Le Mouvement pour la libération nationale des Comores, le Molinaco, est la première dans le «combat pour la libération de l’archipel». Son statut de pionnier de l’indépendance des Comores fait consensus dans la mémoire collective. Historiens, journalistes, chercheurs et hommes politiques reconnaissent, unanimement, «le rôle clé» joué par ce parti crée en Tanzanie par des expatriés comoriens dans le processus d’autodétermination. Le contexte international a joué, en grande partie, en faveur du mouvement qui portait une revendication déjà en vogue en Afrique de l’Est et sur tout le continent africain.
La soif de liberté et la montée des mouvements anticolonistes en Afrique légitime le combat du Molinaco, rejoint par d’autres partis et mouvements. On notera le Parti socialiste des Comores, le Pasoco, l’Association des stagiaires et étudiants comoriens, l’Asec, en France et le Parti pour l’Entente des Comores (Pec). «Ce courant avait pour but essentiel de libérer l’archipel du colonialisme, du néocolonialisme et de tout système qui contribuait directement ou indirectement à la domination et à l’exploitation des masses comoriennes. Son programme passait par l’éducation, la formation et la préparation du peuple comorien à retrouver sa dignité, sa souveraineté, sa personnalité nationale sur le plan international et était favorable aux idées socialistes et de progrès», écrit Mouhssine Hassane El Barwane dans Bréviaire sur l’histoire des Comores de 1946 à 2006.
L’élite est-africaine se servait de l’expérience asiatique, et notamment la «Conférence de Bandung» de 1956, pour demander la fin de la domination des empires coloniaux. Le Molinaco fera entendre alors sa voix, pour la première fois, lors de la «3ème Conférence de solidarité des peuples afro-asiatiques» organisée en avril 1963 à Moshi dans la mythique region de Tanganyika. Les leaders du Molinaco, Abdou Bakari Boina, Youssouf Abdoulhalik, Said Djaffar (Alwahty), Ali Mohamed Chami et M.Abdelkadir y ont porté la voix de l’archipel et prendront contact avec leurs collègues du Pasoco déjà installés dans les îles et qui, clandestinement dans un premier temps, popularisent le slogan «Mkolo Na Lawe!» (A bas le colonialisme). Des jeunes, à l’époque, à l’instar de Said Ahamada Mbaé, Mohamed Ali Mbalia seront les antennes relais du slogan dans l’arrière-pays.
Prouesse juridique et offensive diplomatique
Le Molinaco réussit à gagner la confiance des organisations internationales, tient des conférences, bénéficie d’un temps d’antenne à la Radio Tanzania et noue des contacts avec des hauts responsables de l’Organisation de l’unité africaine (Oua) nouvellement créée. «En septembre 1970, l’OUA préconisait l’inscription des Comores parmi les territoires coloniaux et dans une lettre datée du 30 novembre, le représentant du Congo demandait au Comité de décolonisation, au nom du groupe africain, de réexaminer à sa session de 1971 la question», rappelle Damir Ben Ali dans Evolution du statut de l’archipel des Comores de 1812 à 1972.
Le 25 août 1972, le Molinaco gagne une première bataille après l’accord de l’Organisation des Nations unies (Onu), via son assemblée générale, d’inclure les Comores «territoire d’outre-mer de la République française, sur la liste des territoires auxquels la déclaration de l’Onu sur la décolonisation est applicable». Cette prouesse juridique et cette offensive diplomatique du Molinaco vont susciter une vive polémique au sein de la classe politique aux Comores qui considérait le Molinaco comme un mouvement «déconnecté des réalités du pays».
Des positions contrastées vont naître entre ceux qui souhaitent «l’indépendance immédiate», comme le Molinaco et le Pasoco, et ceux qui souhaitent «consolider l’autonomie interne», comme le Parti Vert, avec de nouvelles prérogatives élargies pour conforter un statut libre et propre en faveur de l’archipel.
Tensions
Ainsi, le prince Saïd Ibrahim souhaitait-il le statut quo, estimant qu’il faille mieux se préparer avant d’engager l’aventure de l’indépendance : «Nous devons reconnaître que dans l’état actuel des choses notre intérêt est de rester encore dans le cadre des institutions de la République française», a-t-il déclaré dans un message en octobre 1967. La complexité du statut du territoire et la naissance des mouvements de libération obligent la première élite politique à exprimer clairement sa position par rapport au sort institutionnel et juridique du territoire avec, souvent, un ton martial.
