Sur le chemin de retour à Moroni après l’enterrement du chef d’escadron Taoufik Ouseine, je me suis arrêté à Nyumadzaha ya Bambao pour faire la prière du soir (al Ichâ) dans la mosquée qui fait face au marché de la localité. A la fin de la prière l’imam y a improvisé un prêche axé sur la «mort et l’ordonnance du bien et l’interdiction du mal avant que l’on soit rappelé à Dieu». Dans la foulée, il nous sort des anecdotes sur le défunt chef d’escadron. Il nous décrit un Taoufik social, un Taoufik rigoureux, un Taoufik plein de sagesse. Au total des qualités et des comportements que requiert l’appartenance à la Grande muette dont a fait partie le disparu.
L’imam a dépeint le gendarme à la fois craint et respecté par les usagers de la route, du fait de sa rigueur à l’œuvre, mais aussi de sa générosité. L’homme de dialogue qu’il était privilégiait, en effet, la pédagogie et ne recourait pas à la sanction que pour les plus récalcitrants. L’émotion était palpable chez les fidèles qui buvaient les paroles de l’imam.Par un concours de circonstance, j’ai pu être témoin, également, d’une émotion similaire au petit marché de Moroni où la triste nouvelle du décès s’est rependue comme une trainée de poudre.Une dame, dont l’accent indiquait qu’elle est d’originaire de l’île de Ndzuani sanglote, littéralement, au téléphone en informant, effondrée et inconsolable, le terrible drame à son correspondant.
Ma surprise ne fut que très relative quand j’ai constaté les mêmes réactions à Nyumadzaha ya Bambao ou encore au petit marché de la capitale. J’ai failli oublier que j’ai perdu non seulement un beau-frère, un proche avec lequel on se vouait un respect mutuel.Il ne fait aucun doute qu’avec la disparition de Taoufik, le pays perd un symbole qui forçait une admiration et un respect unanimes.Jamais un deuil ne me parait avoir suscité autant d’émotion. Jamais il n’avait affecté autant d’anonymes. Rarement l’adage «les bonnes œuvres sont immortelles», ne se sera vérité.Puisse Dieu le combler de ses grâces. Qu’Allah nous accorde une fin douce le jour où Il décide de nous rappeler à Lui.
En fait, je ne suis pas loin de penser, comme beaucoup de mes compatriotes, que le chef d’escadron a sans doute eu une fin douce. Amateur de deux-roues, son décès aurait pu être causé par un accident violent. Non, il a rendu l’âme sans la moindre souffrance, de surcroit la journée bénie en islam, correspondant au Yaumu a’arafa.
Que Dieu pardonne ceux qui cherchent à noircir son image pour des raisons inavouables.
Certes nous avons connu l’incorruptible et infatigable commandant de la brigade routière qui dans le chaos tentait, tant bien que mal, d’imposer un minimum de règles pour le bien de toutes et de tous. On parle peu, par contre, du soldat d’élite, qui en 1989 avec une poignée de frères d’arme, a réussi à dérouter après des heures de résistance acharnée, les redoutables chiens-de-guerre du mercenaire Bob Denard dans leur tentative de prise du camp de la gendarmerie à Moroni. Une résistance moins médiatisée que d’autres qui, pourtant, a été à l’origine des blessures graves qui, parfois, ont laissé des séquelles et qui, peut-être surtout, a permis à la gendarmerie d’éviter l’ultime humiliation.Repose en paix, mon capitaine, et que le firdaws soit ta dernière demeure.
Maoulida Mbaé