L’article 22 de la loi relative à l’état civil (Loi n°84-10 du 15 mai 1984) stipule que les “déclarations de naissance et de décès sont reçues et les actes qui les constatent sont dressés par l’officier de l’état civil du lieu de naissance ou du décès”. Sauf que dans les faits, on constate malheureusement des “triches” et des “abus” entretenues au mépris de cette disposition. À Mbeni par exemple, il y a eu mille-soixante-trois naissances en 2021 (lire notre article du lundi 7 février dernier). Et seulement trois-cents ont été enregistrées à la préfecture du Nord-est et à la mairie de Nyuma Msiru. En janvier 2022, il y a également eu soixante-quinze naissances pour moins d’une trentaine d’enregistrement de naissances à Mbeni. Alors comment expliquer un tel phénomène d’autant que Mbeni n’est pas un cas isolé ? Que risquent ceux qui enfreignent cette loi et pourquoi rien n’est fait pour endiguer le phénomène ? Le texte, qui date de 1984, est-il en harmonie avec son temps ?
Les faux en écriture publique
Pour Me Abdoulbastoi Moudjahidi, avocat au barreau de Moroni, il faut faire la nuance entre l’endroit d’où l’on est originaire et celui où l’on est né. Passé cette étape, il faut comprendre, selon lui, que constater une naissance dans un état civil autre que celui où est né l’enfant est tout bonnement une infraction à la loi. Un avis que partage son collègue, Me Saïd Hassane Saïd Mohamed qui estime à son tour qu’il s’agit clairement d’une pratique illégale, mais qu’il ne s’agit pas d’un “phénomène nouveau”. Outre la loi relative à l’état civil, le juriste évoque aussi le nouveau code pénal précisément sur les faux en écriture publique “qui sanctionne notamment les officiers d’état civil qui établissent des actes qui ne correspondent pas à la réalité”. À noter que sur ce dernier point, Me Abdoulbastoi Moudjahidi estime que le code pénal n’a pas lieu d’y interférer puisque “ce sont des faux-vrais documents établis par les personnes compétentes même si c’est sur une mauvaise base et qui contiennent des éléments inexacts donc le faux en écriture publique n’est pas valable ici”. L'intéressé renvoie à une autre disposition relative à la loi de 1984 sur l'état civil qui réprime ces agissements.
Du côté du ministère de l’Intérieur, un responsable qui travaille étroitement avec les maires affirme que ces derniers “ont déjà été alertés sur la situation, mais apparemment rien n’a changé”. À l’en croire, “les maires sont complices. Et ce sont deux motifs qui sont à l’origine de cette situation. D’abord, c’est une question de statistiques puisque chaque commune veut gonfler ses chiffres et n’hésite pas à outrepasser la loi et à tricher pour parvenir à cet objectif. Ensuite, il y a l’aspect financier. Ces mairies voient là une façon d’engranger de l’argent avec ces extraits d’acte de naissance. J’ai discuté avec le président de l’association des maires, mais dans les faits rien ne change. Ça a commencé avec l’hôpital de Sambakuni où quasiment personne ne veut enregistrer la naissance de son enfant et maintenant ça se repend à Mbeni et ailleurs”. Notre source promet de discuter à nouveau avec le président de l’association des maires, mais également avec le ministère de la Santé à travers le service des maternités pour que les transmissions des déclarations de naissance soient obligatoires dans les états-civils où lesdites naissances ont eu lieu. “Il y a clairement un problème d’organisation administrative”, affirme ce haut responsable du ministère de l’Intérieur.
Les communes récupèrent “administrativement” leurs enfants
Pour l’Association des maires de Ngazidja, que seules les communes disposant de maternités puissent établir des actes de naissance est “discriminatoire”. Dini Ahamada, maire de Bambao ya hari et président des maires de Ngazidja, estime en effet qu’actuellement seules quelques localités tirent leurs épingles du jeu et cela “n’est pas normal d’autant que c’est là notre seule source d’argent”. “Comment avoir des rentrées d’argent si les naissances sont constatées uniquement dans certaines communes”, se demande le maire de Bambao ya hari qui rappelle une rencontre avec l’ancien ministre de l’Intérieur, Mohamed Daoudou, consacrée à ce sujet mais qui n’a rien donné. “Rien n’a été fait et nous n’avons pas encore pu rencontrer son successeur, Mahamoud Fakridine”, a-t-il indiqué.
Pour les maires, “l’idéal serait de faire un autre texte et de le faire adopter à l’Assemblée nationale pour que les naissances soient effectivement déclarées dans les maternités concernées, mais que les actes qui les constatent soient réalisés dans les états-civils qu’auront choisis les parents. Ainsi, tout le monde sera gagnant et les statistiques ne seront plus erronées puisque si les choses restent en l’état, il n’y aura jamais de nouveau registre dans nos communes”. Néanmoins, Dini Ahamada insiste sur le fait que tant que le texte de 1984 sera en vigueur, “nous devons le respecter. On ne tolère pas la triche et on va se renseigner pour mettre en garde ceux qui enfreignent la loi. Si un changement doit venir, ça doit être dans le respect des textes et c’est dans cette logique que nous comptons faire nos propositions pour changer la donne”.
Le constat lié à la nécessité d’adopter une nouvelle loi, Dr Mistoihi Abdillahi le partage également. Le sociologue est formel et citera deux fois Montesquieu “une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi […] mais elle doit être loi parce qu’elle est juste” et “les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires”. Dans sa logique, Dr Mistoihi Abdillahi affirme ne pas comprendre pourquoi “un tel de Fumbuni doit avoir son extrait à Mbeni parce qu’il y est né”. Pour lui, il y a une nécessité d’avoir un dispositif de synchronisation des données sur l’ensemble du territoire. Cette situation est, selon lui, encore compliqué quand ça dépasse le cadre d’une ville à une autre et que ça concerne des îles.
“Imaginez si ma femme accouche à Ndzuani ou Mwali, ça voudrait dire qu’à chaque fois que je souhaiterais un extrait il faudrait me rendre là-bas. Vous voyez le problème ? Nous devons prendre en compte notre insularité, les moyens et conditions des Comoriens et faire bouger les lignes parce qu’aujourd’hui si les gens trichent, c’est justement parce que les conditions sont difficiles à respecter. Le système tel qu’il est poussera les gens à outrepasser la loi notamment à cause de la lourdeur de notre administration”, affirme-t-il.
Autre “cause poussant les gens à tricher, cette mentalité et ce communautarisme qui veut que mon enfant doit absolument naître là d’où je viens. Et si pour telle ou telle raison, il est né ailleurs, je dois tout faire pour qu’il soit inscrit à l’état civil d’où je vis quitte à tricher. Ce n’est pas normal”. Il faudrait donc, “créer un système et réformer la manière de travailler de notre administration. Les maternités doivent, elles aussi, enregistrer les naissances, mais inscrire que les parents veulent déclarer la naissance de leur enfant dans leur commune d’origine”.