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Le grand mariage : à l’ombre des festivités, un marché florissant mais ignoré

Le grand mariage : à l’ombre des festivités, un marché florissant mais ignoré

Société | -   Said Toihir

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Mbadjini, comme tant d’autres régions de l’Union des Comores, vibre chaque année au rythme des Mashuhulis, (festivités du grand mariage). Si ce rite de passage reste un symbole de statut social et de prestige culturel, il est aussi le théâtre d’un ballet économique invisible mais vital. Traiteurs, couturiers, décorateurs, vidéastes, coiffeurs : tout un petit monde qui s’active dans l’ombre et en tire profit.


À 47 ans, Hamidou Ali travaille comme traiteur depuis plus de vingt ans. Il n’a jamais ouvert de restaurant, mais pendant les saisons de mariages, son activité décolle. «Je peux recevoir trois à quatre commandes en une semaine. Une famille me demande de préparer du riz, des pillons, du poisson, parfois pour 600 ou 800 personnes. J’embauche des femmes du quartier, on se partage le travail et les bénéfices. Certains jours, on gagne plus qu’un fonctionnaire», confie-t-il.
Dans une ruelle de Fumbuni, Fatihati, 34 ans, nous reçoit dans son petit atelier aux murs ornés de tissus colorés. Elle affirme que 70 % de son chiffre d’affaires annuel vient de la période des grands mariages. «Quand une femme se prépare pour le Anda [ appellation comorienne du grand mariage], elle me commande jusqu’à 10 tenues différentes. En plus, ses filles, ses tantes, ses sœurs veulent aussi se faire coudre une robe pour chaque jour de fête. Grâce à cet argent, j’ai pu acheter une nouvelle machine à coudre et former ma petite sœur», assure cette dernière.
cash», rigole notre ami.

Un véritable pilier économique saisonnier

Installé à Moroni, Ayouba a 29 ans. Il est décorateur indépendant et travaille avec un réseau de jeunes. Pendant la saison creuse, il fait de petits boulots. Mais quand les mariages arrivent… «On loue les tentes, les rideaux, les chaises dorées. On fait la déco de la cour, de la scène, de l’entrée. Une bonne prestation se négocie entre 150 000 et 300 000 francs comoriens. C’est beaucoup pour nous. Et ce n’est pas déclaré, Quant à Amina, coiffeuse à Fumbuni, elle ne cache pas sa fatigue… ni sa satisfaction. «J’ai des clientes qui veulent changer de coiffure chaque jour de la semaine. Certaines me demandent même de venir à domicile très tôt. Je fais jusqu’à 6 clientes par jour pendant les mariages. C’est là que je gagne vraiment ma vie», déclare-t-elle.Nasur, vidéaste freelance, est très sollicité par les familles de la diaspora. «Ils veulent des vidéos en qualité HD, parfois même une retransmission en direct sur Facebook ou WhatsApp. Je gagne bien ma vie, mais je n’ai ni contrat, ni statut officiel. On est tous dans le système D», témoigne-t-il.


Toutes ces prestatations génèrent des revenus importants mais non déclarés. Aucun impôt, aucun encadrement légal. Pourtant, ce marché informel représente un véritable pilier économique saisonnier. «Ce serait bien qu’on puisse avoir un statut, un soutien, même une petite formation pour structurer nos métiers», suggère Fatihati, une couturière.
Au-delà de l’apparence festive, le grand mariage est donc un moteur économique sous-estimé, capable d’activer des centaines d’emplois ponctuels, notamment chez les jeunes et les femmes. Si l’État et les collectivités investissaient dans la structuration de cette économie parallèle, cela pourrait contribuer à la réduction du chômage, à la valorisation des compétences artisanales, et à une meilleure inclusion des jeunes et des femmes dans la vie économique.

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