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L’échec de la «révolution soilihiste», une leçon à méditer

L’échec de la «révolution soilihiste», une leçon à méditer

Société | -

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Ali Soilih avait une vision controversée du monde. Les rapports de forces, les jeux d’influences, les pressions semblaient être, pour lui, des fictions ou des réalités, acceptables uniquement par des responsables politiques peu soucieux de l’intérêt de leur pays. Dans l’exercice de son pouvoir, il s’est retrouvé dans un engrenage parce qu’il s’est mis en marge du concert des Nations et n’a jamais voulu s’aligner. Analyse.

 

Le président Ali Soilih n’a pas pu aller jusqu’au bout de son rêve de transformation de la société comorienne. Il n’a pas su consolider et préserver son pouvoir. Il aura seulement réussi à bousculer les mentalités et à semer un espoir. Le principal obstacle qui a été le nœud coulant, fut sa politique diplomatique. Les trahisons et les lâchetés d’intimes et de proches, la confrontation brutale permanente avec une partie de la population, les erreurs compréhensibles et les manquements manifestes ont joué un rôle mineur.


Bien entendu, on ne transforme pas une société sans entrer en conflit avec les valeurs, les habitudes, les intérêts dominants. Bien sûr, il a toujours existé et il existera toujours au sein des pouvoirs, des ambitions contradictoires, des relâchements dans la loyauté, un accaparement du magistère politique, des constructions de voies d’ascension individuelle, des jeux des coudes pour des bons positionnements, des désirs d’être au premier rang qui finissent par étouffer et étrangler le régime.

Mais, ces situations peuvent être contenues par la vigilance et la perspicacité, par l’incarnation de l’autorité et la force de décision.
Malheureusement, une compréhension erronée des relations internationales, un manque de réalisme dans l’appréciation du poids et de la voix du pays, peuvent être fatales pour le pouvoir. «Toujours les affaires du dedans seront assurées quand celles du dehors le seront», conseillait le Prince de Machiavel. Le pouvoir politique agissant en matière internationale puise sa force non seulement dans sa propre solidité, dans sa puissance de résistance et de tension, mais aussi dans la sûreté de ses ancrages.


Chaque Etat doit faire face à la société internationale et s’y intégrer. Il doit tenir compte de la rude compétition qui la caractérise, chacun défendant ses intérêts tantôt par la négociation et, en cas de nécessité, par la force. En gouvernance, l’une des prérogatives suprêmes est donc celle de la conduite des «affaires du dehors» dans une constante balance des vulnérabilités internes et des menaces extérieures.


Ainsi, la politique extérieure est-elle autre chose que la recherche permanente et la consolidation des situations favorables, la recherche de solutions aux problèmes de politique interne. Dans tous les cas, elle joue un rôle d’appui à la réussite de la politique interne et assure la survie du régime. Le jeu des dépendances entre Etats est tel que la dimension internationale est présente partout. Aucun calcul de politique intérieure ne peut la négliger. Les praticiens du pouvoir savent qu’en politique étrangère, on ne prend pas une décision parce qu’elle n’est pas juste et équitable, on ne l’approuve pas parce qu’elle n’est pas légitime et bien-fondée, on ne la soutient pas parce qu’elle n’est pas conforme au droit international.

On ne le fait pas, seulement et uniquement parce qu’elle est contraire aux intérêts du pays que l’on représente. Dans l’arène internationale, chacun interprète à sa manière le droit international, fait sa propre lecture des normes conventionnelles pour justifier ses prises de position et défendre ses intérêts. Alors, l’insularité des Comores, la décolonisation inachevée, la situation géostratégique dans cette zone convoitée, la forte dépendance économique, la structure sociale, ne peuvent pas être négligées dans la détermination de la politique extérieure.


Pour éviter les chantages et les déstabilisations liées à ces fragilités et ces vulnérabilités, la diplomatie doit assurer protection et défense. Pourtant, ces réalités n’ont pas semblé évidentes au président Ali Soilih. Dans sa démarche internationale, il s’est conduit en nationaliste radical, le verbe souverain, dévoilant une politique refusant de composer avec les réalités du monde. Croyait-il détenir une recette miracle pouvant mettre son pays à l’abri de la férocité des relations internationales et de la ferme volonté des grandes puissances d’user de tous les moyens pour préserver leurs intérêts?


