Quand le secret professionnel vacille, c’est toute une société qui s’expose. Aux Comores, les violations du secret professionnel se multiplient dans les milieux médicaux, judiciaires ou bancaires. Un phénomène que dénoncent à l’unisson avocats, médecins, sociologues et employés du secteur financier, qui y voient le symptôme d’une dérive profondément ancrée dans les pratiques sociales locales, accentuée par un déficit de formation à l’éthique professionnelle.Pour Me Abdou Elwahab Msa Bacar, avocat, le secret professionnel constitue un pilier fondamental de la vie privée. «Le violer expose le contrevenant à des sanctions pénales. Malheureusement, cette notion est aujourd’hui fragilisée par le manque de conscience professionnelle et le non-respect des règles déontologiques», note-t-il. Un médecin ayant requis l’anonymat partage ce constat : «Certains de mes confrères ne respectent plus ce principe de base. Même ton pire ennemi, tu es tenu de le soigner dans la même confidentialité.»
Vie privée et obligations professionnelles
D’un point de vue sociologique, la question dépasse la simple infraction. Pour Issa Abdoussalami, le secret professionnel doit être perçu comme une institution sociale. « Dans une société où l’information est un pouvoir, sa diffusion est parfois un moyen de renforcer son autorité. Aux Comores, les logiques d’appartenance village, région, famille – favorisent des pratiques affectives qui sapent les normes professionnelles», observe ce dernier. Même analyse du côté de Msa Ali Djamal : «Chez nous, l’information est un capital social. Le droit est fragile, et les formations à l’éthique souvent absentes ou trop théoriques. Dire qu’on sait, c’est affirmer qu’on vaut quelque chose. »
Dans le monde judiciaire, Me Saïd Mohamed Said Hassane ne cache pas sa désillusion. «Même ceux qui font les lois ne les respectent pas. La violation du secret professionnel est devenue une mauvaise habitude dans tous les domaines», estime-t-il. Me Ahamed Ali Abdallah, de son côté, met en cause un défaut d’éducation : «Le respect du secret ne s’apprend pas uniquement dans les textes, il exige une formation rigoureuse, souvent négligée.»
Dans les banques, la frontière entre vie privée et obligations professionnelles est aussi poreuse. Un agent, sous couvert d’anonymat, admet : «Il nous arrive, sous la pression d’un proche ou d’un notable, de consulter un compte bancaire en dehors de toute procédure. Nous savons que c’est illégal, mais la proximité sociale brouille les lignes.»Entre menace de représailles et confusion des rôles, les pressions sont parfois telles que le respect de la loi devient un acte de courage.