Cela fait exactement deux ans et trois mois que vous êtes nommés conseiller privé du chef de l’Etat. Quel état d’esprit aviez-vous en acceptant cette fonction clé ?
Je me suis dit au moment de ma nomination qu’avec ma relative jeunesse et ma modeste expérience dans le monde de la finance et celui des affaires aux Etats-Unis, je vais apporter un plus par rapport à tout ce qui est investissement et économie pour notre pays. Pour ce dont vous sous-entendez, à savoir le bilan, je crois que ce n’est pas le moment et je ne suis pas habilité à le faire. Mais en étroite collaboration avec les ministres concernés, j’ai pu apporter plus ou moins ma contribution en termes d’investissements, de finances, de Ntic, en diplomatie et même en ce qui concerne le dialogue public-privé.
Comment vivez-vous cette première expérience de conseiller privé du président ? Pouvez-vous nous résumer vos missions premières ?
Comme je l’ai dit précédemment, ma mission première est de conseiller le président de la République, comme il l’a défini, c’est-à-dire, en matière d’économie et d’investissement, mais également dans le domaine des finances. Néanmoins, je suis souvent amené à contribuer dans d’autres domaines tels que dans la gestion de la Covid, la diplomatie, de la jeunesse et les sports, entre autres.
Certains milieux vous prêtent souvent des ambitions politiques, que le président serait en train de préparer pour vous mettre sur le devant de la scène. Que leur répondez-vous ?
Je respecte leurs opinions, leurs analyses, mais je ne puis m’empêcher de m’étonner de ce scénario digne de télé Novelas. Parce que s’il y a une chose dont je suis vraiment conscient, c’est qu’il y a beaucoup de personnes qui ont de la légitimité que moi, qui ont été là avant moi, et qui ont accompli beaucoup de choses par rapport à moi, que ça soit au sein du pouvoir ou dans celui de l’opposition. Je tiens à leur faire remarquer que les Comores ne sont pas une monarchie.
Qu’est-ce qui vous préoccupe personnellement, je veux parler de ce que vous pensez du pays et des dossiers dont vous vous occupez ?
Il y a deux choses qui me préoccupent principalement. La première, c’est que le président prône une émergence pour 2030. Et actuellement, un pays est défini comme étant émergent, s’il arrive à enchainer deux années consécutives un taux de croissance de – 4%. D’après les derniers chiffres qu’on a eus de la Banque mondiale, sortis il y a à peu près une semaine, on se dirige vers une croissance de 1,3% pour cette année 2021. En soi, ce n’est pas mauvais. C’est même un bon chiffre, compte tenu du contexte marqué par la pandémie de Covid-19. Cependant, par rapport aux objectifs fixés par le président, je crois qu’on a encore beaucoup de chemin à accomplir. Ainsi, Il serait temps que le gouvernement s’y mette, ce qui est déjà le cas, et continue de miser dans des secteurs où l’on dispose d’un avantage comparatif par rapport à d’autres pays, des secteurs avec un taux de croissance rapide, tels que l’hôtellerie et le tourisme. D’ailleurs, les Comores disposent d’une faune et d’une flore assez exceptionnelles, même endémiques par rapport à d’autres pays dans la région.
Et la deuxième préoccupation ?
Ma deuxième préoccupation c’est la jeunesse. Je souhaiterais que la jeunesse continue d’espérer un monde meilleur, de croire aux vertus de la méritocratie et de l’intelligence. En tout cas, cela va faire bientôt quelques années que le président n’a pas cessé de promouvoir des jeunes dynamiques qui excellent dans leurs domaines. Que ça soit la nomination de Nadjati Soidiki à l’Anpi, celle de M. Housni Mohamed Abdou comme ministre conseiller à l’ambassade des Comores au Maroc, ou précédemment Zoubeir Mohamed Ahamada comme secrétaire général adjoint du gouvernement. On peut également citer les trois dernières nominations, à savoir celles de Ibrahim Mohamed Abdourazak au poste de Sga du gouvernement, de Samir Mohamed en tant que conseiller en communication à Beit-Salam, et Abdou Elwahab Msa Bacar comme expert dans le domaine judiciaire. Donc, tous ces jeunes-là qui sont assez dynamiques et qui excellent dans leurs domaines se sont fait une réputation dans leurs domaines. Donc, c’est à nous jeunes, y compris moi, de gagner en maturité et d’accomplir nos devoirs respectifs.
