Naturellement, la force doit protéger les faibles contre toutes formes de violences dans la société. C’est cet idéal que recherche toute communauté éprise de paix et de justice. Une culture que devait, certainement, promouvoir les autorités d’un Etat à tous les niveaux. Il leur incomberait d’imposer une force agissant pour réprimer la force du mal, que nous appelons violence. La justice doit être forte et impartiale dans ses prises de décisions. Et dans ce cas de figure, il nous faut des hommes et des femmes capables de lire la loi et faire appliquer sa force.
Car, comme disait Thucydide, «la force de la cité n’est pas dans ses remparts ni dans ses vaisseaux, mais dans le caractère de ses hommes». L’on peut se permettre ainsi de paraphraser l’homme politique, stratège et historien athénien, en disant que la force d’un Etat n’est pas dans l’exhibition des muscles par ceux qui sont censés protéger les citoyens ni dans les voix stridentes des sirènes sympathisants d’un régime mais dans le respect strict des textes et conventions établis.
En effet, dans toute société civilisée du monde, les policiers et les juges agissent sans complaisance contre les hors-la-loi. Mais la recrudescence des actes de viols et de violences, observée en crescendo dans notre pays, nous laisse dubitatifs devant un tel concept. Le rôle du policier est certes de faire respecter la loi, de maintenir l’ordre et d’assurer la sécurité publique dans une complexe gestion des libertés accordée légalement aux individus.
C’est le cas où la loi offre à l’homme la liberté de se manifester «pacifiquement» dans la rue mais au même moment on voit les policiers bloquer le passage pour empêcher une quelconque manifestation pour le respect de cette loi. Et s’il arrive que cette manifestation dégénère suite au blocus imposé par les policiers, l’intervention de ces derniers suite aux agissements violents des manifestants s’appelle bien maintien de l’ordre et l’usage de gaz asphyxiant et autres projectiles de dissuasion c’est pour assurer la sécurité publique. Difficile équation.
«Tous égaux devant la loi»
Cet usage de la force ici exacerbe, quelque part, la violence au lieu de la réprimer. Partout, la répression de la masse n’a jamais été la marque d’un Etat fort. Mais la force de celui-ci repose sur l’application et le respect des lois dans toutes leurs plénitudes. Quand il arrive que des éventuels suspects d’un quelconque complot, quelle que soit la grandeur de la nature de celui-ci, sont appréhendés, il ne faut pas que les interrogatoires soient aussi musclés jusqu’à ce que la mort s’en suit.
L’article 283 du Code pénal comorien est explicite dans ses dispositions : «Tout acte de torture sera puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans… S’il en est résulté la mort, la peine de mort sera applicable. L’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique ne peut être invoqué pour justifier la torture».
En matière de justice impartiale, la présomption d’innocence et autres droits de défense doivent être préservés. C’est à ce niveau que les juges doivent faire entendre la loi. Rien que la loi. La loi c’est la loi, et doit s’appliquer à tout le monde, sans exception : c’est à ce genre de détails que l’on reconnait un véritable Etat de droit. Car dans un Etat de droit, comme il est admis dans les démocraties éclairées, «la loi s’applique à tous, que vous soyez ministre, simple citoyen, grand notable, prêtre ou imam».Les juges doivent trancher lors d’un conflit entre deux parties.
Leurs décisions sont prises en fonction des faits et preuves qui leur sont présentés, et selon la loi applicable à la situation. Le viol est qualifié de crime dans la législation comorienne pourtant les auteurs bénéficient des peines de moindre importance et des fois l’impunité totale. Or au paragraphe 3 de la “Section 11 : Des atteintes aux mœurs”, notre Code pénal n’est pas muet.
“De l’agression sexuelle” tout est dit surtout notamment «lorsqu’elle est précédée, accompagnée ou suivie de tortures ou actes barbares : l’agression sexuelle est punie de mort lorsqu’elle a entrainé la mort de la victime (article 302)». L’on se perd en conjecture lorsqu’on lit ces dispositions pénales et l’on se tourne pour faire face à une réalité irréelle de notre société. L’impunité.
