La nuit du 26 novembre 2020 marque le trente-et-unième anniversaire de la mort du président Ahmed Abdallah Abdérémane. “Mdjomba”, comme il a été surnommé affectueusement par ses compatriotes (surtout à Ngazidja) est, sans doute jusqu’à ce jour, le président comorien de la République le plus populaire.
Il était et est unanimement considéré comme l’homme politique comorien le plus en phase avec la philosophie et la manière de penser et d’agir de ses compatriotes. On lui prêtait une très grande maîtrise de la “comoriannité” (us et coutumes, «mode de fonctionnement» du citoyen comorien moderne et de l’homme comorien tout court). L’aura et le respect, restés jusqu’ici inégalés qu’il avait auprès de ses compatriotes – d’un certain âge, notamment – l’attestent. De l’avis général, Ahmed Abdallah était un «vrai» Comorien et un Comorien total.
Les Comores doivent à leur second président de l’histoire de nombreuses réalisations en matière de développement. De l’agriculture à la pêche avec, entre autres, l’Ecole de pêche de Mirontsi, en passant par l’Education nationale avec la création, à Nvuuni, de la toute première Ecole d’enseignement supérieur du pays (Enes), dont le site et certains des bâtiments accueillent, aujourd’hui, l’Université des Comores, ainsi que le tourisme avec la construction du plus grand complexe hôtelier jamais ouvert au pays, la Galawa.
De l’Enes sont sortis de nombreux enseignants de collège bien formés (et qui, à l’époque, faisaient cruellement défaut à l’Education nationale), des gestionnaires dans divers domaines et la liste n’est pas exhaustive. Les journalistes sortis de l’Enes ont été à l’origine, en 1985, de la toute première rédaction du premier journal comorien Al-watwan.
Artisan de l’indépendance
Ahmed Abdallah Abdérémane a été membre du parti Vert, puis du Rassemblement démocratique du peuple comorien (Rdpc) à l’autre bord de l’échiquier politique en ayant comme constante l’accélération du processus d’accession à l’indépendance. C’est ainsi qu’il fut, du côté comorien, le principal artisan des Accords du 15 juin 1973, avec le gouvernement français, qui ouvrent la voie à l’indépendance.
Auparavant, il a été réélu au sénat français en 1968 avant de démissionner quatre ans plus tard. Par la suite, il sera président du Conseil de gouvernement et Premier ministre des Comores en 1972. Toujours sur ce plan de sa pratique politique, tout en lui étant farouchement hostile, la grande majorité de ses opposants reconnaissait en lui une carrure certaine d’homme d’Etat et une connaissance inégalée du terrain sur l’ensemble du territoire des quatre îles.
Idem pour l’ensemble de ses compatriotes, même s’ils lui reprochaient son intransigeance sur la question de la démocratie politique avec le parti unique (création en 1982 de l’Union comorienne pour le progrès, le Bile ou “Parti bleu”), la présence de mercenaires français durant une partie de son règne, ou encore le procès de patriotes et militant révolutionnaires en 1985, au premier rang desquels Moustoifa Saïd Cheikh.
Cependant, l’homme a été le dépositaire de deux actes politiques inédits qui, avec le recul, feront de lui un patriote incontestable : la déclaration unilatérale d’indépendance de juillet 1975 suite aux diverses “manipulations” de l’Etat français pourtant signataire des Accords de 1974 sur l’accession des Comores à la souveraineté internationale, et sa constance dans la dénonciation de l’occupation française de l’île de Mayotte.
En effet, sous son règne, de nombreuses résolutions condamnant cette occupation d’un autre temps ont été régulièrement déposées et défendues à l’assemblée générale de l’Onu. Toutes exigeaient l’ouverture de négociations en vue du retour de l’île dans son giron naturel et légal. Ce combat acharné d’Ahmed Abdallah a contribué à faire échouer les tentatives de nombreux gouvernements français, de gauche comme de droite, de faire oublier la présence sur cette île du seul colonialisme de ce début de troisième millénaire dans l’histoire du monde.
Un “Mémorandum sur l’îlecomorienne de Mayotte”
Le plus emblématique de ces actes a été le “Mémorandum sur l’île comorienne de Mayotte” adressé le 20 novembre 1989 par le gouvernement comorien au secrétaire général de l’Onu, Javier Pérez De Cuelar. Dans ce document, le président comorien demandait à l’Onu de se saisir de cette question capitale pour la nation comorienne naissante et leur développement.
“Le gouvernement comorien souhaiterait donc que le secrétaire général des Nations unies use de sa médiation pour rapprocher les deux parties dans la recherche d’un règlement juste et équitable à cette question”, pouvait-on y lire, en effet. Ou encore “... le gouvernement comorien ne verrait aucun inconvénient à ce que la France installe un consulat général à Mayotte où une parcelle de terrain pourrait être cédée au titre de l’extra-territorialité”.
A la même date, le président Ahmed Abdallah avait adressé une lettre au président français de l’époque, l’homme de gauche François Mitterrand, pour l’informer de sa démarche auprès de l’Onu. Dans la nuit du 25 au 26 novembre, soit seulement cinq jours après l’envoi de la lettre, le président comorien mourrait d’une rafale de pistolet-mitrailleur en présence du plus célèbre des mercenaires français qui, par la suite, allait être blanchi de ce crime par la justice de son pays.