Le salon des entreprises, n’est pas une première dans le pays. Quelles sont, d’après-vous, les grandes nouveautés ? Et les enseignements à tirer en 2022 ?
D’abord il faut rappeler quels étaient les objectifs de cette première édition. L’Anpi, l’Uccia, le Centre national de l’artisanat des Comores, entre autres, avons ces dernières années organisé un certain nombre d’événements qui voulaient rassembler l’ensemble des acteurs du monde des affaires. Avec ce Salon, nous voulions, beaucoup plus pour permettre aux entreprises de venir exposer leurs biens et services davantage que de les vendre. Il s’agissait de faire connaitre en quoi elles innovent, inspirer les autres entreprises, créer des partenariats et surtout avoir accès dans un seul et même lieu à tous les acteurs qui appuient l’entreprenariat, les entreprises, l’investissement et les investisseurs. On voulait aussi pouvoir servir et murir la réflexion autour de tous les principaux sujets qui intéressent les entreprises et qui devront leur permettre d’évoluer dans un meilleur environnement. Tels étaient les objectifs qu’on avait en organisant ce Salon. Ils étaient ambitieux et ils se sont traduits par l’organisation d’un événement scindé en trois espaces : exposition, ateliers pratiques et conférences de haut niveau dont certaines ont vu la participation du chef de l’Etat et de son gouvernement. Toutes les recommandations sorties de cette conférence feront l’objet d’un livre blanc qui paraitra prochainement et qui devra alimenter le dialogue public-privé.
Compte-tenu de ce que vous venez de dire peut-on donc affirmer que cette première édition était une réussite ?
Du point de vu de la mobilisation c’était une réussite puisqu’on s’était fixé un objectif de 60 exposants et 5000 participants et on a atteint ces chiffres. Aussi, en trois jours on a réussi à fédérer l’ensemble des acteurs et on les remercie d’avoir répondu présent et d’avoir joué le jeu. Ils ont permis aux entreprises de trouver sur place cette aide de service aux entreprises. Donc autant sur la mobilisation que sur les objectifs à atteindre on est en droit de dire que cette première édition du Salon des entreprises comoriennes était une réussite. Nous pensons que ça nous permettra également de tirer les leçons de ce Salon afin d’améliorer le prochain qui aura lieu en 2023.
Sur un autre volet, y-a-t-il une politique spécifique pour accompagner les jeunes de la diaspora qui souhaitent investir et s’installer dans leur pays ?
Lors de ce salon, la diaspora a eu toute sa place en tant qu’exposant. Nous avons eu la présence d’entreprises créées et gérées par des membres de la diaspora. Il y a eu Com’Work, Ams qui est spécialisée dans l’agriculture et Wiya.km et c’est trois sociétés ont en point commun le fait qu’elles ont été lauréates d’un appel à projets lancé il y a quelques mois par Expertise France sur financement de l’Agence française de développement dont nous sommes partenaires. Dans le cadre des conférences, nous avons eu la première activité aux Comores de la communauté Comlink. C’est un phénomène inédit puisque c’est la première fois que les chefs d’entreprises d’origine comorienne issus de la diaspora se réunissent en réseau. Il faut savoir que Comlink est partout : au Canada, en France, au Maroc, à l’île Maurice et dans d’autres destinations.
On est fier d’avoir été le moyen pour eux d’organiser cette première session, de présenter ce qu’ils font, de faire intervenir leurs membres puisque on pouvait suivre les activités en ligne et ils avaient en plus deux membres qui étaient présents sur place dont la vice-présidente du réseau. Cela nous a permis d’avoir un interlocuteur structuré qui rassemble tous les chefs d’entreprises issus de la diaspora. Vous devez savoir que l’Anpi a trois niveaux d’intervention. Le premier est de faire en sorte que le pays soit attractif. On fait donc du marketing et la diaspora est une cible avec un message : Invest home… Invest Comoros. Avant, on faisait, suite à une panoplie de programmes, appel à des membres de la diaspora qui n’étaient pas des investisseurs de venir investir. Aujourd’hui, cette erreur est gommée et on fait appel aux bonnes personnes.