Vous vous félicitez pour les nominations des jeunes, mais qu’en est-il des femmes ?
Je suis d’accord que les femmes n’ont pas été concernées par les dernières nominations, mais n’oublions pas qu’à l’Assemblée, on a plusieurs femmes dont une vice-présidente qui représente souvent notre pays dans plusieurs instances continentales et mondiales. En pourcentage, on a plusieurs femmes qui occupent des postes de décision, des directions générales, notamment la directrice générale de l’Anpi, celle de la Caisse de retraite, la représentante de l’Asecna, pour ne citer que celles-là. En tout cas, rien ne dit que les prochaines nominations ne les impliqueraient pas davantage.
Il y a eu d’importantes réformes engagées. Malgré tout, le quotidien des Comoriens est difficile. Quelles pourraient être les alternatives de solutions contre la vie chère ?
2C’est évident que le quotidien des Comoriens devienne de plus en plus difficile. Néanmoins, je crois qu’il est important de rappeler qu’il ne s’agit pas d’une situation unique pour les Comores. C’est une situation qui est plutôt systémique. Aucun pays n’est épargné. Certains sont beaucoup plus affectés par rapport à d’autres. Tout cela est dû à la Covid, mais aussi à d’autres circonstances ou conjonctures très défavorables par rapport à la période. En tout cas, lors de la première vague, le gouvernement n’a pas cessé de se déployer pour faire en sorte que la consommation ne baisse pas. D’ailleurs, vous vous rappelez, au cours des années précédentes où il y avait des difficultés de paiement de salaires pour les fonctionnaires, n’en parlons pas d’une période de crise. Durant la première vague, le gouvernement à doublé les efforts en allant, avec l’ex-ministre des Finances, jusqu’à mettre ce système de paiement, tous les 25 de chaque mois.C’est arrivé durant la période de la Covid. Ce sont donc des efforts réalisés, et pas les moindres.
Récemment, avec les ministres des Finances, de l’Economie et des Transports, la chambre de commerce et les banques, on a mis en place une enveloppe de 5,5 milliards, avec un taux assez compétitif par rapport à ce qui était offert en matière de taux d’intérêt. Un taux de 6% pour une période assez raisonnable. Tout cela pour faire en sorte à ce que des produits de première nécessité ne manquent pas. Au fait, ce qu’on devrait comprendre par rapport à cette opération, c’est qu’en économie, dans la loi de l’offre et de la demande, si on augmente l’offre et on maintient la demande au même niveau, cela a tendance à ramener les prix un peu plus bas. Donc, l’opération que le gouvernement est en train de mener est d’essayer d’inonder les produits de première nécessité dans le marché comorien et faire en sorte que les prix reviennent à des niveaux raisonnables. C’est ce que, en grosso-modo, on essaye d’accomplir par rapport à la vie chère.
Et pourquoi ce plan d’accompagnement aux opérateurs tarde à se concrétiser ?
Il s’agit d’une somme considérable, donc on travaille pour mettre en place le mécanisme adéquat pour s’assurer qu’on ne va pas tomber dans les travers d’atan, à savoir les créances non payées. Sinon, les travaux avancent et bientôt ils seront effectifs.
Quelle leçon tirer de cette crise en matière de transbordement et de transport maritime ? Y a-t-il un plan envisagé pour résoudre cette épineuse question ?
La leçon qu’on devrait tirer c’est comme toutes les leçons qu’on a tirées dans cette période de Covid, à savoir qu’on ne doit compter que sur nous-mêmes. Il n’y aura pas de Messi qui viendra sauver les Comores. Ainsi, le gouvernement a pris l’initiative de vouloir acquérir des bateaux pouvant transporter des conteneurs se trouvant dans la région pour éviter qu’il y ait des pénuries, comme celles subies ces trois derniers mois. Mais je laisserais le soin au ministre des Transports et au directeur de la Soconam d’expliquer cela avec plus de détails.
Le secteur privé demeure l’un des moteurs de la croissance économique. Quelle pourrait être la politique à mener pour le rendre beaucoup plus fort et compétitif ?
