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Liberté de la presse : Ndzuani, au cœur de l’autocensure…

Liberté de la presse : Ndzuani, au cœur de l’autocensure…

Société | -

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L’île de Ndzuani a vu, au fil des années, défiler des journaux locaux sans lendemain et compte présentement deux radiotélévisions du service public, ainsi que plusieurs  dizaines de radios associatives urbaines et rurales. 

 

En matière de liberté de la presse, l’Union des Comores est classée à la 44e position, parmi cent quatre vingt pays, par Reporter Sans Frontière (Rsf), au classement 2017. Une nette progression de six places par rapport à 2016, où elles figuraient au 50e rang.

 


Lire ausi : Journée de la liberté de la presse  : «Pas d’émergence sans un journalisme libre et indépendant»


 

L’archipel de la lune se trouve d’ailleurs mieux coté que ses voisins de l’Océan indien, devant une île Maurice rangée à la 56e marche, Madagascar qui s’agrippe péniblement à la 57e et un archipel seychellois relégué à la 87e position. 

Et pourtant, avec un peu plus de courage, les journalistes comoriens pourraient faire progresser cette barre. Car, contrairement aux confrères malgaches atterrés par leur «nouveau code de la communication» qui «fait référence au code pénal pour statuer sur les délits de presse», ou les mauriciens dont «la situation de la liberté d’information s’est dégradée ces dernières années», chez nous c’est plutôt «l’autocensure» qui «est pratique courante».

Ce constat de Rsf, mis à l’épreuve des témoignages  de journalistes de l’île de Ndzuani tout particulièrement, n’a pu qu’être malheureusement attesté chez la plupart d’entre eux.

Du discours politique aux actes

L’île de Ndzuani a vu, au fil des années, défiler des journaux locaux sans lendemain (Al-fajr, Ndzuani Hebdo, L’Inquisiteur, Le Courrier…), et compte présentement deux radiotélévisions du service public (Radiotélévision de Ndzuani – Rtn - et la station régionale de l’Office de la radiotélévision des Comores - Ortc), ainsi que plusieurs  dizaines de radios associatives urbaines et rurales.

 Peu d’entre elles proposent, en effet, autre chose que de la musique et des émissions sociales de circonstance. L’actualité politique, un domaine quasiment tabou, comme le reconnait Tex Mohamed, animateur principal et présentateur de l’unique édition quotidienne du journal de la Radio Dzialandze Mutsamudu (Rdm). 

«Nous, on est toujours prudents. Nous parlons de l’actualité nationale, mais n’insistons pas sur la politique. Le régime de Mohamed Bacar [ancien président de l’île autonome de Ndzuani,  délogé par la force en 2008, Ndlr] avait fermé notre  station à cause de cela.

Depuis, comme on dit, chat échaudé craint l’eau froide. Il est vrai que maintenant le discours officiel encourage une presse libre, mais chez nous, du discours politique aux actes, vous savez… » Ainsi, à moins d’une inauguration quelque part, Tex préfère diriger l’attention de ses auditeurs vers les crises du Moyen Orient ou de la péninsule coréenne. 

Des informations institutionnelles

La Rtn, sous tutelle du cabinet du gouverneur de l’île, n’a, quant à elle,  pas besoin de remplir ses trois éditions journalières d’éléments du conflit syrien ou de la crise nucléaire opposant Pyongyang à Washington, car l’actualité protocolaire de Dar-nadjah lui suffit.

Mais c’est justement dans la manipulation de ces informations institutionnelles que la grande prudence s’impose. «Pour tout ce qui touche au gouvernement, l’on est très prudents. Personnellement, depuis que l’on en a fini avec le régime Bacar, je n’ai jamais été interpellé  par une voix autoritaire quelconque au sujet de ce que j’ai fait ou pas fait, mais je préfère délimiter moi-même mon champ d’expression», nous livre, en confidence et sous anonymat, un présentateur et ancien rédacteur en chef de cette station.

Au mois de février dernier pourtant, l’un de ses collègues, actuel rédacteur en chef, avait été suspendu de son poste à la suite d’une note prise en conseil hebdomadaire de l’exécutif insulaire, pour avoir parlé de la grève déclenchée par le syndicat des agents de santé de l’île.   

Si pour la Rdm et  la Rtn l’autocensure semble donc vitale, ce n’est pas exactement le cas pour la radio associative Star Fm, encadrée par le journaliste freelance Kamal Ali Yahoudha. «Dans la conception de beaucoup de gens ici à Ndzuani, un journaliste est un homme qui encense le pouvoir.

Du coup, le journaliste anjouanais est à la limite de l’attaché de presse. Nous comptons, toutefois, proposer de l’actualité à nos auditeurs  d’ici peu, mais pour cela nous devons déjà nous soumettre aux formalités du Cnpa [Conseil national de la presse  et de l’audiovisuelle, Ndlr] et de l’Anrtic [Agence nationale de régulation des technologies de l’information et de la communication, Ndlr].

Car dans cette île, le risque de subir des pressions autoritaires existe bel et bien, et nous avons, par ailleurs, tiré les leçons de ce qui est arrivée récemment à  Labaraka Fm», confie-t-il.    Mais, si à Star Fm l’on est encore à scruter l’horizon, pour Radio Domoni Inter, le grand saut a déjà été fait, à ses risques et périls manifestes. 

Le grand saut de Radio Domoni Inter

Cette radio privée de la deuxième ville de Ndzuani, Domoni, a commencé à informer ses auditeurs  de ce qu’il se passe à l’intérieur comme à l’étranger depuis 2006, en pleine dictature Bacar, ce qui lui avait déjà valu d’être fermée. Aujourd’hui encore, à en croire l’ancien correspondant de Mayotte Première, Naouir Soilah Papamwegne, son patron, les intimidations n’ont pas cessé, mais il est plus que jamais déterminé à faire avec.

«En 2013, nous avons eu droit à une coupure d’internet. Récemment, nous avons reçu une facture d’électricité  de deux millions de francs, ramenée à  quarante-cinq mille après nous être défendus.

Toutes ces représailles gouvernementales à cause de notre émission interactive  va zahurongowa  [littéralement : il y a des choses à dire, Ndlr], qui passe en direct et donne la parole à  tout le monde sur tous les sujets. Mais je ne me suis jamais plié et je ne compte jamais le faire. Il faut oser s’imposer, autrement l’on est vite écrasé.»  La preuve que le monde, même le notre, est fait de tout.



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