Pour le reste de la diaspora il y a d’autres acteurs qui peuvent travailler avec eux puisqu’il ne s’agit pas de tourner le dos à certains, mais cibler les bonnes personnes et de les diriger vers les bons acteurs. Il y a ensuite un deuxième volet qui est le service aux investisseurs. Et là aussi, il y a une offre destinée à la diaspora. On est en train de mettre en place un système de guichets numérisés. On a relancé une plateforme appelée «Comoros irregulation» qui consiste à répondre instantanément à leurs questions pour qu’ils aient une information claire sur les procédures. La semaine prochaine avec un cabinet sénégalais et à travers le projet Rcip4 de la Banque mondiale, on va déployer une plateforme d’informatisation de la procédure de la création d’entreprise. Le troisième et dernier volet, c’est l’amélioration du climat des affaires. Nous avons la lourde tâche et la lourde responsabilité de fédérer le secteur public et le secteur privé pour identifier les difficultés et les contraintes en matière d’activités.
Quelles sont aujourd’hui les difficultés répertoriées dans le monde de l’entreprise et comment l’Anpi compte-t-elle les résoudre?
Un long travail a été fait au niveau des textes, maintenant le cadre légal existe. Jusqu’en 2012 il n’y avait pas de textes, ce travail a été fait. Pour que ces textes soient appliqués, il y a un travail à faire au niveau des services de l’administration pour que chacun puisse prendre conscience qu’il y a des textes qu’il faut appliquer parce qu’il y a une méconnaissance ou un manque d’appropriation dans l’application de ces mêmes textes. Nous avons donc la responsabilité de les faire connaître auprès de la population et auprès de ces administrations. Il faut qu’à son tour le secteur privé fasse un plaidoyer sur ce qu’il vit pour qu’on puisse savoir et comprendre les difficultés qu’il rencontre afin de trouver des solutions. Il y a des actions qui ont été menées, mais il faut que ce dialogue soit structuré et que ce ne soit pas des rendez-vous que l’on se donne parce qu’il y a eu la montée des prix des produits pétroliers ou parce qu’il y a le Ramadhwani et qu’il faut recadrer les prix des produits de première nécessité. Le dialogue doit être régulier et être alimenté par un contenu documenté et que ce soit fait par un secrétariat permanent qu’il nous faut mettre en place ensemble. Il y a aussi une nécessité d’avoir une obligation de résultats comme cela se fait ailleurs. Mais il n’y a pas que ça évidemment.
Il y a ce problème des crédits des entreprises avec des taux d’intérêt jugés élevés et des délais de remboursement très courts. Certaines ferment les portes faute de trésorerie solide. Peut-on parler de problème de management ou de capacités à résister face aux pressions des banques ?
Je partage le constat et d’ailleurs un des premiers avis que j’ai livrés quand je suis arrivée ici, c’était un document sur les obstacles juridiques liés à l’accès au financement. On avait travaillé avec l’ensemble des acteurs du secteur financier. C’est un des premiers sujets sur lequel j’ai travaillé à ce moment-là. A l’époque, on était en train d’essayer de lever des fonds auprès de la Banque islamique de développement qui ont donné lieu par la suite à la ligne de crédit qui est actuellement mobilisée par la Meck-Moroni à travers un projet appelé Yes-Com (Projet d’appui à l’entreprenariat des jeunes au Comores) et qui a été proposé par ladite banque comme une solution pour permettre à une association financière locale de pouvoir bénéficier d’une ligne de crédit sur le long terme, plus élevée et qui ne demande pas de garantie. Mais ça, c’est un projet et ce n’est pas ça qui va régler les problèmes de l’accès au financement dans le pays.
