C’est une foule immense, composée de toutes les couches de la société, dont des anciens élèves, des camarades de lutte, des membres de la confrérie Shadhuliyat, qui a accompagné l’enseignant, poète et écrivain, Aboubacar Saïd Salim à sa dernière demeure. Inhumé dans la matinée du dimanche 3 septembre, il a laissé derrière lui ses ouvrages, une veuve et une descendance de neuf enfants. Le pays pleure la disparition d’un grand patriote.
«Le meilleur d’entre nous»
Cette disparition a ému plus d’un, en particulier son collègue et ami, l’écrivain Mohamed Toihiri, qui a publié un long message émouvant sur sa page Facebook en commençant par ces mots : « Le meilleur d’entre nous vient de nous dire adieu, à 74 ans. Le meilleur car si j’en crois mes souvenirs, Aboubacar Salim était celui- là qui avait, en 1969 -j’étais en 5ème, au lycée de Moroni, obtenu le 1er prix de concours de nouvelles, de tous les élèves de l’Océan indien qui concouraient cette année-là : Comores, Madagascar, Maurice, Réunion et Seychelles… ».
Après avoir effectué son enseignement primaire à Mbeni et à Ikoni, Abou a intégré le lycée en classe de 7ème en 1968. Membre actif de la grève des étudiants de 1968, Aboubacar Saïd Salim va être emprisonné comme ses camarades lycéens. Après sa libération, il a poursuivi sa scolarité jusqu’au baccalauréat et s’est rendu en France pour ses études supérieures.
A Bordeaux, où il a atterri et passé une partie de ses études, son penchant militantiste l’a amené à occuper le poste de secrétaire général de l’association des stagiaires et étudiants des Comores (Asec), sous la présidence du feu Houssein Cheikh Soilih et Aminata Aliamane qui occupait le poste de trésorière.
Suite à cette expérience bordelaise, le jeune militant s’est rendu à Paris pour poursuivre ses études et aussi intégrer le bureau central de l’Asec.
Le militantisme dans le sang
Selon son compagnon et ami d’enfance docteur Mbae Toybou, quand Pierre Messmer a déclaré que le vote pour l’accession à l’indépendance allait avoir lieu île par île, Aboubacar a dirigé un petit comité qui a publié un document intitulé «Colonisation en bloc, décolonisation en morceau». «C’était notre réaction face à Messmer et nous avons publié ce document dans toute la France », se remémore le médecin.
En 1979, après le retour d’Ahmed Abdallah Abderemane au pouvoir, l’Asec a donné comme mot d’ordre de retourner au pays pour faire face et affronter les mercenaires. Son engagement patriotique l’a conduit à être parmi les membres fondateurs du Front démocratique.
A son retour au pays, le jeune diplômé a débuté sa carrière dans l’enseignement, cependant son militantisme l’a amené à goutter l’amertume de la prison. Mis aux arrêts en 1985, la consigne donnée à ses geôliers a été de l’incarcérer à Vwadju, l’actuelle Ecole nationale des forces armées et de gendarmerie (Enfag). Son séjour ici a réveillé ses talents d’écrivain et, à sa sortie, il a écrit et publié son premier roman, «Le bal des mercenaires».
Cet ouvrage, qui aborde à travers une histoire d’amour de deux adolescents, le poids de la tradition villageoise, a été suivi par «Et la graine», «Mutsa mon amour», «Moroni», «Les petites fictions comoriennes » et « La révolution des voyelles ».
Un des cerveaux du Fesnaco
En dehors de ses talents d’enseignant et d’écrivain, après le coup d’Etat de 1999, il a intégré Beit-Salam en qualité de conseiller en communication du président Azali Assoumani.Une période où l’écrivain publiait sa célèbre « Lettre à mon petit frère » sur les colonnes du journal Al-watwan. Il fut l’un des cerveaux du premier grand festival contemporain des Comores, expérimenté au début des années 2000, le Fesnaco (Festival national des arts et de la culture comoriens), aux côtés de l’ancien ministre capitaine Ahmed Sidi, devenu aujourd’hui colonel de l’armée.
Après son passage à Beit-Salam, il intégrera par la suite le Palais du Peuple de Hamramba, où il occupera le poste de secrétaire général de l’Assemblée de l’Union. Selon docteur Ouled Ahmed, «ces occupations politiques ne l’empêchaient pas de s’investir dans les activités littéraires». Etant une personne très active, son départ à la retraite ne l’empêchait pas de travailler. Il continuait d’enseigner au Groupe scolaire Fundi Abdoulhamid.
Ami d’enfance, le docteur Mbae Toybou s’est rappelé de leur partie de football à Mbeni. « Nous étions, lui, Soimadou, Mchangama et moi. Mchangama et lui étaient en attaque, Soimadou et moi en défense».
Premier grand chroniqueur littéraire de la télé
Poète et écrivain, Aboubacar s’est lancé dans plusieurs activités littéraires avec le Cercle Pohori, l’Association kalam, et « Djunduwo lahe tarehi ». Il a également créé et animé les veillées poétiques et a travaillé dans l’organisation du 1er salon du livre. « C’est dans son salon, où nous avons créé l’association Djunduwo », a témoigné l’ancien consul à Dubaï et un des orateurs de la ville d’Iconi, Abdillah Said Soilihi. A l’Ortc, en plus de «Livre à palabres », il animait «Le Café littéraire », devenant ainsi le premier grand chroniqueur littéraire de la chaîne publique.
En s’adressant à la foule, à la mosquée, avant la prière mortuaire, Abdillah Said Soilihi a décrit « une personne qui s’est engagée pour l’intégrité du pays, qui aimait la vérité et la disait même si elle blesse ». Au terme de son intervention, l’ancien consul a ajouté que le défunt aimait lire et écrire. «Lire, le premier ordre donné à notre bien-aimé le prophète. Il a consacré sa vie à faire cela, lire et écrire, il nous quitte aujourd’hui, mais son œuvre reste et le savoir qu’il a donné continue de se propager. Prions qu’il lui servira comme bonne action et que Dieu l’accueille dans son paradis », a-t-il conclu.