La mauvaise nouvelle m’avait bouleversé, c’était très dur, il était tout pour moi”. Hassane Ahmed El-Barwane était dans son chantier à Moroni Oasis quand il apprend le décès, à Paris, de Mahamoud Soidiki le 14 février 2012. “Le téléphone a sonné, c’est Jeannot, je crois, qui m’annonce la triste nouvelle”, souligne l’ancien ministre qui se rend immédiatement au deuxième domicile familial à la Corniche en face de l’Université des Comores. “Je me suis rendu au domicile, j’ai vu des proches. Et l’une des premières choses que j’ai faites, j’ai informé le président Ikililou”, se rappelle-t-il.
Une source d’inspiration pour les uns, une lumière pour les autres
Le pays et tout Moroni rendront, le 18 février 2012, un dernier hommage au cours de grandes funérailles organisées en présence du chef de l’Etat de l’époque Dr Ikililou Dhoinine, des membres du gouvernement, anciens ministres, élus, notables, des femmes, des hautes personnalités politiques et religieuses mais aussi d’anonymes venus de tous les coins de Ngazidja. “C’était un grand homme qui aimait le pays, un grand patriote qui voulait voir le pays suivre la voie de l’industrialisation”, souligne l’ancien ministre Abourahim Said Bakar.
Mahamoud Soidiki n’était pas seulement un grand commerçant respecté, il faisait surtout partie de cette nouvelle génération d’hommes d’affaires qui voulaient surtout ouvrir les Comores vers l’extérieur comme le prouve cette image prise à Taiwan aux années 1980 au cours d’un voyage d’affaires, assise avec son éternelle femme, Moinsalima Chamsoudine. “Il a toujours voulu que les Comores soient connectées avec la région et le monde.
C’est surtout ça qui m’a marqué”, se remémore Said Hassane Dini Charif qui estime que Mahamoud Soidiki avait le profil parfait d’un grand opérateur économique. “C’était en vérité dans son sang, je dirai même dans son Adn. Il avait une vraie vision des affaires, il croyait en ce qu’il faisait, il était audacieux, il faisait les choses avec beaucoup de dynamisme et de détermination”. Le doyen des journalistes comoriens, Aboubacar M’changama, parle d’un homme qui “avait le flair des affaires”.
Le fondateur des établissements Salimamoud était surtout une source d’inspiration pour les uns et une lumière pour les autres. “Il était un modèle pour moi et m’a beaucoup inspiré personnellement dans ma carrière professionnelle”, reconnait Chamsoudine Ahmed, patron des établissements Nassib et président de l’Union des chambres de commerce (Uccia). “Il était un grand travailleur, je crois que c’est l’une de ses qualités, il était ambitieux et aimait bien le pays”, résume l’anthropologue Damir Ben Ali, ancien président de l’Université des Comores.
Dix ans après la disparition de ce grand pionnier du secteur privé comorien, les hommages restent toujours unanimes. Ses valeurs d’humilité et de persévérance guident encore aujourd’hui de nouvelles générations d’entrepreneurs et de commerçants. “Je ne l’ai pas connu de prés mais je sais qu’il mérite tout notre respect pour tout ce qu’il a fait et qui a servi de déclencheur pour beaucoup d’entre nous aujourd’hui”, souligne, de son côté, Mohamed Keldi, patron des établissements Mag Market.
“Ses premiers investissements après avoir abandonné le métier de couturier furent l’importation des produits carnés et la boulangerie. La boulangerie Salimamoud était très prisée et en concurrence avec la boulangerie Kalfane une des premières aux Comores”, a écrit l’écrivain Aboubacar Ben Said Salim. “C’est l’exemple type de quelqu’un qui a réussi sa vie en partant de rien. Il a mis toutes ses économies et son intelligence au service de l’innovation, c’est un exemple que les jeunes devraient suivre s’ils veulent vraiment aider au développement du pays, un très bon exemple”, souligne Dr Ouled Ahmed.
