui doit être mené par le Cnpa pour pouvoir accorder cette carte».
Quant à ceux qui «s’autoproclament journaliste, ça serait un moyen pour eux de se conformer au métier et ainsi obtenir la carte. Seulement, quand on leur parle d’évaluation afin que des formations leur soient soumises, ils refusent. Cette carte va s’imposer et il faudra s’y conformer».


Aujourd’hui avec le code, en plus des médias publics principaux, ceux du privé vont bénéficier de subventions et le montant pourrait être revu à la hausse si les résultats sont satisfaisants. Les résultats en question ce sont «le professionnalisme et la qualité du travail produit», selon le ministre de l’Information.Le confrère de La Gazette des Comores, Toufé Maecha lui, croit savoir que «conséquemment à cette attribution des cartes professionnelles, le travail de l’Observatoire de la déontologie des médias, cet organe nouvellement créé et présidé par l’illustre Ali Moindjie, va marcher comme sur des roulettes».

 

 

 

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