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Mamadou Boina Maecha : «Si une femme décède, c’est un droit en santé de la reproduction qui n’est pas respecté»

Mamadou Boina Maecha : «Si une femme décède, c’est un droit en santé de la reproduction qui n’est pas respecté»

Société | -   Abouhariat Said Abdallah

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À l’occasion de la célébration des 25 ans de la Conférence internationale de la population et le développement (Cipd) et les 50 ans de l’Unfpa, nous avons interrogé le représentant résidant de l’Unfpa, Mamadou Boina Maecha, pour savoir les avancées enregistrées depuis la conférence de 1994 au Caire. Dans cette interview, nous avons abordé les questions relatives à la Cipd, l’autonomisation des jeunes, l’égalité du genre, la santé de la reproduction, entre autres. Interview.

 


Nous célébrons, cette année, les 25 ans de la Conférence internationale sur la population et le développement, parlez-nous des progrès accomplis depuis 1994 ?


 


2019 coïncide avec la 25ème année de la Conférence internationale et le développement (Cipd) qui s’est tenue au Caire en 1994. 179 gouvernements ont adopté le programme d’action révolutionnaire, qui a fait appel aux droits des femmes et de leur santé en matière de reproduction. C’est cette année que la Cipd a mis en exergue les droits de santé de la reproduction pour les femmes. Il y a eu un plan d’action qui devrait être mis en œuvre dans le monde entier et c’est l’Unfpa qui avait le leadership. Tous les cinq ans, il y a eu des évaluations qui ont permis de voir les progrès réalisés et les résultats atteints en matière de droit en santé de la reproduction. Vous conviendrez avec moi qu’il y a eu des avancées notamment en termes de droit en matière de santé de la reproduction. C’est la conférence qui a évoqué le terme «droit en santé de la reproduction». Bien sur, il y a eu pas mal de progrès mais, comme l’indique le rapport sur l’état de la population publié cette année par l’Unfpa, c’est «une tâche inachevée». C’est la raison pour laquelle les pays vont se réunir après 25 ans pour voir ce qu’il faut améliorer.


Comment vous préparez-vous pour le Sommet de Nairobi sur la Cipd ?


 


C’est un rendez-vous très important pour l’Unfpa. Du Caire, en 1994, à Nairobi en 2019, la lutte pour la question des droits et des choix se poursuit. 2019 marque le 25ème anniversaire de la Conférence internationale sur la population et le développement, mais on célèbre aussi le 50ème anniversaire de la création du Fonds des Nations unies pour la population. Pour l’Unfpa, c’est quelque chose de très particulier. Non seulement on doit s’assurer d’une analyse des résultats atteints depuis 1994 et des engagements de notre organisation depuis sa création mais aussi voir l’avenir. Comment allons-nous mettre en œuvre ce programme d’action de la Cipd ? On a dit que c’est une tâche inachevée. Nairobi sera donc l’occasion pour voir comment achever cette tâche à laquelle nous nous sommes engagés. L’Unfpa en collaboration avec le gouvernement kenyan qui est le pays hôte et en partenariat avec les pays membres, les organisations de la société civile, les partenaires du secteur privé doivent mobiliser les fonds pour pouvoir s’engager pour la continuité de ce programme et à montrer que sa continuité aide aussi à l’aide des objectifs de développement durable.


Quelles sont les actions réalisées aux Comores et leurs impacts sur nos droits aujourd’hui ?


 


Au niveau des Comores, on peut se dire qu’il y a beaucoup de progrès. Après 25 ans, si vous regardez les indicateurs sociodémographiques, vous verrez qu’il y a eu des changements. En termes de fécondité par exemple, il y a 25 ans, le taux de fécondité était de 6 à 7 enfants par femme, 25 ans après le taux est passé à 4,3 grâce à ce programme. En termes de mortalité maternelle, il était à 517 décès sur 100.000 naissances vivantes (N/v), il y a deux décennies, actuellement le taux est de 172 décès sur 100.000 N/v, soit une réduction de 70%. En termes de droit de la femme, de la promotion, l’égalité du genre, il reste beaucoup à faire, mais il faut reconnaitre que le mot égalité et équité du genre est reconnu dans tous les documents des programmes politiques et dans les discours des autorités. Maintenant, il reste des mesures concrètes pour faire promouvoir cette égalité entre homme et femme.


Vous venez de confirmer que plusieurs actions ont été engagées pour la réduction de la mortalité maternelle. Si on connait une diminution des cas pour les 100 000 naissances vivantes, les chiffres restent en hausse. Comment comptez-vous y remédier ?


 


Comme je viens de le dire, actuellement, on est à 172 décès pour 100 000 N/v et ce taux place les Comores parmi les pays en bonne position au niveau du continent africain. Les Comores peuvent se féliciter pour les progrès qu’elles ont eus au niveau de la réduction de la mortalité maternelle. Mais n’empêche, qu’il faudrait poursuivre le travail car on ne peut pas laisser une femme mourir en voulant donner la vie. Au niveau de l’Unfpa, nous accompagnons le gouvernement car c’est un de nos résultats phares transformateurs d’ici 2030. Accompagner les pays à avoir zéro décès maternel évitable. Parce que si une femme décède, c’est un droit en santé de la reproduction qui n’est pas respecté.


