Si Comores Telecom nie être derrière la décision du régulateur, il est clair que sa situation financière est inquiétante. Rien qu’au cours de ces quatre dernières années, la société aurait perdu 50% de son chiffre d’affaires y compris les prévisions de 2019.
Ne s’étant pas préparé comme certains le disent pour accueillir un concurrent de taille comme Telco, filiale de Telma, l’opérateur historique qui a regné seul sur le marché pendant plus de 20 ans, continue de perdre son équilibre. Après trois ans de concurrence, Comores Telecom, au lieu de rectifier le tir en se remettant en cause et songer à une restructuration afin d’être capable de rivaliser, s’est enfermée dans sa bulle. Elle a multiplié les manœuvres visant à barrer la route au nouveau venu.
Contraint d’acheter deux puces
Une démarche qui s’est avérée contreproductive, selon Laurent Gille, professeur émérite en télécom Paris Tech, qui a réalisé une étude sur l’optimisation, l’utilisation et l’accès aux larges bandes aux Comores. Dans son rapport de 80 pages sorti au mois de juillet dernier, dont Al-watwan s’est procuré une copie, l’auteur s’est penché sur l’évolution du secteur des télécommunications qui, avec l’arrivée en 2016 d’une nouvelle société, a connu de nombreux soubresauts : absence d’interconnexion, refus de partage des infrastructures, etc. L’interconnexion mise en œuvre en 2017 fut bridée avec une capacité de 4E1. «Avec 60 circuits à destination du réseau mobile de son concurrent, pour plus de 100.000 abonnés, Telco s’est retrouvée confronter à une congestion. Face à ce blocage, Telco n’a eu d’autre choix que d’orienter sa politique commerciale vers la téléphonie on-net et surtout vers l’accès à internet», détaille le rapport de Laurent Gille. «Ce bridage d’interconnexion associé à des tarifs off-net élevés a produit un effet boomerang pour Comores Telecom», précise le rapport. Sans se rendre compte, l’opérateur historique a ainsi incité, d’une part, les consommateurs à s’équiper de deux puces pour pouvoir joindre les autres abonnés pour des raisons de couverture.
Des devises liées
aux infrastructures perdues
D’autre part, Telco en a profité pour accompagner ses promotions internet d’une promotion implicite des applications (WhatsApp, viber, Skype) pour joindre les abonnés de l’autre réseau. Résultat : Comores Telecom ne faisait qu’assurer le succès commercial de son concurrent et contribuait en même temps au développement de la téléphonie par la data à ses dépens tout en fragilisant ses propres recettes. L’opiniâtreté de la société nationale des télécommunications ne s’arrête pas là. Elle s’est manifestée également à l’heure du partage des infrastructures. Son blocage a poussé Telco à construire son réseau sur un délai très court en se servant des technologies Hertziennes. Certes l’opérateur historique jugeait les conditions posées par son concurrent intenables [Telco exigeait une fourniture régulière d’énergie]. Et que cela nécessiterait des investissements ce qui n’était pas possible étant donné le délai trop court, «mais ces investissements auraient pu être partagés avec le nouvel entrant», souligne le rapport.
La dénonciation des premiers accords de partage d’infrastructures n’a pas été suivie d’une renégociation mais elle s’est traduite de facto par un rejet de mutualisations des infrastructures existantes. Encore une fois, le refus de mutualiser les infrastructures s’est avéré contreproductif pour Comores Telecom. Telco a saisi l’occasion pour construire un réseau moderne avec une couverture meilleure sans aucune dépendance de la qualité du service de Comores Telecom. On n’en serait pas là si la mutualisation avait été acquise. Par conséquent, l’opérateur historique a perdu les recettes qu’aurait générées le partage d’infrastructure. «Les agissements de Comores Telecom sont similaires à ceux observés chez les sociétés nationales dans certains pays dès que celles-ci ont constaté la fin du monopole», note le rapport.
Une attitude qui s’est illustrée à la fois par le refus d’interconnexion et le partage d’infrastructures. Une réflexion de tarification monopoliste (élevée) a également été observée quand cela était possible. L’opérateur national refusait parfois le co-investissement sur des distances ridicules et imposant une location à des tarifs prohibitifs. Toutes ces pratiques peu orthodoxes se sont, selon les conclusions de Laurent Gille, retournées contre Comores Telecom.
Lire aussi: Hausse des tarifs des communications I Le régulateur dit vouloir «sauver le marché» des télécommunications
Conscient de la situation de l’opérateur historique, le gouvernement a déjà entamé les travaux de restructuration de Comores Telecom. Comme on dit, il n’est jamais trop tard pour mieux faire. Mais est-ce que les recommandations seront-elles appliquées à la lettre une fois que la mission aura transmis son rapport ?
Abdou Moustoifa