Dans un discours au vitriol, le président Saïd Mohamed Cheikh pointera du doigt le Molinaco, estimant que ses fondateurs étaient seulement «animés par des intérêts personnels» : «Quelques individus, incapables d’assurer leur subsistance, et celle de leurs malheureuses familles, qui rêvent de transformer notre pays en une nation forte, puissante et prospère. Ces faux idéologues n’ont aucune envergure ni aucune foi, ce sont des ambitieux qui, chassés des pays voisins à cause de leur malhonnêteté et de leur agitation stérile, cherchent maintenant à apporter le désordre dans leur propre pays, sans autres soucis qu’un profit personnel et immédiat».
Le premier député des Comores se rendra alors à Paris pour demander plus d’autonomie car, pour lui, l’archipel devait consolider son statut de territoire d’Outre-Mer, mobiliser des infrastructures et mieux se préparer dans tous les domaines avant d’accéder à l’indépendance. «La délégation considérait comme un minimum à obtenir, notamment l’élargissement, la définition et une nette distinction des compétences territoriales de celle de l’État, l’institution d’un seul pouvoir exécutif, dirigé par le président du Conseil du gouvernement seul dépositaire du pouvoir réglementaire dans l’archipel, la liberté donnée aux organes institutionnels, la chambre de députés et le Conseil de gouvernement de régler eux-mêmes leur mode de fonctionnement et leurs rapports», rappelle l’historien et anthropologue, Damir Ben Ali.
De même, «la nouvelle loi devait comporter, en outre, certaines dispositions pratiques dont les principales étaient l’établissement d’un emblème qui constituera la marque du gouvernement» et qui «flottera à côté du drapeau français». Il est mentionné que «le président du Conseil de gouvernement correspondra directement avec le gouvernement français et ses différents ministres ainsi que les autorités françaises à l’étranger» et que «des agents du gouvernement comorien seront nommés auprès des ambassades ou les principaux consulats de France dans les Etats voisins où vivent les communautés comoriennes, ainsi qu’auprès des Organisations internationales à caractère social, économique et culturel». L’autre point consistait à faire en sorte que «tous les fonctionnaires français en service aux Comores, à l’exception de ceux formant le cabinet du Haut-Commissaire, soient mis en position de détachement auprès du gouvernement comorien».
En dépit de ces avancées sur le statut du territoire, le Molinaco prône toujours la libération immédiate et l’accession «sans conditions» à l’indépendance. A la mort de Saïd Mohamed Cheikh, en mars 1970, la donne politique change et le premier parti libérateur des Comores poursuit son marathon diplomatique aux quatre coins du monde. «Le secrétaire général du Molinaco, Abdou Bakar Boina, effectua un voyage à New York et le 3 décembre 1970 le Comité spécial décidait, sans opposition, de prendre note de la lettre et d’aborder la question lorsqu’il examinera le problème comorien en 1971. Les années 1971 et 1972 voient le Comité de décolonisation se saisir véritablement de la question à la suite de diverses recommandations de son groupe de travail et de nouvelles visites du Secrétaire général du Molinaco à New York», poursuit Damir Ben Ali.
Héros incontesté
La vive propagande en faveur de l’indépendance dans l’archipel, la grande révolte lycéenne de 1968, l’accession de pays voisins à l’indépendance, la volonté de l’Onu à décoloniser les territoires inscrits dans sa liste, l’affaiblissement et le vieillissement de la première élite politique vont conforter l’idéologie et la position du Molinaco, alors très populaire dans le pays. «Le 10 septembre 1972, les responsables de deux grands partis, l’Union démocratique des Comores, l’Udc, et le Rassemblement démocratique du peuple comorien, le Rdpc, réunis en Congrès général déclaraient leur «union sacrée et indéfectible» et demandaient que l’Archipel poursuive sa marche en avant vers l’accession à l’indépendance dans l’amitié et la coopération avec la France», souligne l’anthropologue.Abdou Bakari Boina, héros incontesté de la libération des Comores, a eu droit, comme ses compagnons de lutte, à un hommage national un an après son décès, organisé en mars 2018 à l’initiative du chef de l’Etat, Azali Assoumani.