Quels sont les défis à relever pour accompagner les pays afin de pouvoir finir l’agenda et parler de succès au sommet de Nairobi en novembre?


 


On a dit que c’est une tâche inachevée, il reste beaucoup de choses à faire. A l’ère de l’évolution démographique, il faut voir les droits en santé de reproduction qui sont menacées, par exemple pour le cas des Comores, les produits contraceptifs sont là, mais l’accès à ces produits n’est pas automatique. La dernière enquête démographique a montré que 32% de femmes en âge de procréer n’ont pas accès aux produits contraceptifs. C’est un droit qui n’est pas réalisé, les financements doivent remédier à l’insuffisance de ce service. Concernant le système d’information sanitaire, il faudrait que le système puisse informer sur les programmes et les politiques pour pouvoir changer les mentalités et orienter les programmes. Je dirais que pour l’agenda du Caire, aussi bien pour les Comores que partout dans le monde, la lutte pour la question des droits et des choix doivent se poursuivre.


Justement, 32% des femmes ont des besoins non satisfaits en planification familiale aux Comores. Comment l’Unfpa envisage-t-elle régler ce problème pour inverser la tendance ?


 


Aux Comores, l’enquête démographique réalisée en 2012 a montré que 1/3 de la population féminine en âge de procréer n’a pas accès à la planification familiale. Nous avons trois résultats à atteindre d’ici 2030. Zéro décès maternelle évitable, zéro besoin non satisfait en planification familiale et zéro violence basée sur le genre. Comme c’est un des résultats visé par l’organisation, le bureau pays de l’Unfpa s’investit au niveau du gouvernement pour réduire ces besoins non satisfaits. Suite à l’enquête de 2012, l’Unfpa a mené une étude en 2014 pour essayer de comprendre pourquoi ces femmes n’ont pas accès à la Pf, et pourtant les produits sont disponibles. L’étude a révélé des barrières socioculturelles, des obstacles culturelles, des femmes sont empêchées par leurs maris, certaines n’ont pas la possibilité de se prendre en charge elles-mêmes et d’autres n’ont pas d’informations, pourtant les produits sont à la portée des gens. En 2015, nous avons relancé la Pf au niveau de Ndzuani et, actuellement, un des programmes en matière de santé de la reproduction vise la mobilisation, le lancement de la planification familiale au sein de la population.


Qu’est ce qui a changé, aux Comores au niveau de l’égalité du genre et des droits des femmes?


 


A mon avis, au niveau de l’égalité de genre, il y a eu des acquis mais il reste encore à faire. Permettez-moi de faire un petit rappel, il y a eu plusieurs phases avant d’arriver à cette égalité de genre. Aux années 90, on parlait de l’intégration de la femme au développement, puis on est arrivé à une phase où on parlait de promotion de la femme, maintenant on parle d’égalité et d’équité de genre. Ces étapes ont permis une conscientisation au niveau de la population et des autorités. Je prends un exemple, en 2009 ; quand l’Unfpa avait publié un rapport sur une enquête, «focus group», qui montrait les violences faites aux femmes, ça a fait un bruit, maintenant tout le monde reconnait que la violence est faite aux femmes. Il y a cette conscientisation, les gens qui sont violés ou agressés sont capables d’aller dénoncer ces actes alors qu’avant, cette dénonciation était impossible. La population a pris conscience qu’il y a des droits qui sont violés et des droits qui doivent être respectés. Après cette conscientisation il faut aller dans les mesures concrètes et montrer les acquis en matière de droits des femmes.


Selon vous, comment peut-on régler la question de l’emploi dans le cadre du programme de l’autonomisation des jeunes avec une population en âge de travailler en perpétuelle hausse?



La population en âge de travailler va continuer à augmenter, même si le taux de fécondité diminue. Cependant, pour des pays comme les Comores, qui connaissent actuellement une baisse du taux de fécondité et une baisse du taux de mortalité, la proportion de la population active va augmenter. Mais ce n’est pas un problème en soi. Ces pays qui sont considérés comme des pays en transition démographique, il y a une opportunité qui s’offre à eux pour pouvoir supporter ces problèmes. Le dividende démographique se définit comme l’avantage économique tiré d’une proportion relativement importante de personnes en âge de travailler au sein de la population. Ces pays peuvent bénéficier de cette fenêtre de dividende démographique, s’il y a des mesures d’accompagnement des gouvernements. Le pays doit accélérer la transition de la fécondité, améliorer le capital humain à savoir la santé de la population et la formation, épargner et investir dans les activités rentables, créer de nombreux emplois à forte productivité et surtout avoir un environnement juridique et politique stable.


Propos recueillis par
Abouhariat Said Abdallah
Photos : Ibrahim Youssouf

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