Un préfet signe un arrêté fermant Labaraka Fm, une radio locale. La station se tait depuis. Rien n’y fait. Ni les vives réactions du Cnpa ni les protestations de ses auditeurs. Au-delà, ces genres d’incidents représentent un indicateur du niveau des préoccupations dans le secteur des médias : l’intérêt que les acteurs portent sur une modeste radio en cette période de mutations sans précédents des moyens de communication. Mutations qui entrainent des bouleversements qui sont en train de modeler la nouvelle “ère du savoir” et qui mobilisent des énergies et des ressources incroyables.
On chercherait en vain, à Moroni, les équipes qui planchent sur les effets et les transformations imposées par ce tsunami des tics dans ses implications dans le secteur. Rien ou presque ne nous prépare à la vague de la convergence en cours entre audiovisuel, télécommunications, Tics et services de médias audiovisuels.
Comme si on oubliait ce postulat indiscutable : le dynamisme démocratique est largement tributaire de l’existence de médias autonomes, responsables et pluriels. C’est par le biais des informations, des analyses, voire des dénonciations, qu’une opinion publique se forge, des citoyens se forment et peuvent se protéger de la manipulation politique.
Puis, en démocratie on vote. C’est à dire que l’on choisit les dirigeants en connaissance de cause. Quelle serait en effet la valeur d’une élection dont les électeurs n’auraient qu’une compréhension partielle des enjeux en présence ?
Cela étant posé, nos médias accomplissent-ils leurs missions? En quarante deux ans d’indépendance, le pays n’a pas su trouver le modèle économique et juridique d’entreprises de presse qui auraient pu devenir autonomes et pérennes. A la place, il a été créé des établissements généralement sous influence. La formation des citoyens parait dès lors compromise. Explications :
Impact limité des journaux
Il faut savoir que les Comores ont connu leur premier périodique en 1985. Il est resté seul en kiosque pendant cinq ans. Dan l’intervalle, toute tentative de créer un journal se heurtait au mur : “seule la parole du gouvernement vaut la peine d’être diffusée”.
A partir de 1990, les premières éditions du journal indépendant, L’Archipel, étaient imprimées à Mayotte et devaient passer clandestinement les contrôles de douanes. La mort tragique du président Abdallah, en 1989, suivie de la démocratisation de la vie publique va favoriser une prolifération de titres éphémères.
Que le pays puisse compter, aujourd’hui, trois quotidiens est une avancée indéniable au regard de son histoire. Mais cette victoire est courte, la distribution sur l’ensemble du territoire n’étant toujours pas effective. Les coûts exorbitants de l’impression sont un élément dissuasif pour les investisseurs potentiels.
Il faut rester prudent en parlant de l’impact des journaux. Quel peut être l’impact d’une presse dont le tirage ne dépasserait guère cinq mille exemplaires ?
Que Al-Watwan continue de recevoir des subventions du gouvernement permet, certes, d’offrir à la population un quotidien à un prix abordable, ce qui n’est pas négligeable. Mais cette situation “fausse la concurrence avec la presse privée”, lit-on dans une note technique du Cnpa
Retard technologique
L’audiovisuel ne va pas mieux. Dans ce pays à tradition orale, la radio est, de loin, le principal média. Radio Comores existe depuis 1975. Elle a, d’abord, servi comme outil de sensibilisation sous Ali Swalihi. Après la mort de ce dernier, ses successeurs n’ont pas cru devoir lâcher du leste et, aujourd’hui, le journaliste de l’Ortc est tenu de se comporter comme un agent de l’Etat qui doit loyauté aux gouvernants.
Son directeur, lui-même – que nomme et révoque le président de la République – n’a aucun moyen de faire prévaloir que la station est, d’abord, un établissement du service public dans sa diversité d’opinion.
Cette situation crée un double malaise. Les auditeurs se reconnaissaient de moins en moins dans les programmes. Des membres du personnel se sentent écartelés entre la politique de la maison et l’éthique professionnelle. Un nouveau rapport d’audit de l’audiovisuel public met en évidence un “dépérissement” mettant le service public en danger de mort.
Le paradoxe est que l’Ortc avec les stations publiques des îles qui ont adopté le même fonctionnement, sont en situation de domination s’agissant de la télévision. Face à l’audiovisuel publique, le désert. Juste quelques radios d’associations sans ressources ni personnels. Le tout évolue dans un contexte caractérisé par le retard de la technologie utilisée.
Aux Comores, “l’offre est caractérisée par des modes de consommation guidés par une offre qui demeure exclusivement hertzienne et linéaire, alors les grandes tendances partout dans le monde sont au développement d’une part d’offres audiovisuelles sur des plateformes alternatives à la traditionnelle offre hertzienne (câble, Iptv, satellite, internet…) et d’autre part d’offres non-linéaires (à la demande)”, relève une étude du Cnpa qui ajoute que “cette évolution des modes de consommation pose en outre la question de l’opportunité du passage à la télévision numérique terrestre et des conditions économiques et juridiques de cette transition, pour l’instant non réglée par la loi”.
Un choix stratégique
En d’autres termes, il faut créer les infrastructures nécessaires dans le sillage de l’effort engagé depuis les années 1990 pour un meilleur cadre des médias. Faut-il rappeler que des journalistes comoriens se battent depuis trente ans pour un meilleur cadre de travail. C’est à eux que l’on doit d’avoir fait inscrire le Conseil national de la presse et de l’audiovisuel dans la loi de 1994 révisée en 2010.
Chargé de veiller notamment sur la liberté d’expression, le pluralisme et les règles éthiques dans les médias, le Cnpa est handicapé par des problèmes budgétaires depuis son entrée en fonction en 2012. Si les conseillers actuels, en place 2015, tentent de faire bouger les lignes, ils ne restent pas moins incompris comme à chaque fois que des hommes souhaitent remettre en question des habitudes acquises.
Dans ce contexte, on peut dire que le principal défi dans le secteur c’est de créer un cadre juridique favorisant l’éclosion des médias. Un premier projet de loi a été remis au ministre en charge de l’Information. A l’intérieur de ce cadre, le Cnpa doit pouvoir jouer pleinement son rôle de régulateur indépendant et solidement installé.
Il faudra aussi parvenir à mettre en place des procédures de nomination des responsables du service public, définir les mandats, leur durée, les missions, les cahiers des charges, les obligations de compte rendu, assurer un financement régulier et sûr, comme le souligne un audit de l’audiovisuel public commandé par le Cnpa. Un cadre qui doit surtout permette de mettre en commun l’audiovisuel public actuellement morcelées en quatre entités.
Un autre défi consiste à mobiliser des ressources pour se mettre au niveau du développement technologique. En sachant que “l’économie des médias est marquée par des économies d’échelle et des coûts d’investissement initiaux élevés qui rendent l’accès au marché encore difficile même s’il a tendance à se démocratiser. Le cadre juridique devra s’adapter à cette contrainte”.
Au total, la promotion des médias, au regard de l’évolution actuelle, ne peut être une affaire des seuls journalistes. C’est un choix stratégique que doit opérer le pays dans le but de parvenir à un niveau d’exposition acceptable des Comoriens à des médias diversifiés et de qualité. En la matière, l’investissement et la formation sont indispensables et indissociables.
* Conseiller au Cnpa
Ali Moindjié*