«Le rôle des médias dans la promotion des sociétés pacifiques, justes et inclusives». C’est sous ce thème que le monde entier a célébré hier, mercredi 3 mai, la journée internationale de la liberté de la presse. A Moroni, une centaine de journalistes ont défilé de la gare Karthala, desservant le Sud de Ngazidja, à la Place de l’indépendance, pour marquer cette date.
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Le 3 mai est souvent l’occasion pour les journalistes de «célébrer les principes fondamentaux de la liberté de la presse, d’évaluer l’état de l’exercice du métier, de défendre les médias des attaques contre leur indépendance et enfin de se souvenir des journalistes tués dans l’exercice de leur métier».
Dans une déclaration, lue hier, au cours d’un bref rassemblement Place de l’indépendance, Moina Halima Marguerite, journaliste à Radio Ngazidja, a déclaré que le thème retenu cette année correspondait aux contraintes actuelles du journalisme comorien, confronté à la forte concurrence des réseaux sociaux et à la gestion d’un flot continu d’informations.«La haine, les conspirations, le mensonge, l’amateurisme ont cédé la place à la vérité, l’investigation et le travail professionnel», dira-t-elle.
Et de souligner le rôle du «journalisme libre, pluraliste et indépendant» dans l’accès à l’éducation, à l’inclusion sociale ou encore à la paix. Pour Moina Halima Marguerite, «les médias ne peuvent assurer l’application et le respect de l’État de droit, soutenir le programme conduisant à l’émergence des Comores que lorsqu’ils sont libres, indépendants et pluralistes.
A cet égard, le journalisme d’investigation a un rôle crucial à jouer, en dévoilant la corruption politique et économique». Elle a ensuite souligné «l’environnement particulièrement précaire» dans lequel évolue la presse comorienne.
Difficultés financières, rétrécissement progressif de l’espace de liberté, agressions physiques et verbales, autant d’obstacles auxquels se heurtent les journalistes dans l’exercice de leur profession. Elle a cité l’exemple du chroniqueur sportif d’Al-watwan, Elie-Dine Djouma, qui a été récemment pris à partie au stade de Moroni pour un article datant de….2015. A cela s’ajoutent les pressions, directes ou indirectes, des autorités, qui «confondent gravement la mission du journaliste d’informer, avec la communication et la propagande».
Dans sa déclaration en langue nationale, le Rédacteur en chef du journal Al-watwan, Mohamed Inoussa, a déploré les multiples atteintes à la liberté de la presse aux Comores. Il a, en outre, insisté sur la formation des journalistes, condition sine qua non pour rendre la profession plus crédible et limiter les dérapages.
Il a enfin rendu un vibrant hommage à deux journalistes comoriens : Saminya Bounou, ex-rédactrice en chef d’Al-watwan, aujourd’hui malade, et Abou Cheikh, décédé le lundi dernier à Paris.
Réactions : Que pensez-vous de la liberté de la presse aux Comores ?
Hadji Hassanali, directeur de publication de «La Tribune des Comores »
«Contrairement aux éditions précédentes, la journée d’aujourd’hui (hier, Ndlr) est un succès. Il faut noter que c’est une lutte continue et nous ne devons en aucun cas baisser les bras pour que le journaliste comorien puisse travailler en toute sécurité. J’aimerais également souligner que la presse comorienne enregistre d’énormes avancées de façon générale, même si les obstacles à surmonter ne manquent pas. Aujourd’hui, il n’y a aucun journaliste derrière les barreaux ; c’est quand même un grand pas. Moi-même j’étais écroué plusieurs fois juste parce que je refusais de révéler les sources de mes informations. L’un des défis majeurs de la presse, c’est le manque de formation.»
Maoulida Mbaé, journaliste à La Gazette des Comores
«Je regrette que les hommes politiques, que ce soit du gouvernement ou de l’opposition, n’aient pas honoré cette journée. (…) Nous sommes ici pour faire le point sur les progrès enregistrés dans notre métier.
Les gens doivent se détromper et comprendre que nous ne sommes pas leurs ennemis ; nous voulons, nous aussi, aider notre pays à se hisser parmi les pays démocratiques. Nous avons un rôle majeur dans le développement et la construction de notre pays. Le journalisme est un métier noble et j’appelle mes collègues à respecter les règles et la déontologie de notre profession.»
Faissoil Mohamed, journaliste à Radio Océan indien.
«Je pense que la journée s’est plutôt bien déroulée. La présence des responsables des organes de presse nationaux est un signal fort, qui montre leur attachement à la liberté de la presse. Les doyens de la profession étaient aussi avec nous ; cela nous a beaucoup marqués et nous donne envie de continuer. Mais, nos conditions de travail sont difficiles. Nous sommes victimes souvent d’agressions physiques alors que nous travaillons sans relâche pour informer la population. Je crois qu’il est grand temps qu’on accompagne les médias comoriens et qu’on leur offre les moyens nécessaire de s’épanouir.»
Idriss Mohamed, comité Maoré
«Après cette journée, j’ai deux sentiments contradictoires. D’abord, je ne saurais qu’exprimer ma déception du fait que l’on ait abandonné ces journalistes au lieu de les encourager pour ce qu’ils accomplissent. Car un pays démocratique se doit d’aider les journalistes afin qu’ils soient capables d’informer la population. Même si ceux-ci travaillent inlassablement pour fournir des informations crédibles et pertinentes, je suis un peu déçu du fait que certains sujets passent inaperçus et ne sont pas traités par des les médias de peur d’être incarcérés. Pourtant, ils doivent savoir que l’indépendance ne tombe pas du ciel.»