Sur le court et moyen terme, à mon avis, il serait important de reproduire l’opération qui a été menée, celle qui vient d’être lancée. Il faut la renouveler une deuxième et troisième fois parce que cela va booster la consommation. Ce qui est important, en termes de croissance. Cela sera important aussi de faciliter les producteurs, les produits de rente surtout où on dispose de l’avantage assez comparatif en termes de qualité par rapport à nos compétiteurs, pour recommencer cette opération une deuxième fois, ou faire en sorte que la croissance continue sur la lancée où elle était avant Covid.
Néanmoins, il est important qu’on ne retombe pas dans nos travers parce que dans les trois ou quatre dernières années, le ministère des Finances, sous l’impulsion de Saïd Ali Said Chayhane, a fait un travail assez remarquable en termes de créances puisque les créances douteuses sont passées d’un niveau de 25% à 20% actuellement. C’est pour cela que les banques sont très enthousiastes pour accompagner l’opération. Cependant, si on retombe dans nos travers, si au niveau des opérateurs, du patronat et du gouvernement, on n’essaie pas de faire en sorte que cette opération marche, qu’on raugmente les créances douteuses, je crois que les banques seront assez frileuses ou hésitantes pour reprendre ces opérations. Ce qui est normalement important dans le court et moyen terme pour faire en sorte que l’économie soit compétitive.
Et sur le long terme ?
Sur le long terme, on est en train de voir avec le ministère des Finances et celui de l’Economie comment donner une impulsion en termes de production locale à certains produits spécifiques. D’ailleurs, il y en aura quelques-uns qui vont voir le jour d’ici six à douze mois.
Récemment, l’on a vu ici et là des manifestions d’un mouvement dénommé Mabedja contre la vie chère. Qu’en dites-vous ?
Pour moi, quand on parle de la diaspora, je raisonne de manière économique et d’investissements parce que la diaspora représente elle-même 50 milliards de flux de transferts annuels. On a besoin de cette diaspora, de ses moyens, de travailler ensemble et de son expertise. Quant aux Mabedja en soi, je suis assez étonné et stupéfait de voir que des gens qui vivent à l’extérieur et qui voient ce qui se passe à l’extérieur quant à la vie chère et à l’inflation, puissent croire à un moment que les Comores vivent dans une autre dimension galactique n’appartenant pas à ce monde. Si leurs revendications étaient sociales, à mon humble avis, ils auraient pu constater les efforts déployés par l’Etat, les décisions prises concernant la vie chère. Sinon, je crois que leurs revendications n’étaient pas sociales mais beaucoup plus politiques. Et dans ce cas-là, je ne saurais me prononcer.
Vous avez joué un rôle important dans le dispositif d’organisation de la Conférence de Paris. Où en est-on aujourd’hui?
Nous avons organisé la conférence à l’aube de la pandémie. Malheureusement, ça a freiné tout élan qui était pris à l’époque. Mais le président, dans son dernier discours prononcé lors de l’Assemblée générale des Nations-Unies, a fait appel aux partenaires bi et multilatéraux pour concrétiser leurs annonces. Suite à ce discours, on va prendre des initiatives et organiser un grand atelier gouvernemental où il y aura les partenaires bi et multilatéraux, pour essayer de concrétiser non seulement les annonces faites mais aussi pousser les autres partenaires à se prononcer sur les projets présentés lors de la conférence à Paris. Parallèlement, il y a d’autres projets que nous tenterons de voir ensemble et qui commencent à voir le jour.
Vous vous déplacez souvent à l’étranger notamment. Qu’est-ce qui compte pour vous aujourd’hui, je veux parler des actions prioritaires à engager ?
Généralement, quand je me déplace à l’étranger, c’est pour deux raisons principales. La première est d’ordre économique, c’est-à-dire, prospections de potentiels investisseurs économiques pour le pays. Deuxièmement, c’est d’ordre diplomatique. Vous savez que pour pouvoir maintenir une bonne relation entre les Comores et les autres pays, il faut toujours une autres voix supplémentaire au-delà de la voix officielle portée par le ministère. C’est là où nous autres essayons d’entrer en jeu, surtout quand ces relations sont tendues. Comme ce fut le cas il y a quelques années avec certains partenaires bi et multilatéraux.
