Abdou elwahab Moussa, avocat au barreau de Moroni
«La relation entre le service public de la justice et l’usager se détériore de jour en jour. Elle se distancie de plus en plus. Il faudrait un travail de rapprochement et de pédagogie mené par les magistrats pour renouer avec le justiciable et réinstaurer un climat de confiance. Il y va de l’intérêt du pays.Il faut initier des journées portes ouvertes aux usagers pour qu’ils comprennent le fonctionnement de la justice. Il faut aussi que les mairies ouvrent des services d’aide juridique afin de permettre aux citoyens qui ont un rapport avec la justice d’avoir ce concours en amont et cela permettra leur compréhension des mécanismes juridiques et ça aidera à instaurer un climat de confiance. Il est vrai que le fonctionnement de l’appareil judiciaire n’aide nullement à instaurer un climat de confiance mutuelle.
Le service public de la justice est coûteux. Les délais pour rendre les décisions sont longs. La relation entre magistrat et usager n’est guère meilleure.
Et même les mécanismes de fonctionnement du service public, sont inconnus du public. Le service n’est pas déployé sur le territoire, mais concentré dans les chefs-lieux des îles. Dans le même temps, l’accueil de l’usager n’est pas très bon et l’information pas très bien donnée.En somme, il y a un fossé entre le service public de la justice et l’usager. Ainsi, tant qu’un climat de confiance ne sera pas réinstauré, il y aura un très grand risque pour le peuple de ne pas croire à la légalité, à l’impartialité et à l’équité des décisions judiciaires.Et le risque de tomber dans la violence existe. C’est sous-jacent, tant qu’on ne fait pas confiance à la justice étatique, on se fait justice soi-même».
Mahamoudou Ali Mohamed, président de l’Alliance nationale des libéraux pour les Comores (Anc)
«C’est bien un sombre tableau qu’offre la justice dans notre pays. Il y a eu beaucoup de désillusions à mettre sous le compte de la justice. Moi-même, j’en pâtis. Une faible confiance qui se justifie par le vécu. Rare de trouver une famille qui n’aurait pas d’histoire à partager sur le sujet. Notre justice arriverait en premier dans les institutions à l’égard desquelles les Comoriens ont le plus de méfiance. Mais il faut toujours s’adresser à la justice et bannir l’idée de se faire justice soi-même, bien qu’il y ait une problématique : longs délais pour répondre à la demande du justiciable, réelle inaccessibilité aux conseils juridiques pour des coûts élevés et surtout des juges pas à leur place. Il y a aussi l’application des peines qui est un service presque inexistant chez nous dans le formalisme et dans la pratique. Le citoyen s’en remet aux huissiers qui se démènent avec leurs faibles moyens.
C’est encore plus compliqué lorsque l’on va au bas de l’échelle sociale, car pauvre ou pas connue. Et n’ayons pas peur de le dire, notre justice est en proie à la corruption. Autre constat, l’omniprésence de l’exécutif dans les affaires judiciaires. Notre exécutif répondra peut-être que nous avons tous les textes prouvant le contraire. En effet, mais ceux qui dirigent l’État ne donnent pas les latitudes pour les appliquer. L’influence du pouvoir exécutif se manifeste par un contrôle accru commençant par la carotte des décrets de nomination des magistrats. Avec ce marchandage, l’exécutif a perdu sa fonction première qui est de rendre la justice. Cela ne contribue pas à renforcer un État de droit, et n’aide pas à rétablir ni restaurer dans le pays la confiance des citoyens. C’est le développement social et économique du pays qui en pâtit. Notre justice doit nous sécuriser, assainir le climat des affaires et favoriser l’activité économique et non se contenter de produire des textes et de créer des commissions».