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Maintien du couvre-feu I Qu’en est-il de nos libertés ?

Maintien du couvre-feu I Qu’en est-il de nos libertés ?

Société | -   Abdallah Mzembaba

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Depuis le 24 avril dernier, le pays doit composer avec un couvre-feu qui court aujourd’hui de 23h à 5h du matin. Une décision qui a été prise par le chef de l’Etat, Azali Assoumani, pour lutter contre la propagation de la Covid-19. Al-watwan a donné la parole à quatre juristes et leur a posé ces questions : le couvre-feu est-il légitime ? Le respect du droit d’aller et venir tel que posé par la Constitution est-il mis à mal ? Quels sont aujourd’hui les faits qui peuvent justifier la mise en place de ce couvre-feu ?

 

Yhoulam Athoumani, juriste, doctorant en droit public
Depuis le 24 avril 2020, un couvre-feu a été instauré. Cette mesure prise par le président est justifiée par l’existence d’un risque de propagation de la Covid-19 auquel la population est exposée et par sa finalité de lutter contre cette propagation. Certainement, il limite la liberté d’aller et venir mais cela est justifié par l’article 31 de la Constitution : «tous les citoyens jouissent de la liberté d’aller et venir, sauf dans les cas de restriction prévus par la loi». Pour ce faire, la loi peut accorder aux autorités administratives des pouvoirs leur permettant de prendre des mesures de police administrative pouvant restreindre ces libertés.
C’est le cas lorsqu’il y a une urgence sanitaire. On sait très bien que le chef de l’État joue un rôle de police administrative, laquelle comprend aussi la salubrité. Par salubrité, il s’agit de prendre des mesures afin de lutter pour l’hygiène publique et contre les épidémies. Sans doute, la lutte contre la Covid-19 constitue une urgence sanitaire. À cet effet, le président, investi de pouvoir de police administrative, se trouve dans la nécessité de prendre des mesures urgentes de police administrative (à ne pas confondre avec l’état d’urgence) destinées à lutter contre la propagation de cette pandémie. Cela dit, même si ce couvre-feu provoque des restrictions à nos libertés, en revanche, sa mise en œuvre est légalement justifiée. Le code de la Santé publique de 2011, abrogé par la loi du 23 juin 2020, autorise les autorités administratives à prendre des mesures nécessaires en vue d’empêcher la propagation d’une épidémie. Dans l’intérêt de protéger la population, des mesures urgentes de police administrative sont nécessaires pour faire face à ce danger imminent, celui de la Covid-19.

Moudjahidi Abdoulbastoi, avocat au barreau de Moroni
Le couvre-feu décrété par le président Azali Assoumani est une mesure illégale, car il entrave les droits et libertés constitutionnelles, surtout le droit d’aller et venir, garanti par l’article 31 de la Nouvelle constitution. En effet, des restrictions à ces libertés sont autorisées par l’article 19 de la Constitution, mais, à condition que cela se fasse dans le cadre de l’état de siège ou de l’état d’urgence. Or, jusqu’à aujourd’hui, ni l’état d’urgence, ni l’état de siège n’ont été décrétés sur le territoire national. Cela rend illégal cette mesure restrictive de liberté. Autrement dit, pour pouvoir suspendre, ne serait-ce que pour des heures de nuit, la liberté d’aller et venir, il aurait fallu, au préalable, que le chef de l’État décrète, en conseil de ministres, un des régimes restrictives de liberté prévus par la Loi du 3 avril 1878 et la Loi N°55-385 du 3 avril 1955, pour une durée de 12 jours. Passé ce délai, il reviendrait à l’exécutif de saisir le parlement pour obtenir sa prorogation. Force est de constater qu’aucune de ces dispositions n’a été respectée.

Mounawar Ibrahim, juriste de formation et romancier
Le couvre-feu n’est aucunement une entorse à la Constitution. Celle-ci disposant en son article 31 : «tous les citoyens jouissent de la liberté d’aller et venir, sauf dans les cas de restriction prévus par la loi». Ceci étant, le couvre-feu peut être considéré comme un cas prévu de restriction de cette liberté d’aller et venir. Et le contexte pandémique de Covid-19 en est une parfaite justification. Toutefois, lorsque cette mesure est laissée à la seule appréciation du gouvernement, sans aucun contrôle de légalité, comme c’est le cas chez nous, énormément de questions demeurent légitimes.
On est en droit de s’interroger sur le texte qui définit les contours de ce couvre-feu ; sa situation dans le temps principalement. Dans d’autres cieux, c’est une loi sur l’état d’urgence sanitaire qui nous aurait éclairés. Venons-en à l’amende des 25.000 francs. De prime abord, c’est légal. Le code des contraventions dispose que seront punis d’une amende de cinq mille francs jusqu’à trente mille francs ceux qui auront contrevenu aux décrets et arrêtés légalement faits par l’autorité administrative ou aux arrêtés publiés par l’autorité municipale. Le problème, cette amende est opérée hors cadre légal. Ce n’est pas à la gendarmerie ou au commissariat de police que ça doit se passer. Plutôt au tribunal de simple police. C’est d’ailleurs au juge de déterminer la somme exacte, en fonction des circonstances et non dans l’arbitraire.

Abdou Elwahab Msa Bacar, avocat au barreau de Moroni
Il est vrai que l’article 31 de la Constitution garantit à tous les citoyens la liberté d’aller et venir. Mais cette liberté peut connaître de restrictions. Le couvre-feu en constitue une en ce qu’il interdit à la population de circuler dans la rue à une certaine période. La mesure requiert deux conditions et à mon sens elles sont remplies. D’emblée, il faut l’existence d’un risque particulier. Nul ne peut nier la menace de la Covid-19 et ses risques de contaminations. Enfin, il faut que la mesure soit adaptée par son contenu à l’objectif de protection pris en compte. La mesure ne méconnait pas les dispositions constitutionnelles, étant entendu qu’il est bien établi par les services de santé que le virus circule activement dans notre pays et tous les jours des nouveaux cas sont annoncés. Le couvre-feu se justifie même s’il est vrai qu’il restreint la liberté d’aller et venir.

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