Depuis sa création, la presse écrite nationale a été confrontée à de nombreux défis qui ont rendu la tâche difficile pour les journalistes dans l’exercice de leur travail. Cela fait maintenant presque quarante ans que même les droits les plus élémentaires des journalistes demeurent un combat de tous les instants. Les journalistes sont en effet obligés de lutter pour faire entendre leur voix et informer la population avec une information juste, recoupée et libre. Lutter contre la censure, toujours omnipresente reste le plus grand des combats pour les hommes et les femmes de la presse. Entre les autorités «intouchables», les secteurs avec lesquels règne une omerta des plus totales, les institutions «au-dessus» des lois et les Nations qui «dictent» les règles, la censure est partout. Pire, cette situation est à l’origine d’un fait inédit : l’autocensure.
De la censure à l’autocensure
On écrit, réécrit, efface, réajuste, affine, polit avant de, et c’est triste de le dire, se demander si ça en vaut la peine. «Il y a eu trop d’échecs, des expériences qui ont été tentées pour arracher un espace d’une presse indépendante. Cela a eu un impact négatif et fait fuir tous ceux qui auraient pu porter cette ambition», reconnaît Kamal’Eddine Saindou, ancien membre du Conseil national de la presse et de l’audiovisuel.
Les journalistes sont effectivement soumis à des pressions pour ne pas publier certaines informations sensibles. Les autorités peuvent également faire pression sur les imprimeurs pour ne pas imprimer certains articles. Quant aux journalistes qui osent publier des informations critiques à l’égard du gouvernement, ils risquent des représailles. Il n’y a pas que la censure, malheureusement. Il y a aussi, et tout est lié, le manque de public. Comment avoir un public dans un pays où la tradition orale est prépondérante ? Comment avoir un public avec une information quasi à sens unique, et ce, dans le public comme dans le privé.
Les gens se tournent vers les réseaux sociaux et les fameux «directs» dont raffolent les politiques de la place. Et c’est là un autre problème. Le virage entre le papier et le format numérique. Aujourd’hui, l’instantanéité de l’information exige d’être rapide et surtout réactive. Beaucoup de médias de la place peinent encore à prendre ce virage, laissant la place à d’autres. Autre goulot d’étranglement, la difficulté à trouver des annonceurs publicitaires, car «le manque de public rend l’espace publicitaire non rentable».
Un modèle économique fragile
Et c’est là que revient la question du modèle économique. Entre la très faible vente des journaux, un réseau de distribution très limité, l’impression assurée à plus de 90% par la même société, la survie des entreprises de presse est très fragile. Kamal’Eddine Saindou explique qu’»il n’y a plus d’imprimerie digne du nom. Cela suffit pour montrer le recul pour un pays où il y a eu une imprimerie nationale qui fut très équipée pour imprimer tous les journaux». La disparition d’une dizaine de titres comme « Le Matin des Comores », « Albalad », « Karibu Hebdo », « La Tribune », « Kashkazi », « Femmes des îles », « l’Archipel » et « Uropve » en est l’exemple. Malheureusement, cela n’impacte pas que les médias. Les hommes et les femmes du secteur en sont sans surprise touchés de plein fouet.
La précarité des journalistes est un problème majeur dans la presse écrite. Les salaires sont souvent très bas et les journalistes doivent souvent travailler pour plusieurs journaux pour subvenir à leurs besoins. Dans ce sens, Kamal’Eddine Saindou, déclare qu’»aucun épanouissement n’est possible sans des moyens pour faire vivre les journalistes dignement, de manière à exercer en toute indépendance».
La précarité, une triste réalité
De plus, les journalistes sont fréquemment soumis à des pressions, ce qui les rend vulnérables aux représailles. Combien de journalistes ont dû, bien malgré eux, tendre la main pour se soigner, un minimum vital. Et quand on sait que la plupart des journalistes n’ont pas suivi de formation en journalisme, on se rend compte à quel point les dérives peuvent être nombreuses et récurrentes. Mais d’un autre côté, «il est difficile de juger la valeur des formations offertes, puisque les formés ne disposent pas de médias solides et bien encadrés pour acquérir de l’expérience», confesse Kamal’Eddine Saindou, qui poursuit : «Le Conseil national de la presse et de l’audiovisuel est un outil essentiel pour recadrer le rôle de la presse et l’aider à retrouver ses valeurs. Malheureusement, l’État tente d’en faire un gadget à son service encore une fois».
Et pour revenir sur le côté humain, aujourd’hui «c’est l’absence de carrière professionnelle des journalistes qui démontre le manque de statut faisant un métier aux Comores. Tous les journalistes indépendants finissent dans la misère parce que le système n’a pas prévu de cotisations salariales des entreprises de presse, qui pourraient financer leur retraite. Seuls ceux qui travaillent dans les médias publics peuvent prétendre à cela. Ce qui prouve que dans le pays, le journalisme relève plus d’une passion que d’une profession comme les autres, encadré par la loi du travail».