Des solutions sont proposées peut-être que pour l’instant elles sont trop timides. Pour ce qui est des problèmes de trésorerie et de développement des entreprises, ce n’est pas qu’une question d’accès au financement même si cela fait partie de l’équation. Cependant, les diagnostics existent. Il y a la question de la professionnalisation des dirigeants d’entreprises. Aujourd’hui on a beaucoup de chefs d’entreprises qui ne sont pas formés en gestion d’entreprises, mais ce n’est pas un mal en soi puisque partout dans le monde les porteurs d’idées peuvent faire appel à des personnes qualifiées pour gérer leurs boites. Ici ça ne se fait pas forcement. Il y a aussi le problème des coûts des facteurs de production. Il y a encore les problèmes de recrutement, d’accès à certains marchés publics, celui du déficit des infrastructures qui engendre des surcoûts pour les entreprises. Je ne parlerai pas de climat, mais d’environnement qui est complexe pour quelqu’un qui veut créer une entreprise dans un pays comme le nôtre. C’est sûr qu’il y a beaucoup d’appelés, mais à la fin les élus ne sont pas aussi nombreux. Il faut donc travailler à améliorer l’environnement qui est le nôtre.
Plus de 80% des entreprises opèrent dans le secteur des services, le commerce notamment, avec une part importante dans le PIB, estimée à 50%. Mais la majorité rencontre des difficultés face aux multiples chocs qu’elles subissent à cause d’une conjoncture difficile. Comment faire pour les accompagner ?
Il y a eu des mesures d’accompagnement durant la période de la Covid-19. Actuellement des mesures sont à l’étude pour faire face à la crise que nous connaissons. Les mesures d’accompagnement on les connait : report d’échéances sur plusieurs volets, une garantie offerte aux banques pour permettre aux importateurs de faire face à la crise et par ricochet la population en a aussi bénéficié. Il y a aussi le Modec qui a proposé vingt mesure pour accompagner le secteur privé et dont il faudra étudier une à une. Il faudra aussi que d’une manière générale les organisations du secteur privé puissent contribuer et à être une force de propositions. Les autorités doivent à leur tour répondre au plus vite pour voir ce qui pourra être fait à court, à moyen et à long terme.
Vous avez évoqué la création de 1486 entreprise ces deux dernières années. Pouvez-vous nous fournir les profils de ces entreprises et leur part en termes d’emplois ?
D’abord il faut savoir qui nous sommes et qu’est-ce que nous faisons. Comprendre d’abord la mission de l’Anpi. Quand nous citons des chiffres, ces derniers font référence aux missions qui sont les siennes. Je ne peux pas citer les chiffres des résultats atteint ou non par un incubateur. Aussi, je ne peux pas citer les chiffres de quelqu’un qui propose des formations ou d’accélérateur d’entreprises alors que ce n’est pas notre rôle. En tant qu’Agence nationale pour la promotion de l’investissement, notre rôle vis-à-vis des entreprises est de les assister dans leurs démarches de formalisations de leurs boites. Et c’est notre indicateur de résultats qui nous permet d’avancer des chiffres. Sur la formalisation des entreprises, qui est la mission du guichet unique de création d’entreprises, soit un des services que nous proposons, notre rôle consiste à accompagner les entreprises pour qu’elles obtiennent leurs registres de commerce. Et sur cette mission consistant à enregistrer des entreprises et leur enregistrement au registre de commerce, nous avons eu 1486 entreprises et c’est un chiffre qui est en hausse.
Nous avons aussi d’autres indicateurs. Il s’agit par exemple des inscriptions des demandes d’agréments et d’exonérations. C’est ce qu’on appelle les avantages du Code des investissements. Et certaines des entreprises que nous avons enregistrées sont éligibles à l’obtention d’avantages qui prennent la forme d’exonérations. Grâce au pouvoir qui nous est donné par nos textes statutaires, nous avons le devoir de suivre ces dernières entreprises. Encore une fois, on ne peut pas demander à l’Anpi de donner des chiffres ou des explications sur des sujets qui ne sont pas les siens. Quand une entreprise se formalise surtout dans un pays comme le nôtre où l’informel domine, il y a de quoi s’en réjouir parce que cela implique que ces dernières vont pouvoir bénéficier d’accès au financement, des possibilités de constituer des partenariats et des contrats, la possibilité d’intenter une action en justice, celle d’être accompagné pour se développer. L’assistance technique et financière que nous avons mise en place à l’endroit de ces entreprises pousse d’autres à vouloir se formaliser. Il n’y a donc pas de honte à s’en réjouir au moment d’évoquer les 1486 entreprises enregistrées. On n’est pas dupe, toutes les entreprises qui se formalisent ne seront pas viables, mais ce n’est pas une exclusivité comorienne, c’est aussi valable ailleurs comme aux États-Unis.
