À première vue, rien ne prédestinait Moina Halima Darouechi à devenir une figure montante de la mode comorienne. Née dans une famille modeste de Nkurani ya Sima, elle grandit loin des vitrines et des ateliers professionnels. Pourtant, déjà enfant, elle observait les couleurs, les matières, les textures. «Je n’ai jamais eu beaucoup d’habits, alors je regardais ceux des autres. Peut-être que ça m’a façonnée», confie-t-elle. Elle ne se trompait pas. Après un baccalauréat obtenu en 2016, une bourse la conduit au Maroc pour étudier le droit, un choix motivé plus par la nécessité que par la passion.
«Je ne me suis jamais sentie à ma place», avoue-t-elle. Mais c’est là, loin du pays, que le destin s’écrit. Au détour d’un magasin, d’une rencontre, d’un tissu, elle découvre la mode modeste. Un déclic. Elle apprend la couture en autodidacte, en silence, par essais et erreurs, jusqu’à lancer une première version de sa marque. L’aventure échoue : faillite, découragement, retour aux Comores les mains vides. Fin… pas totalement. Car en 2022, au Maroc, elle trouve l’amour et se marie. Aujourd’hui, elle est maman d’une petite fille de deux ans.
De retour aux Comores, rien ne semble lui sourire. Pendant plus d’un an, elle doute, s’éteint presque. Une formation en perlage, un projet de poulailler volé (car le bâtiment était trop isolé), et ce sentiment persistant d’avoir tout raté. «Je pensais que je n’étais pas assez bonne», se souvient-elle. Pourtant, l’histoire n’était pas terminée.
Le tournant vient grâce à des rencontres : d’autres entrepreneures comoriennes, certaines de la diaspora, d’autres ancrées dans le pays, lui montrent qu’elle n’est pas seule. «J’ai compris que l’échec faisait partie du processus », dit-elle. Alors elle recommence, sans machine, sans matériel, sans capital, juste avec la motivation. Chez sa tante, elle réapprend tout : patience, technique, rigueur.
Puis arrive la foire des Sarumaya. Elle y participe presque par défi. Le succès est immédiat. L’argent récolté finance sa première machine à coudre. «C’était mon vrai départ», se souvient-elle. À chaque événement, elle se dépasse ; à chaque nouvelle pièce, elle grandit. En 2025, elle relance officiellement Maison Darmar, désormais installée à Nkurani ya Sima, avec une employée et une apprentie qu’elle forme à la couture et au perlage. L’ambition est claire : porter haut le Made in Comoros. Sur un marché où «99 % des abayas viennent de l’extérieur», elle veut devenir l’exception. «Nous avons du talent, du savoir-faire. Je veux que nos mains produisent des pièces modernes, élégantes, modestes, mais profondément comoriennes», promet-elle.
Ses créations intègrent le tissu local, non par effet de mode, mais par conviction. Elle travaille également à développer des capsules de garde-robe personnalisées, où chaque cliente participe à la réflexion sur ce qu’elle porte. Aujourd’hui, Moina Halima dit avoir «les épaules pour porter Maison Darmar». Le chemin n’a pas été droit, mais il lui ressemble : courageux, artisanal, profondément humain.
Elle rêve d’un showroom à Moroni, d’un atelier plus grand, d’une place dans l’évolution du secteur textile comorien. «Tout le monde s’habille. La couture mérite d’être valorisée.» Une phrase simple, presque évidente. Mais dans la bouche de cette jeune créatrice qui a recommencé à zéro, elle prend la forme d’un engagement : montrer que l’élégance peut naître ici, chez nous, entre les mains des nôtres.