Sa politique étrangère était, selon son ministre des Affaires étrangères, Mouzaoir Abdallah, non-alignée, obéissant à un neutralisme positif.
Dans le magazine Jeune Afrique n° 876 du 21 octobre 1977, il affirmait que les Comoriens «ont choisi une ligne complètement neutre, en théorie comme en pratique, et ce, malgré nos difficultés économiques».


Dans le document du Plan intérimaire, il est dit, en page 8 que «dès le début de l’année 1976, la décision fut prise de s’en tenir au non-alignement le plus strict». En page 31, il est stipulé que l’aide internationale, pour être acceptée sans risques, devrait se conformer à quatre critères : L’aide ne doit pas remettre en cause le non-alignement des Comores. Le neutralisme positif, adopté comme axe de la politique extérieure, conduit à refuser toute aide qui entraînerait trop nettement les Comores dans l’orbite de l’une ou l’autre des superpuissances, chaque aide doit respecter la souveraineté nationale et ces aides doivent être contrôlables. Elles doivent rester sous l’autorité et le contrôle de cadres nationaux susceptibles de suivre effectivement le déroulement du projet. Il est souhaitable que les experts qui viendront travailler aux Comores soient en affinité avec notre politique et nos méthodes. Il est préférable qu’une bonne partie d’entre eux soient jeunes et motivés.


Le président Ali Soilih respectera ses principes. Ils sont nobles certes mais angéliques. A les obéir, ils privent un pays exsangue, de l’aide internationale nécessaire à son redressement et à son développement. Le pouvoir n’avait aucun levier pour imposer ses préférences à d’éventuels partenaires. Ce «technocrate aussi audacieux que réfléchi» comme l’affirmait le journal français, Le Monde, daté du 05 août 1975, homme politique avisé, ne pouvait pas ne pas connaître les contraintes d’un Etat faible et sa souveraineté limitée. Il ne pouvait pas ne pas savoir que sa politique interne, qui n’avait pas de «tuteur idéologique», qui était chahutée, malmenée et sans soutiens ni relais extérieurs, qui heurtait des intérêts étrangers, ne pouvait pas perdurer.

Alors, sa chute, le 13 mai 1978 est l’échec du romantisme et de l’utopie en politique, la preuve que maîtriser la situation nationale ne suffit pas à servir de bouclier pour le régime. Elle dénote la faiblesse de sa politique extérieure qui n’a pas su protéger le pouvoir et sa politique interne. Dans les relations internationales, le neutralisme politique est difficile à concevoir. Georges Shultz, alors secrétaire d’Etat du président américain, Ronald Reagan, n’hésitera pas à affirmer, dans Jeune-Afrique n° 1275 du 12 juin 1985 en page 44 : «En tant qu’Américain, il m’est impossible d’accepter la présence de marxistes à nos portes». Cette conception se dresse contre la souveraineté des Etats, la liberté de chaque peuple à choisir ses dirigeants et sa voie de développement. Mais, ainsi va le monde!


Ali Soilih avait une vision controversée du monde. Les rapports de forces, les jeux d’influences, les pressions semblaient être, pour lui, des fictions ou des réalités, acceptables uniquement par des responsables politiques peu soucieux de l’intérêt de leur pays. Dans l’exercice de son pouvoir, il s’est retrouvé dans un engrenage parce qu’il s’est mis en marge du concert des Nations et n’a jamais voulu s’aligner. Il s’est enfermé dans la logique d’une idéologie verticale pour ne raisonner qu’en termes d’absolu. Ce qui lui restait de charisme et ses convictions, seuls, ne pouvaient l’aider à relever les défis qu’il s’était lancé : l’édification d’un Etat, la construction socialiste et la reconquête de l’intégrité territoriale.

Ahamada Hamadi, ambassadeur des Comores en France

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