L'Etat perd beaucoup d'argent à cause des exonérations accordées. On estime que le nombre d'emplois qui devraient être créés en contrepartie est minime voir nul. Que faire pour faire respecter les obligations des entreprises bénéficiant d'exonérations fiscales et douanières ?
Ce n’est pas une perte d’argent, c’est un accompagnement pour l’Etat. C’est comment soutenir des entreprises pour leur permettre justement de se développer et de devenir créateurs de valeurs et de richesses. Et comment faire en sorte que lorsqu’on arrive au bout de ces avantages qui ne sont pas éternels, ces entreprises soient suffisamment développées pour qu’elles soient en mesure de payer des impôts. Faire en sorte qu’il y ait un retour sur investissement pour l’Etat. Ces exonérations-là, elles ont permis de voir éclore des industries naissantes. Aujourd’hui on produit un certain nombre de produits aux Comores et ce sont des entreprises agréées qui le font. On veut à travers ce mécanisme, réduire le nombre des importations dans le pays. Tant qu’aura pas un droit commun qui s’applique à tous, douanier et fiscal, qui ne soit pas trop lourd pour les entreprises, on aura besoin de ces mécanismes pour que ces dernières existent.
Le pays ne dispose pas d’une politique entrepreneuriale permettant d’orienter les nouvelles entreprises pour éviter qu’elles opèrent dans le même secteur d’activité. Que peut faire l’Anpi pour orienter ou conseiller les fondateurs de nouvelles entreprises à investir dans des secteurs vierges ou peu exploités.
Les mécanismes d’incitations, on les dirige vers le secteur productif. Le Cpa dont on est partenaire n’appui que les entreprises du tourisme et du secteur agricole. C’est une manière d’orienter. Il y a une liberté d’entreprendre à laquelle on ne touchera pas. Une entreprise doit être libre de choisir le secteur dans lequel elle veut entreprendre. En revanche les politiques d’incitation doivent viser les secteurs qu’on veut développer. Aujourd’hui quand on regarde le Code des investissements, le négos est exclu et n’est pas éligible aux avantages dudit code. Dans le même temps, les secteurs clés qui sont porteurs de croissance et qui peuvent créer de l’emploi sont accompagnés plus longtemps puisqu’on leur offre deux ans supplémentaires d’avantages. On n’a pas le rôle d’exiger quelqu’un d’investir dans le domaine qu’il ne veut pas, on ne peut que l’inciter, le conseiller.
La politique de l’auto-emploi demeure fragile. Des jeunes s’aventurent pendant les deux ou trois ans d’ouverture de leurs boites. Mais, après, certains abandonnent. Avez-vous fait une étude dans ce sens ? Quels sont les instruments à mettre en place pour accompagner les jeunes entrepreneurs à réussir dans leurs affaires ?
On doit créer et constituer un écosystème. Il est jeune mais est en train de se structurer. Des structures sont là comme l’Anaden, l’Uccia qui a intégré à son offre Innov’lab. Il y a l’Actic aussi dans le privé qui a mis en place Comor’Lab. Com’Work aussi, un incubateur qui a de la crédibilité vis-à-vis de la diaspora. On a des centres de formations qui ont été mise en place. Il y a aussi les institutions financières et il y a les financements de manière générale. Ceux qui veulent entreprendre doivent se renseigner sur l’offre disponible.