Il est mercredi, nous sommes sur le quai du débarcadère Mnaparedju, situé en face de l’ancienne Sagc et à quelques encablures du port de Moroni. A cette heure de la journée - 9 heures - le soleil est de plomb. Les vrombissements des voitures dans cette zone de la capitale ne manquent pas comme à l’accoutumée. En s’approchant, une fois en face de la mer, nous constatons qu’un petit marché aux poissons est érigé. À l’intérieur du marché du débarcadère, les femmes s’animent dans des discussions, certaines assises et d’autres ne tiennent pas les murs, elles s’affairent à la préparation des poissons pêchés pour la vente. Du côté des hommes - oui il y a des hommes sur les lieux - certains ont l’air déjà épuisé. Ça saute aux yeux lorsqu’on les voit pousser leurs barques hors de l’eau.
Dès l’aube, bon nombre de ces pêcheurs commencent des préparatifs devant les mener au large et ce pour pratiquement toute une journée. C’est dans ce contexte que nous rencontrons l’un des pêcheurs présents en pleine animation. Après prise de contact, nous apprenons qu’Ali Mchami est un pêcheur natif de Mbambani ya Hambu.
Pour vaquer à ses occupations en pleine mer, il effectue d’abord le trajet Hambu-Moroni. Son itinéraire quotidien. Sa journée de pêcheur commence au débarcadère de Moroni. Tous les jours à 4 h du matin, à son heure habituelle, Ali Mchami part à la quête des poissons et parfois il n’hésite pas à explorer davantage l’étendue de la mer. Et pour commencer sa journée, il doit tout de même préparer le matériel nécessaire et à l’en croire «l’hameçon reste le plus important». Il nous explique que «l’hameçon consiste à attirer les poissons dans un piège, raison pour laquelle l’on ne peut partir sans le glisser dans le sac «de voyage».
Une fois au débarcadère, c’est tout un travail qui l’attend. Nous apercevons un conteneur très animé. Pour cause, les pêcheurs déposent leurs matériaux à l’image des moteurs hors-bords des vedettes de pêche ou encore les stocks en carburant.
Le début du périple
Dans ce coin où les pêcheurs débutent leur périple, des vedettes de différentes peintures sont étalées un peu partout. Et avant d’entamer sa journée, le candidat au départ doit d’abord remplir le réservoir de la vedette, ce dernier peut contenir de l’essence ou du pétrole.
Une fois le moteur apprêté, Ali Mchami fait ensuite joindre celui-ci à la vedette et cela peut prendre quelques minutes. Cette tâche remplie minutieusement, il est temps de passer à l’étape finale, préalable au départ.
Pour réaliser cette dernière corvée avant de commencer sa croisière, il est toujours aidé par un collègue pour pousser la vedette jusqu’à la rive.
Ni un soleil de plomb, ni une pluie battante ne peut retenir notre pêcheur. Ali Mchami, ne récule devant rien. Avant de partir, il sait déjà, qu’il n’aura pas de limite dans sa quête du poisson. Il ne se contente pas d’aller dans une seule direction, il part à l’aveuglette pour ainsi dire. «Je ne me fixe pas un endroit pour faire mon travail car on ne sait jamais. On ne peut pas savoir avec exactitude l’endroit où l’on peut trouver ce qu’on cherche». Par ailleurs, il nous apprend qu’il peut effectuer en une seule journée deux sorties en mer, matin et après-midi.
Un travail à risque
À 9 h, en ce jour ensoleillé d’octobre, notre marin a déjà effectué sa première quête avant qu’on tombe sur lui au débarcadère. «Je retourne au débarcadère quand j’en ai attrapé assez de poissons. Pour me reposer également en vue d’un éventuel départ dans l’après-midi», fera-t-il savoir.
Volontiers, il acceptera de nous conduire au large pour vivre l’expérience. Il nous accorde une virée en mer exceptionnellement. La vedette déjà prête, il met en marche le moteur, et nous partons avec le bourdonnement du moteur. Dans cette embarcation peinte en bleu, trainent un grand crochet et le sac à dos du pécheur. La mer dans un bleu foncé était tout au calme, il n’y avait plus de vagues.
Plongé dans ses manœuvres, notre pêcheur confiera simultanément des précisons sur la façon de pêcher. Et plonge son nez dans son sac pour en sortir une bobine celle-ci enroulée d’un fil bleu. Après avoir réussi à dénouer un long fil de pêche accroché à l’hameçon, il le lance dans la mer. «Pour pêcher, ce fil nous permet de savoir si on a attrapé un poisson et si c’est le cas, le fil devient très lourd», explique-t-il tout en continuant de démêler le «fameux» fil.
Ça y est, le port de Moroni, le marché du port, les bourdonnements des voitures, disparaissent un peu plus à chaque fois que la vedette s’enfonce au large de la mer. Autour de nous, il n’y a que l’étendue de cette mer bleue, le ciel et le bruit du moteur qui rompt le silence. «Pêcher n’est décidément pas un travail facile», se plaint Ali avec le sourire. Il continue en expliquant que «ce travail nécessite beaucoup de courage et d’optimisme. Il est possible de passer beaucoup de temps en mer sans avoir attrapé même pas un seul poisson, alors que c’est un grand risque qu’on prend pour notre vie».
Insécurité.
«Une fois en mer, il faut s’attendre à tout comme le cas de l’agitation de la mer ou le fait de se perdre», souligne-t-il en ajoutant que l’on peut se perdre pendant plusieurs jours et faire même des mois. Dans une telle situation «je ne peux pas vous dire que c’est aisé de faire face surtout quand on n’est pas très bien équipé. Car il peut nous arriver de ne plus avoir à manger ni à boire. Vous imaginez dans quelles conditions on peut se trouver facilement».
Soudainement, notre conducteur coupe le moteur de la vedette. Il nous explique la raison de son geste. «Quand on est perdu, on coupe le moteur pour naviguer à l’aveuglette en fonction de la direction du vent», dit-il en gardant toujours le sourire.
A en croire toujours notre guide, les pêcheurs, en cas de mauvaise journée en termes de récolte, peuvent s’aventurer encore plus loin sans qu’ils prêtent attention à la distance qui les sépare de la terre ferme. Malgré cela, ils ne possèdent aucune garantie pour leur sécurité. «Nous n’avons aucun service de secours en cas de danger. Si on est perdu, on doit rester en mer jusqu’à ce que quelqu’un passe pour nous sauver. Aucun moyen d’alerte ou de sauvetage n’est à notre disposition», fustige-t-il. De retour au débarcadère, nous nous sommes intéressés à la question de la vente du poisson.
Dans la cohue du marché du débarcadère, les pêcheurs commencent à vendre leurs poissons. «Le prix du poisson varie en fonction du goût. La baisse des prix des poissons dépend de la période et de la moisson. Si tous les pêcheurs ont les vedettes pleines, chacun veut vendre le plus vite et c’est là que les poissons se vendent à bas prix comme pendant la saison des pluies. Mais dans le cas contraire, les poissons deviennent de plus en plus chers malgré le mécontentement des acheteurs», nous confie Ali Mchami avant de prendre congé.
Bahiya Soulayman Ben Bacar