«Des enquêtes sans suite»
Les actes d’agression sexuelle explosent la rubrique Faits divers des journaux et les flash-infos des radios et télévisions de la place. Il ne se passerait une semaine sans qu’un acte du genre soit dénoncé et porté devant les juridictions. Des mineurs sont mis à rude épreuve par des «délinquants» séniors dans la quasi-majorité des cas rapportés par les médias. «Un maître a abusé de son élève» ou «Un vieux a violé un (e) mineur (e)», des titres qui deviennent des marronniers de la presse locale. Mais la suite ? L’affaire se consume comme une peau de chagrin.
Pourtant, «l’agression sexuelle ou sa tentative est punie de dix à quinze ans (15 ans) de réclusion criminelle et d’une amende d’un million à cinq millions de francs comoriens», peine minimale de l’article 302 du Code pénal comorien.A ce niveau, le législateur comorien a fait son travail et a rendu une bonne copie au chef de l’Etat qui a promulgué le nouveau Code pénal par le décret n°21-018/PR du 16 février 2021.
Mais qu’est-ce qui se passe dans nos tribunaux ? Question légitime, à partir du moment où des délinquants sexuels sont laissés libres dans la nature et continuent à recruter à tour de bras par l’impunité, semble-t-il, qu’ils bénéficient de la justice. Des nouveaux violeurs se font ainsi connaître toutes les semaines pour ne pas dire tous les jours. Des jeunes filles et garçons sont abusés, des fois dans le silence à cause d’une Justice qui est loin de rendre justice.
Les justiciables ne font pas tout simplement confiance à leur justice. Impuissant devant le fléau, certains préfèrent se remettre à l’arbitrage divin. Le principal reproche fait à la Justice est sa lenteur et le fait qu’elle n’est pas, en particulier, efficace contre les viols et autres agressions sexuelles. L’enlèvement suivi de viol, d’assassinat et d’enfouissement du corps de la petite Faina, 5 ans, révèle bien le caractère moins contraignant d’une justice, malgré les annonces d’enquêtes sans suite des magistrats.
«La loi n’est pas rétroactive»
Le drame de Membwadjuu vient raviver la plaie de la mort d’une autre petite, Roukaya, dans presque les mêmes circonstances à Ndzuani, il y a 5 années. Roukaya Mohamed, 3 ans, disparue durant plusieurs jours, a été retrouvée morte tuée, le 30 juin 2016 au quartier Tennis à Hombo à Mtsamdu. Voilà bientôt cinq ans que les procédures d’instruction de la justice de l’affaire Roukaya ne soient abouties. Les proches de la petite fille n’ont toujours pas fait leur deuil.
Pire des choses, le principal suspect de l’assassinat de Roukaya se serait évadé, parmi d’autres détenus, de la maison d’arrêt de Koki à Ndzuani, le 6 décembre 2019. Mais ce qui rend abasourdis la famille de la victime et les responsables des organisations qui défendent les enfants contre les violences est qu’aucune action sérieuse de recherche du criminel n’a été entamée par les autorités judiciaires du pays jusqu’à ce jour.
La fréquence de commission des actes de viols dans le pays a pris des proportions inouïes au point que les chiffres dépasseront de loin les statistiques des années passées dans le pays. Rien que pour le premier trimestre de l’année dernière, il a été révélé que 144 cas de situations de violences ont été commis contre les enfants, dont 87 concernent des violences sexuelles avec 5 cas pour des enfants âgés de moins de 5 ans.
Mais depuis le début de cette année, les violences sexuelles commises contre les enfants sont encore inqualifiables et impardonnables. La loi n’est pas rétroactive, nous enseigne-t-on dans les milieux judiciaires, mais nos tribunaux seront intraitables contre les agressions et autres violences sexuelles commises après le 16 février 2021 ? Le nouveau code pénal criminalise les faits, ce qui sous-entend le renvoi des auteurs devant une Cour d’assises. Osons espérer que la récréation est finie chers magistrats !