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Mobile Money I Pourquoi le secteur peine-t-il à décoller ?

Mobile Money I Pourquoi le secteur peine-t-il à décoller ?

Société | -   Abdou Moustoifa

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En deux ans d’activités, le mobile money a vu un des opérateurs se retirer du marché. Si sur le continent, le secteur a connu pendant cette période de pandémie un développement spectaculaire, la tendance n’a pas été la même aux Comores. En 2020, le nombre de comptes électroniques ouverts s’élevait d’ailleurs à 109 206. Une régression de 37% par rapport à 2019.

 

Partout, dès qu’on parle de mobile money, le mot qui revient directement à l’esprit est la réduction de la circulation de l’argent liquide. Très développée dans de nombreux pays d’Afrique, notamment au Kenya, ce service est considéré comme un élément catalyseur favorisant l’inclusion financière. Aux Comores, la monnaie électronique a fait son entrée en 2018. A cette époque, seule Wari occupait le terrain. Mais, ce n’est que l’année suivante, qu’elle a officiellement démarré ses activités. Parallèlement, deux sociétés – Telco Money et la Banque de développement des Comores, ont lancé leurs propres solutions.

Utilité

Mvola pour la premier et Holo pour la Bdc. Si deux ans plus tard, la liste des solutions de paiement électronique ne cesse de se rallonger [Comores Telecom a lancé en juillet Huri Money], le Mobile money ne suscite pas pour autant un engouement chez les comoriens, qui, d’après le dernier rapport de la Banque centrale continuent d’utiliser encore plus de cash.

 

“Globalement, on constate une régression du secteur “, reconnait Farouk Abdou, agent de la supervision bancaire, au sein de la Banque centrale.“Certes, au début il y avait cette euphorie grâce notamment aux promotions qui accompagnaient le lancement des activités. Mais, on s’aperçoit que l’appropriation de ces nouveaux systèmes de paiement par le consomateur lambda, se fait toujours attendre”, a-t-il fait remarquer, au cours d’un entretien, accordé à Al-watwan.


Cette effervescence observée au début de l’ouverture du marché, tous les acteurs du secteur l’ont aussi vécue. Sauf qu’après, la ferveur s’est réduite comme une peau de chagrin, et a très vite laissé place au désenchantement. Ce ralentissement, on le constate même durant l’exercice 2020, passé à la loupe par les experts de la Banque centrale des Comores. En effet, dans son rapport annuel, la Bcc a noté une baisse de certains indicateurs.D’abord dans l’ouverture des comptes électroniques. En 2020, ceux-ci s’élevaient à seulement 109 206 contre 175 596 un an plutôt. Soit, donc 66 390 de moins par rapport à 2019.

Habitudes

Les comptes dormants ont également grimpé. Sur les 109 206 comptes mobiles ouverts en 2020, 36.% ont été inactifs pendant l’année. Les raisons qui expliquent cette contraction sont identifiables, estime, Farouk Abdou. “ Les établissements manquent de stratégies”, a-t-il souligné, d’emblée. La solution selon lui, doit émaner dans un premier temps des opérateurs. “Ils doivent trouver un moyen d’inciter les gens à utiliser la monnaie électronique.

 

Parce que jusqu’à présent, le citoyen ne voit pas l’utilité de déposer son argent dans un téléphone”, a relevé Farouk. Sur cette même lancée, il a cité les engagements non tenus par les opérateurs : paiement de salaire, de facture. Utilisées comme slogan de campagne, ces promesses manquées ont découragé une partie de la population a soulevé, Farouk. Mais pour le responsable de la banque mobile et du réseau d’agence de la Bdc(Holo), ce faible taux de pénétration, est tout à fait légitime et compréhensible.


“ C’est une activité nouvelle pour le pays. On ne peut pas ignorer cet aspect. Même en Afrique, le développement du mobile money a pris un peu de temps. Ce n’est pas évident de changer les habitudes en un claquement de doigts. Reconnaissons cette réalité. Déjà les banques traditionnelles qui existent depuis des années, peinent à attirerdes clients, n’en parlons plus de mobile money”, soutient Mohamed Moussa Mdjahidi. Si ces retards de décollage semblent légitimes, ils n’empêchent pas pour autant les autres entreprises à adopter de nouvelles approches.


“ L’important pour nous, n’est pas d’inonder les rues d’ affiches et de panneaux publicitaires. Notre priorité est de se rapprocher de la population”, ont fait savoir de leur coté , des responsables de Huri Money, avec lesquels nous nous sommes entretenus.Le chef de Streets marketing, Malida Kennedy elle estime même qu’obtenir l’adhésion du client ayant compris les avantages du mobile money est beaucoup plus bénéfique que d’avoir des milliers de comptes qui risquent d’être inactifs. Autre facteur, responsable en partie de ces retards de vulgarisation des solutions de la monnaie électronique, le nombre très limité des services disponibles.

Services limités

Jusqu’à présent, les fournisseurs ne proposent que peu de services susceptibles d’attirer le consommateur lambda. A en croire le rapport de 2019 de la Bcc, qui d’ailleurs est le dernier à avoir dévoilé la nature des transactions effectuées par les établissements de mobile money, seuls les transferts de personne à personne, les dépôts et retraits dominaient le tableau. Avec surtout les recharges téléphoniques et le retrait en cash en tête.


Quant au commerce informel, le taux de pénétration reste faible. Tout comme dans l’e-Commerce. “ Moins de 5% de notre clientèle paie à travers une solution de monnaie électronique”, a témoigné Fahmy Thabit, co-fondateur de la plateforme de vente en ligne, Kuuza Comores. L’ancien président de l’Uccia reste en revanche convaincu que rien n’est perdu. Et que la population n’a besoin que d’un peu de temps pour s’en approprier. “ Car le secteur est à mon sens en phase de démarrage .


Pour cela, il nous revient de sensibiliser la population sur les avantages du système. Les opérateurs aussi devraient accentuer la communication jusqu’à ce que les commerces proposent ces modes de paiement mobile. L’État également doit rendre possible le paiement des taxes, impôts via ces solutions”, propose Fahmy Thabit.

Réticence des entreprises

En 2020, cette tendance n’avait toujours pas évolué. La seule nouvelle offre qui a fait son entrée est le transfert d’argent vers l’extérieur, dominé par Holo qui a devancé ses concurrents, grâce à ses multiples partenariats. La réticence observée chez les entreprises à adopter les paiements électroniques a aussi un rôle dans ce ralentissement. “ De nombreux partenaires hésitent encore.N’en parlons plus de la population. Donc, il faut être patient. Nous reconnaissons qu’il faut également étoffer l’écosystème”, a démontré, Mohamed Moussa Mdjahidi. Conscients qu’ils doivent multiplier les efforts, les opérateurs ont mis les bouchées doubles.

 

Holo, en plus des transferts internationaux, a récemment signé un partenariat permettant aux étudiants de l’Udc de payer leurs droits d’inscription.Mvola a lancé une campagne dans les transports en commun dans certaines régions.Aujourd’hui, l’autre terrain où se joue la concurrence est celui du commerce : pharmacies, stations service, supermarchés ou encore restaurants. Ces partenariats seront-ils suffisants pour accentuer l’usage du mobile money ? Seul le rapport de 2021 de la banque centrale nous le dira.

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