L’on a appris à travers un article publié par Pandora Papers, que vous détenez une société offshore à Dubaï. Confirmez-vous cela ? Si oui quelles sont ses activités ?
Je détenais une société et je l’ai fermée. Du moins j’ai lancé la procédure pour la fermer. Donc, il n’y a pas d’activités. J’ai ouvert la société en 2018, je l’ai fermée en 2019. L’objectif était bien sûr de me lancer dans les affaires, mais quand le devoir m’a appelé pour servir votre pays, j’ai dû recadrer mes ambitions et fermer cette société. Maintenant, certains vont se demander pourquoi ouvrir une société pour ne pas la faire travailler par la suite ? Nous sommes tous des humains. Nous sommes tous amenés à changer d’avis, à prendre une décision, à revenir sur certains choix. En tout cas, je ne regrette pas la décision de l’avoir fermée, parce que je sers mon pays. Je suis jeune, au lieu de mettre mon énergie pour moi-même, je crois qu’il était important que je la mette au sercive de mon pays.
Cette société n’est pas enregistrée aux Comores parait-il, selon toujours le même article. L’enquête laisse penser ainsi à une évasion fiscale. Qu’en dites-vous ?
Laisse penser ! C’est un procès d’intention qu’on essaie de me faire, parce que l’article en soi, l’enquête réalisée par Hayatte Abdou a été, je crois, bien faite. Très convenable, dans la mesure où, comme je vous l’ai dit, il n’y a pas eu d’activités, donc pas de transaction, rien. Néanmoins, il y a certaines personnes qui pensent que j’aurais dissimulé les chiffres. A mon avis, je ne suis pas plus puissant que les dirigeants ou les autres personnes citées dans l’enquête. Ils disposent de beaucoup plus de moyens. Malgré tout, leurs chiffres et leurs transactions se trouvent affichés.
Si aujourd’hui, il n’y a pas transaction, il n’y a rien, c’est qu’il n’y a rien. Qu’on arrête de se créer des scénarios dans nos têtes. Il n’y a rien, je n’ai pas fait d’évasion fiscale. Je n’ai pas fait de détournement de fonds. D’autres s’interrogent pourquoi je suis cité. Je suis conseiller privé du président, fils du président. C’est sûr que c’est beau de parler de ce genre de personnes dans ce genre d’article. Ça fait toujours le buzz. La preuve en est, ça continue à faire le buzz or il n’y a rien, du moins d’après l’article publié à mon égard qui ne montre rien d’incriminant. Pour ceux qui veulent associer Monsieur Azali avec ces activités, qu’on arrête. Le président Azali n’y est pour rien. Moi c’est Nour El Fath Azali dit Fathou, Azali, lui, il a déjà son nom. Nous autres essayons de faire notre bout de chemin. Alors ne mélangeons pas tout .
L’Opposition reste méfiante au dialogue national annoncé par le président. Comprenez-vous sa position ?
Je ne voudrais pas paraître prétentieux dans la mesure où je ne maîtrise pas tous les enjeux politiques de ce pays. Cependant, je suis adepte de l’adage comorien qui dit «Mashishiyo kari huyishia» (les oreilles n’ont pas peur d’écouter, ndlr). D’autant plus que, comme cela été suggéré dans la lettre, s’ils (les opposants, ndlr) avaient d’autres revendications qu’ils estimaient primordiales, ils auraient pu les verser. Rien ne leur interdit de le faire. Malgré tout, ils ont fait ce qu’ils ont faits. Malgré cela, le président ne va pas cesser de leur tendre la main dans toutes les questions d’intérêt national.
L’Opposition continue à dénoncer l’emprisonnement de ses principaux leaders et réclame leur libération. Quelle pourraient être les alternatives de sortie de cette impasse politico-judiciaire pour assurer la consolidation de la paix et la stabilité dans le pays ?
Je ne voudrais pas non plus me hasarder sur un sujet que je ne maîtrise pas et qui est assez complexe. A mon avis, il serait important de laisser la justice faire son travail. C’est vrai qu’il y a eu beaucoup de retard dans l’organisation des procès de ces leaders. D’ailleurs, cela a engendré un fait qui a dénaturé les procès en soi. En tout cas, moi, je reste optimiste quant à l’organisation des procès de ces derniers et une fois que ceux-là seront organisés, c’est là qu’on va se prononcer.