Quels sont les principes constitutionnels qui encadrent la liberté de culte aux Comores ?
La liberté de culte se définit comme la liberté de pratiquer sa religion, seule ou en commun. Elle n’est pas expressément citée dans la Constitution actuellement en vigueur aux Comores. Toutefois, elle forme, avec la liberté de conscience, les deux principaux composants de la liberté de religion qui, à son tour, est garantie à travers le principe d’égalité de tous devant la loi, sans distinction de religion, principe consacré par l’article 2 de l’actuelle constitution de l’Union des Comores. Je rappelle également que la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, dans son article 18, et la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples de 1981, dans son article 8, consacre chacune la liberté de culte et de religion. La première fait partie de notre bloc de constitutionnalité, à travers le préambule de la Constitution de 2018. Et la seconde est ratifiée par les Comores en 1986 et donc s’impose à l’Etat comorien. Donc, de par la Constitution et les engagements internationaux pris par les Comores, ces derniers sont tenus de faire respecter la liberté de culte et la liberté de religion.
Comment s’articule cette liberté avec l’officialisation de l’islam comme religion d’État ?
Souvent les gens invoquent l’officialisation de l’islam comme religion d’Etat par l’article 97 de la Constitution pour justifier les entraves à la liberté de culte et de religion aux Comores. Or, si vous vous intéresser à l’art de l’interprétation des textes de loi, vous verrez bien qu’il y a un principe appelé «l’unité d’un texte» qui voudrait que l’interprétation d’une disposition légale se fasse en relation avec l’ensemble du texte dont est issue cette disposition. Autrement dit, on ne peut pas isoler un article de la Constitution et lui donner une signification qui risque d’anéantir d’autres dispositions de la même constitution.
Cependant, si vous mettez en balance l’article 2 de la Constitution, relatif au principe d’égalité de tous devant la loi sans discrimination religieuse, et l’article 97 de la Constitution, relatif à la religion d’Etat, vous verrez que la seule interprétation possible et en accord avec le principe de l’unité d’un texte serait que l’Etat comorien s’est donné une religion officielle dans le respect de chacun d’adopter librement la religion qui lui convient.
Donc, ces deux articles constitutionnels n’ont pas forcément une interprétation contradictoire. Ils peuvent coexister sans risque de heurts majeurs.
La loi garantit-elle une protection spécifique pour les lieux de culte appartenant à des communautés non musulmanes, comme celles fréquentées par des étrangers ?
Les articles 166 et 167 du Nouveau Code pénal sanctionnent jusqu’à 6 mois de prison l’entrave au libre exercice du culte. Ils punissent jusqu’à 5 ans de prison et 1 million de francs comoriens d’amende, la dégradation intentionnelle d’un immeuble destiné à la célébration d’un culte, ainsi que la détérioration d’un ouvrage ou d’un objet sacré. Il y a également l’article 176 du Code pénal qui interdit la profanation des lieux et des objets de culte. Ces dispositions du Code pénal ne distinguent pas le culte musulman des autres cultes. Autrement dit, toutes les religions bénéficient théoriquement de cette protection légale.
Quels sont les droits religieux spécifiques des étrangers résidant ou de passage aux Comores ? En quoi diffèrent-ils, si tel est le cas, de ceux des nationaux ?
Théoriquement, il n’y a aucune protection spécifique des étrangers en matière de liberté religieuse.
Les articles 8 et 18 de la Constitution accordent les mêmes droits, autant aux étrangers qu’aux citoyens comoriens, à l’exception des droits politiques réservés aux derniers. Seulement, en droit international, les étrangers résidant aux Comores peuvent bénéficier de ce qu’on appelle la protection diplomatique de leurs pays respectifs en cas de manquement graves aux principes de droit des gens. Ce qui est, en soi, une protection supplémentaire qui les distingue des citoyens comoriens.
Quels sont les droits des minorités religieuses (chrétiennes, ahmadiyya, chiites…) aux Comores ? Sont-elles soumises à des obligations spécifiques (déclaration, enregistrement, etc.) pour pratiquer leur culte ?
Il n’existe aucune disposition légale qui soumet d’exercice de la liberté de culte et de religion des étrangers à une autorisation, déclaration ou enregistrement. Seulement, il se trouve que les rares églises et cultes minoritaires qui exercent aux Comores s’organisent en associations. Et lorsque ces associations ont leur siège à l’étranger, ont des dirigeants étrangers ou sont composés d’un quart au moins de membres étrangers, elles sont soumises à une obligation d’autorisation préalable. Donc, ce n’est pas la liberté de culte qui est soumise à une autorisation préalable, mais plutôt la liberté d’association pour les étrangers organisés pour leur culte.
Quant aux droits des minorités religieuses aux Comores, nous savons tous que, dans la pratique, des entraves à la liberté de culte persistent encore, malgré les dispositions constitutionnelles claires et les engagements internationaux pris par les Comores. L’exemple le plus illustratif est l’arrestation, le 17 juillet dernier, d’un groupe de chiite à Ngazidja et un autre à Ndzuani, à l’occasion de la célébration de leur fête de l’Ashura, une des grandes fêtes de la communauté chiite dans le monde. Ces entraves organisées par les autorités administratives du pays dans l’intention de les empêcher l’exercice libre de leur culte, quitte à les libérer plus tard sans aucune inculpation, constituent des violations de leur liberté de religion, couplée d’une violation de leur droit à une vie privé, car ces arrestations ont eu lieu alors qu’ils célébraient leur fête dans des domiciles privés.
Y a-t-il des restrictions légales concernant la pratique du culte non musulman dans des lieux privés ou communautaires ?
Comme je l’ai souligné tout à l’heure, il n’existe pas de restrictions majeures. De mémoire, je peux citer une seule restriction qui est celle de propager une religion autre que l’islam auprès des musulmans, ou celle qui consiste à leur distribuer des brochures ou des livres divulguant une religion autre que l’islam. Ces sont des infractions punies par l’article 175 du Nouveau Code pénal. Certes, ce sont des dispositions liberticides, mais elles sont les seules, à ma connaissance, qui sont restrictives de la liberté de culte et de religion aux Comores. Toutes les autres restrictions constatées dans la pratique ont un caractère abusif, voire même contraires à la loi.
La société comorienne est-elle prête, d’après vous, à intégrer plus largement la reconnaissance de la liberté de culte pour des communautés non musulmanes ?
Je ne vois aucune raison qui empêcherait cela. Les valeurs de liberté et d’égalité sont des valeurs universelles incarnées par l’ensemble de la communauté humaine depuis la nuit des temps, que ce soit en Afrique avec la Charte de Kouroukan Fouga de1236 ou en Europe avec la Magna Carta de 1215. Ces mêmes valeurs sont admises par les différentes religions, notamment l’islam, partagée majoritairement par les Comoriens. Dire que la société comorienne n’est pas prête pour reconnaître la liberté de chacun revient à infantiliser les Comoriens et à les traiter intellectuellement de sauvages et d’incapables.