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Justice-Kwasa Kwasa I Le premier procès des passeurs ouvert au Tribunal de Moroni

Justice-Kwasa Kwasa I Le premier procès des passeurs ouvert au Tribunal de Moroni

Société | -   Faïza Soulé Youssouf

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Des passeurs ont été jugés pour la première fois pour « trafic illicite de migrants (***) » ou encore « homicides involontaires » présumés. Les dénommés «Jack Bauer et Ziba », tous deux originaires respectivement de Koni Djodjo et de Sima ont ouvert le bal.

 

C’est un procès inédit qui s’est ouvert hier au Palais de justice de Moroni. Pour la première fois, des audiences contre les faits de «trafic illicite de migrants» ont été organisées au Tribunal de première instance de Moroni. La salle d’audience a été presque pleine. Pour cette affaire, il n’y a que deux prévenus. L’un, surnommé « Ziba », jeune trentenaire demeure debout tout au long du procès. Bigame, il assure avoir 10 enfants, il est de Koni Djodjo. Le second, un quinquagénaire, dénommé «Jack Bauer», qui vient de Sima, malade, la voix tremblante a obtenu une chaise. Lui, a 7 enfants. Les deux sont poursuivis pour «homicides involontaires, trafic illicite de migrants (dont la loi a été promulguée en juillet 2024) et contrebande de cigarettes » présumés.


Il leur est reproché également la mort et la disparition de plusieurs passagers qui cherchaient à se rendre sur l’île comorienne de Mayotte en 2019 et 2021. «Pourquoi êtes-vous dans cette salle d’audience », demande le président du Tribunal à Ziba. Celui-ci lui répond : « j’ai été arrêté à Koni Djodjo peu après la prière du maghrib. J’ai ensuite été transféré à Mutsamudu durant 16 jours où j’ai été copieusement torturé ».Le président se tourne alors vers l’autre prévenu, Jack Bauer. Celui-ci, visiblement malade, est aussi très agité. « En 2011, je transportais des passagers vers Mayotte, je le reconnais mais c’est fini tout ça », jure-t-il. Il poursuit : « j’ai connu les affres de la prison à Mayotte, et ça m’a calmé ». Seulement, un événement le contraint à reprendre cette activité. Il s’agit d’un accident de la route. Sa mâchoire est fracturée. Il fallait rapidement le transférer à Mayotte.


«C’est Moustadrane Abdou et son frère qui travaillent aux Travaux publics à Anjouan qui m’ont ordonné de le faire », assure-t-il, la voix toujours vacillante. Me Tadjidine Ben Mohamed, avocat de la Défense lui demande alors s’il avait déjà évoqué cette histoire devant le juge d’instruction. Et Bauer de s’écrier : «oui, bien sûr que oui». Et le conseil de demander au tribunal «pourquoi le président de l’Assemblée nationale n’a jamais été auditionné par le juge».

Le délit de trafic de migrant, principal enjeu du procès

C’était un procès particulier, entouré d’anecdotes : Mayotte, l’île d’arrivée « des migrants », fait partie intégrante de l’archipel des Comores, selon la loi comorienne et le droit international. «Mon pays, clame Jack Bauer, est composé de 4 îles. Je n’ai fait que transporter que des Comoriens», a-t-il souligné.Ziba, lui, s’est emmêlé les pinceaux. Au début, il assurait n’avoir jamais mis les pieds dans l’eau, allusion faite aux opérations clandestines incriminées par la justice. «Je suis paysan», dit-il. Ensuite, le ministère public lui tend un piège et il s’y engouffre et il indique avoir été « pêcheur». Lui, assure ne pas connaitre d’étrangers. «Mon rôle consistait à trouver des clients pour la traversée mais généralement, ils provenaient de mon entourage proche», a-t-il détaillé.


Le parquet refuse de se laisser conter. Ce procès, il veut en faire un exemple. Dans ses réquisitions, il insiste sur les victimes de la traversée. Ici, il s’agit du naufrage « de kwasa en 2019 et 2021 ». Plus « de 15 morts ».Le ministère public a exhorté les familles à ne pas accepter de payer les traversées périlleuses en mer. «Les faits sont constitués. Je demande 5 à 10 ans de prison, dont 5 fermes et 5 millions d’amende chacun ainsi que leur maintien sous mandat de dépôt », se basant sur des dispositions du code pénal et de la loi sur le trafic illicite des migrants.


Fahmi Said Ibrahim, autre avocat de la défense, juge «sévère le réquisitoire», surtout que, selon lui, «le délit de trafic de migrant n’est pas constitué». Sur un angle plus politique, il a rappelé que «les 5 constitutions du pays ont toutes mentionné que Mayotte est comorienne et que l’on ne peut en aucun cas parler de migrants». Son confrère, Me Tadjidine Ben Mohamed, a, lui, évoqué « la prescription des faits ».La décision est mise en délibéré au 10 octobre. Le mandat de dépôt est maintenu pour les deux prévenus.

(***) : Al-watwan ne reconnait pas le terme « migrants » en parlant des Comoriens souhaitant se rendre à Mayotte. Le terme est autorisé seulement dans le journal lorsqu’on parle d’individus (hors nationalités comoriennes) venant notamment des autres pays d’Afrique en transit dans l’archipel avec souvent la complicité de Comoriens.

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