Je dois poser la questions car il ne se passe pas une journée, un féminicide, un viol, un harcèlement sexuel sans que je me pose la question : comment supporter les insupportables ? Ces hommes. Leur lâcheté. Vous les verrez détourner le regard pour ne pas voir vos larmes. Ou fermer les yeux devant les injustices que nous affrontons. Ils sont aussi culottés, il faut le reconnaître. Ils mentent avec une confiance si tranquille qu’elle impose le respect.Pourtant, pouvez-vous me citer une chose plus fragile que l’égo masculin?
Avez-vous la moindre idée des trésors d’imagination auxquels il nous faut ressortir pour pré- server l’ego démesuré (et néanmoins fragile) des hommes? Nous gagnons moins, avons moins de masse musculaire, sommes reléguées derrière eux et nous devons quand même nous rabaisser pour ne pas apparaître comme trop imposantes. Combien de fois sommes-nous suivies, harcelées, menacées dans la rue?Innombrables. Les rares personnes à intervenir ? Des femmes, toujours.
Le courage, c’est de naître femme et de questionner toutes les injonctions assignées à notre genre. Le courage c’est de s’élever contre un homme et l’envoyer balader sachant que devant un juge notre parole ne pèse rien, sachant qu’avec ses mains il peut nous anéantir. Amis ou ennemis, les hommes ? Peu importe. N’attendez pas d’eux une oreille compatissante.
Suis-je la seule femme adulte à même questionner la sincérité de leur amitié? Suis-je la seule à appréhender chaque interaction avec un inconnu ? À questionner ses intentions, ses motivations à prier pour ne pas avoir à repousser des avances, à ne pas devoir rire à des blagues sexistes ou feindre un intérêt poli ? Est-ce normal d’en arriver à craindre quotidiennement leurs propos déplacés, leurs mains baladeuses ? Combien de fois, sur quel ton doit-on dire “non” pour que vous compreniez “NON” ? Doit-on pleurer ? Doit-on crier ? Doit-on le dire d’un ton léger ? “NON, merci”. “Merci” oui, car nous remercions nos divers agresseurs.
Nous nous excusons aussi. “Désolée” de ne pas être sexuellement disposée. “Désolée” de vouloir occuper l’espace public sans être importunée. “NON”. “MERCI”. “DÉSOLÉE”. Mais pardonnons-leur car ils ne savent pas. Ils ne savent pas que leurs mots tuent. Leurs mots comme leur silence. Ils ne savent pas alors pardonnons-leur. Ils ne savent pas mais ils croient savoir et ça c’est impardonnable. Pardonner aux hommes le regard incrédule, le sourire entendu, le torrent de mots qui jaillit de leur bouche avant que vous n’ayez eu le temps d’aligner les fragiles confidences issues d’une féminité blessée. Ont-ils seulement un cœur? On pourrait en douter, ils sont si cruels, en amour comme à la guerre. Ce dont on est sûr c’est qu’ils ont un corps. Le nôtre donne la vie, le leur la mort. Comment les aimer? Dénoncer nos bourreaux, faire le lit de notre désamour pour finalement mieux s’y coucher près d’eux. Car avons-nous le choix ?
Les femmes hétérosexuelles sont condamnées socialement et physiquement à rechercher la présence des hommes avec autant de zèle qu’elles la fuient. Rechercher des alliés, éprouver leur soutien. Parfois se confier. Fuir l’océan de poissons avariés qui constituent la majorité, mettre en place des straté- gies, survivre à leur toxicité. Juste vivre et survivre dans ce monde tout juste créé pour eux est une victoire. Tout n’est donc pas perdu pour notre génération, personne ne connaît la fin de l’histoire.
Biheri