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Légende du 4X4 noir : Un reflet de l’état d’esprit de la société

Légende du 4X4 noir : Un reflet de l’état d’esprit de la société

Société | -   Maoulida Mbaé

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La rumeur s’est répandue comme une trainée de poudre. Un 4X4 noir, non immatriculé, circulerait dans les villes pour enlever des enfants et les donner en sacrifice. Le Dr Abderemane Said Mohamed (Wadjih), anthropologue et spécialiste des contes, mythes et légendes, s’est attardé sur ce qui s’apparente à une légende urbaine. “Indicateur d’un état d’esprit de la société”, explique-t-il.

 

Tout le monde en a entendu parler, et tout le monde y croit dur comme fer. Et pourtant, aucun fait ne vient corroborer les dires des uns et des autres. C’est le propre de la légende urbaine, soit “une histoire moderne se rapprochant du mythe et se répandant de bouche à oreille”, explique le Dr Abderemane Said Mohamed (Wadjih), anthropologue, spécialiste des contes, mythes et légendes. L’auteur de L’héritier de l’incroyable, livre qui reprend sous forme moderne les légendes comoriennes, s’est livré sur la rumeur faisant état d’un 4X4 noir, dépourvu de plaque d’immatriculation, qui circule dans les villes, et effectue des rapts d’enfants à des fins de sacrifice. Une légende héritée, selon l’anthropologue, de l’Afrique de l’ouest.

Comment une telle rumeur a-t-elle pu prendre forme, jusqu’à plonger la population dans un état de psychose ? L’anthropologue évoque “une source unique que l’on ne peut identifier mais qui, comme la rumeur, va allumer la mèche”. Et à partir de là, “se répandre en un clin d’œil, mobilisant toute une communauté autour de cette légende”. Si le docteur affirme ne pas être en mesure de justifier l’existence des légendes urbaines aux Comores, il pense qu’elles servent à “exorciser les peurs profondes de la société”.

Il citera, pour le cas des Comores, la légende des Wana Issa, ces petits démons qui enlèvent les enfants lorsque le soleil est au zénith (pvo upvuli mruni) ; celle de Djamu fumtsanu, ce démon féminin qui séduit et s’empare des hommes ; ou encore la légende de Mdwa mbe, autre démon féminin qui enlève les gens en ville, au bord de la route ou bien en taxi. Entre ces trois légendes et celle du 4X4 noir, explique-t-il,

 

le schéma est le même, sauf qu’on a rajouté l’élément de sacrifice.

 

Le thème de l’enlèvement mystérieux est, par contre, vieux comme le monde. Tout cela s’apparente donc à du “recyclage”. “Le propre de la légende urbaine est de créer du neuf à partir du vieux”, précise l’anthropologue.


“La société cherche à exorciser ses angoisses”

Il ajoute que dans une société encore versée dans la superstition, la légende urbaine prend une dimension encore plus forte. D’autant que la légende (hadisi), à la différence du conte (hale), est censée être véridique, “les gens y croient vraiment”.
Le contexte actuel du pays, semble-t-il, n’est pas étranger à l’émergence de la légende, celle-ci se présentant comme un indicateur de l’état d’une société.

 

Le Dr Abderemane Said Mohamed reconnait un lien probable. Ces légendes apparaissent à des moments précis, où la société cherche à exorciser ses angoisses, ou autre… mais surtout que cette fois-ci, cette légende n’est pas neutre contrairement à d’autres. Elle vise une personne en particulier : le chef de l’État”. Cela, poursuit-il, est “probablement en lien avec les assises et la probable prolongation du mandat présidentiel. On veut donner une explication surnaturelle à cette possible prolongation, comme pour dire, cela ne relève pas de nous. Cela ne sera pas de notre volonté.


L’anthropologue prend soin de préciser que “cela ne relève pas forcément d’un désir conscient, calculé, de nuire”. Il coupe court à la supposition selon laquelle c’est telle ou telle opposition qui en est à l’origine. “La rumeur peut être lancée par un simple citoyen, en dehors de toute analyse, et reprise par toute la communauté qui ne voit pas forcément toutes les angoisses sous-jacentes et les implications politiques”, éclaire-t-il.

Quant à une éventuelle signe de désespoir ou de déchéance morale, il avance qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter car “cela n’est pas nouveau chez nous et ailleurs. Mais avoir une lecture intelligente, comprendre ce que veut exprimer au fond la société, à savoir ses angoisses, ses peurs, etc.”

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