C’est sous un soleil de plomb, puisque midi avait sonné, que nous prenons le chemin vers le nord, soit les régions de Mitsamihuli et Mbude. Il a fallu continuer le chemin tout droit jusqu’à ce que nous arrivions à Shamle ya Mbude. Il faut dire que dans les marchés des autres localités, ce n’était pas la joie. Le marché de Shamle se trouvant sur la route, sur une zone qui permet aux automobilistes de se garer facilement, les activités ne pouvaient qu’être plus animées. Ici, plusieurs femmes tiennent leurs étals. Agréable surprise d’entrée ! Il est possible dans ce marché d’acheter un tas de manioc à raison de 500 fcs alors que dans tous les autres marchés, les prix commencent à partir de 1000 fcs.
On y voit donc des tarots, des patates douces, du manioc, des bananes vertes, des bananes mûres, entre autres. Malgré toutes les femmes qui s’y trouvent, nous avons eu le mal du monde pour décrocher un mot de l’une d’entre-elles. Il a fallu insister, user de toutes les astuces, les mettre devant les faits, les séduire pour pouvoir décrocher l’approbation d’Amina Hassani qui refusera catégoriquement, dans un premier temps, la présence de la caméra et de l’appareil photo avant de finir par céder face à notre persistance. Pour elle, certes le cyclone a fait des dégâts considérables avec notamment les cultures complètement ravagées.
Toutefois, elle estime toujours avec le sourire et les moqueries des autres femmes, que son activité se porte mieux contrairement à ailleurs selon les dires qui sont venues jusqu’à son oreille. « On se déplace dans les autres localités à la recherche des produits qui, d’ailleurs, - certains - sont tombés à l’image des régimes de banane. On ne cultive pas nous-mêmes mais on est dans l’obligation de nous rendre dans les autres villages notamment à Ipvembeni et Helendje. Aujourd’hui, l’achat d’un sac de patates s’achète à 15.000 voire 17.500 fcs alors qu’avant Kenneth, on l’avait à 10.000 fcs. Sur la base du cyclone, nos fournisseurs ont augmenté sensiblement les prix même sur les produits tels que les patates ou le manioc qui ne sont pas directement impactés par la catastrophe naturelle », précise-t-elle toujours déconcentrée par ses voisines.
Fin du manioc légendaire de Shamle
Amina Hassani affichera son incompréhension devant les reproches des clients qui estiment, à tort ou à raison, que les prix sont prohibitifs au regard de la quantité des produits.
Tenant compte des prix que nous payons pour un sac de produits, nous pensons que nous vendons à des prix très accessibles. Parfois, il nous arrive de vendre à perte ou au mieux, de gagner 1000fcs par sac mais vous n’êtes pas sans savoir que nous payons le transport, 500 fcs par sac », continue-t-elle de déplorer.
Malgré ces reproches, aussi bien des vendeuses que des acheteurs, les produits s’écoulent facilement sur le marché de Shamle. Les commerçantes préciseront, en effet, que des acheteurs viennent de très loin, notamment de la région Hamahame, pour s’approvisionner. Celles qui tiennent les activités dans le marché affichent leur satisfecit en ce sens que les activités commencent tôt le matin pour prendre fin carrément le soir et « personne ne rentre bredouille après s’être déplacée ».
Force toutefois est de reconnaître que le rythme d’arrivée des clients n’est pas aussi soutenu du moins au moment de notre passage. Nous essayions de nous approcher d’une autre femme. « Je vous dis d’acheter mes coco-sec. C’est tout ce que je peux vous dire », lancera la dame à notre direction avant de prendre congé de nous et de s’engouffrer dans ses activités. Au marché de Shamle, seuls les clients venus d’ailleurs y trouvent leur compte. C’est du moins ce que nous a expliqué Moindjié Msoili, un père de famille rencontré sur place.
« La population locale pense que ces prix sont exorbitants. On avait même fermé ce marché pour inciter les vendeuses à revoir leur tarification. Nous sommes conscients que les produits sont moins chers ici pour les habitants des autres villages mais en ce qui nous concerne, on ne partage pas cet avis. Nous pensons que les produits étaient accessibles avant, toutefois, au regard de ce qui se passe dans des marchés comme à Ntsaweni, on se dit qu’on est mieux loti. Au regard du flux de voiture qui s’arrêtent et des voisins qui affluent, on estime que les clients venus d’ailleurs y trouvent leur compte. Ce matin (samedi dernier, ndrl), j’étais avec des amis de Bangwa Kuni qui faisaient les provisions d’une semaine pour vous dire combien ils trouvent les prix assez accessibles », regrette-t-il avant de concéder qu’effectivement les choses ont foncièrement changé. « Celui qui cultive un produit lui-même le vend moins cher, tout le contraire de celles qui vont acheter ailleurs. Or, le manioc dit de Shamle, on en a fini avec puisqu’on cultive uniquement des tarots. Notre manioc était légendaire mais tout ça s’est fini », devait-il déplorer.
Les prix seraient loin d’être abordables
Après quelques trente minutes passées dans cette localité autrefois reconnue pour la qualité de son manioc, nous avons repris notre chemin vers la capitale du Nord, Mitsamihuli. Direction, le grand marché. D’emblée, nous constatons qu’il y a beaucoup de monde.
Les taxis de la région et les bus en partance pour Moroni font qu’il y a de l’ambiance et les potentiels clients affluent massivement au marché. Outre le monde, les produits y sont en abondance mais les prix seraient loin d’être abordables, du moins selon les différentes personnes venues faire leurs emplettes.
Autre impression pour ne pas dire stupéfaction, les régimes de bananes ne sont pas dépouillés alors qu’ailleurs, il était question de tas dont les prix commençaient à partir de 1.000fcs. « Si vous voulez des bananes, il faudra nous dire combien d’argent vous en avez. Pour 500fcs, vous aurez droit à six tiges de bananes pour le Kontrike ou Ikame. Les autres types de bananes peuvent se vendre par tas », nous expliquera une vendeuse alors qu’à la base, nous pensions qu’elles ne vendaient que par régime.
En réalité, les gens n’ont pas d’argent et pourtant, au regard des dégâts causés par le cyclone, les trois prochaines semaines du Ramadhwani seront sans produits agricoles. En tant que vendeuses, nous allons profondément en pâtir. Il suffit de regarder ce qui se passe actuellement. Les gens n’achètent pas pour cause de manque d’argent. Selon nos prévisions, il faudra résister pendant plus d’un pour revoir de nouveau des bananes », expliquera Maman Abidina.
Du côté des vendeuses de poisson, le kilo s’écoule à 3.000fcs. Elles expliqueront que les poissons sont portés disparues, les pécheurs ne badinent pas avec le peu de prise qu’ils ont réussi raison pour laquelle, les vendeuses ne peuvent pas vendre le kilo à 2.000fc.
Les prix pratiqués au marché de Mitsamihuli sont révoltants selon les clients. « L’on a l’impression que les commerçantes tirent profit de la situation. Certes, le cyclone a fait des ravages dans les plantations sauf que les tarots ne sont pas concernés. Les bananiers sont tombés certes, mais ils ont pu récupérer les bananes. Ces produits ne sont pas passés par la douane non plus. J’ai vu que pour la première fois, les vendeuses comptaient le nombre de tige de banane avant de vendre. Au rythme où vont les choses, l’on n’aura pas le choix que de nous concentrer sur la farine et le riz », rouspète Abdillah Moindjie, un client venu depuis Mbeni. Selon ce dernier, se rendre au marché chaque jour nécessite un budget minimum de 5.000fc, « ce qui est inaccessible » pour le Comorien lambda.