Entrepreneur, importateur,armateur, commerçant et industriel
Pour certains, le doyen était un homme courageux qui cultivait l’espoir à chaque étape de sa vie d’entrepreneur. “Il a travaillé dur, il ne lâchait jamais, toujours droit dans ses objectifs”, souligne Dini Charif. “Un homme qui avait une vision qui était en avance de son époque dans ses projets économiques”, ajoute Chamsoudine Ahmed. “Il était un homme d’innovation. Il a formé pas mal de gens, il avait même ouvert la première usine de textile aux Comores, je me rappelle de la confection de chemises”, renchérit Dr Abdourahim Said Bakar.
Après les Comores, Mahamoud Soidiki visait la sous-région et le monde. “C’est pourquoi, j’ai toujours dit qu’il était un grand visionnaire”, tranche Dini Charif. “Il a commencé les affaires à Maurice, puis en Afrique du sud, Singapour puis la France. J’ai été témoin de toutes ses affaires. J’étais toujours à ses côtés. Je le respectais beaucoup, sa femme et ses enfants aussi auxquels j’ai beaucoup d’affection”, dit Hassane El-Barwane.
Tailleur-couturier au départ, Mahamoud Soidiki se hissera au sommet des grands opérateurs économiques du pays, devenant, entrepreneur, importateur, armateur, commerçant et industriel. Il inaugure, aux années 1980, la première boulangerie détenue par un Comorien, se lance dans la fabrication de matelas, ouvre une savonnerie et une mini-usine de fabrication de café, d’huiles essentielles et deviendra l’un des premiers importateurs des produits carnés dans le pays.
“C’est le côté self-made-man qui force le respect pour cet homme”, explique Dini Charif qui précise que l’entrepreneur s’est construit lui-même. “Il est parti de rien. Et pourtant, il m’a fait de très grandes choses dans le pays”, a rappelé Mohamed Keldi. “C’est quelqu’un qui n’a pas hérité de patrimoine et qui a su s’imposer dans le monde économique”, se souvient Said Bacar Mlantrede, banquier, qui connait bien la famille Salimamoud. Damir Ben Ali a été marqué par son envie à toujours investir. “Contrairement aux autres, Mahamoud, de son vivant, gagnait de l’argent mais il investissait toujours, c’est une aussi l’une de ses particularités”, dit-il.
Hassane Ahmed El Barwane revient surtout sur le côté humain et parental de l’entrepreneur. “C’était un cousin pour moi. Il m’accompagné dans ma vie estudiantine. J’ai aussi profité de son expérience. Il était un philanthrope avéré. Mahamoud est reconnu pour un altruisme sans égal, toujours disponible pour aider ou rendre service”, explique-t-il. “Ce qui m’a beaucoup frappé, c’est sa disponibilité, sa simplicité, sa cordialité, il était proche des gens”, ajoute Aboubacar M’changama.
Côté politique, Mahamoud Soidiki avait adhéré au sein du Rassemblement démocratique du peuple comorien (Rdpc) aux années 1970, il fera même la prison au temps du tristement célèbre Bob Denard. Mais son statut d’entrepreneur et sa proximité avec le président Ahmed Abdallah Abderemane (lui-même grand homme d’affaires) lui ont évité les affres des geôles des mercenaires.
L’homme aimait travailler dans l’ombre. Il participait au règlement des conflits familiaux et à l’apaisement des tensions entre factions politiques. Il jouait un rôle politique discret et a soutenu de nombreux cadres du pays. “Il a joué d’ailleurs un rôle dans mon entrée au gouvernement Sambi. Je rends hommage à l’homme, à l’artisan et au grand père de famille, Il aimait bien sa famille”, souligne Abdourahim Said Bakar. La famille, les proches et le pays rendent hommage, ce matin à Moroni, à l’entrepreneur au parcours exceptionnel.