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Nécrologie I Mohamed Hassani raconté par les siens

Nécrologie I Mohamed Hassani raconté par les siens

Société | -   Faïza Soulé Youssouf

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Mohamed Hassani a rendu son dernier soupir le 3 mars après une courte hospitalisation. Son enterrement a eu lieu le lendemain dans son village d’Uzio ya Mitsamihuli.

 

Mohamed Hassani a entrepris son dernier voyage vendredi dernier. Sur la pointe des pieds. Sans crier gare. La nouvelle est brutale. Elle nous brûle toujours. La veille de son admission à l’hôpital, on l’apercevait encore dans un café, l’air bien portant. Il voulait se rendre à l’étranger pour de petits soins. Il disait son envie de se reposer un peu. Lui qui semblait ne jamais se fatiguer. C’était une force de la nature, affirment ses proches.

Un reporter d’une autre trempe

D’un caractère buté, fonceur, il ne tergiversait pas longtemps. C’était quelqu’un de convaincu. Sa mince silhouette, cigarette aux lèvres, regard vif, a quasiment fait le tour des principales rédactions du pays où son passage est remarqué. Al-watwan, Radio Comores, le Matin des Comores, Albalad, la Gazette des Comores. Il fut longtemps le correspondant de l’agence Panapress.


Un reporter d’une autre trempe, sans doute d’un autre temps. Il intègre Al-watwan au mitan des années 1980. Participe aussi à sa création dans un contexte particulier, celui du régime des mercenaires. Nous étions peut-être le seul pays au monde qui n’avait pas d’organe de presse écrite. L’ancien président Ahmed Abdallah Abderemane veut un journal et l’obtient. Pendant longtemps, c’est le seul journal qui existe. En raison de cette particularité, toutes les intelligences que comptait le pays devaient pouvoir s’exprimer. Aussi, Al-watwan n’a jamais ressemblé à “Fraternité Matin” (Côte d’Ivoire) ou au “Soleil” (Sénégal).


A Al-watwan, l’on se souvient encore de l’arrivée au siège, un jour de novembre 1989, d’un mercenaire répondant au nom Didier. L’homme est en charge des relations avec les médias. Ahmed Abdallah Abderemane vient d’être assassiné. Didier affirme que le père de l’Indépendance est tué par son chef d’état-major, le commandant Mohamed Ahmed. Les reporters savent que c’est faux. Ils savent surtout qu’ils doivent se garder de publier cette version. L’Histoire les regarde, il ne faut pas qu’ils passent à côté. Mohamed Hassani et ses collègues disent au Sieur Didier que l’offset manque d’encre. Le prétexte semble passer. La version faisant état de l’assassinat du président par un de ses fidèles n’a jamais été publiée par le canard de l’Etat. L’Histoire est sauve.

Né en 1960 d’un père notable et chef religieux

Mohamed Hassani qui vient de la localité de Uzio ya Mitsamihuli nait en 1960 d’un père notable, chef religieux doté d’une forte personnalité dont la réputation dépasse largement les frontières de la région. Hassani Hamadi a voyagé, il a passé quelques temps à Madagascar. Il en revient fortement attaché à l’éducation. Sa mère est agricultrice. Mohamed Hassani a sans doute hérité de l’attachement à l’éducation par son père et de l’amour de la terre par sa mère. Comme son paternel également, il a une très forte personnalité. Sa scolarité, il la passe à Mitsamihuli au “Beau Regard”, à Moroni “Application” et enfin au Lycée Said Mohamed Cheikh où il obtient un bac littéraire en 1979.


Au lycée, il côtoie ceux qui deviendront ses camarades de lutte. Il y apprend le militantisme. Plutôt situé à gauche, il intègre le Front démocratique dès sa création et fait partie des militants du « Msomo Wa Nyumeni ». Le jeune homme trouve le temps, en plus de ses études et de son activisme, de tomber amoureux. Il n’était pas le seul amoureux de la classe mais il fait partie des rares qui ont tenu leur promesse. Il n’a pas cédé au chantage de ses parents qui s’étaient opposés à la relation. Ce n’était pas une amourette comme l’espéraient son père et son frère. Il ferraille avec eux, remporte la bataille et convole en justes noces avec la jeune femme. Il est jeune, trop jeune, jugent-ils. Il est surtout amoureux de Fatima Ali Saïd, surnommée affectueusement “Pomme”, leur rétorque-t-il. Il est sûr d’avoir trouvé là, la femme de sa vie. La mère de ses premiers enfants. 6 gosses naîtront de cette union dans les années 1980.

Guinée, Côte d’Ivoire, Enes…

Après son service national, pourvu d’une bourse, il se rend dans la Guinée de Sékou Touré. C’est la douche froide. Il n’atterrit pas dans une Université mais dans une espèce de lycée où il doit saluer le drapeau, apprendre des chants révolutionnaires. Il refuse de se faire “embrigader” et fuit vers la Côte d’Ivoire voisine. Il veut s’inscrire à la fac mais ne le peut puisqu’en situation irrégulière. Il y reste quand même un certain temps, va en cours mais ne peut passer les examens. Il en profite pour lire, beaucoup et pour s’ouvrir au monde.


Le passage au pays de Houphouët Boigny lui donne, par ailleurs, envie d’être journaliste. De retour aux Comores, il intègre l’École nationale de l’enseignement supérieure (Enes), section journalisme. Jusqu’ici, tout va bien. Tout semble réussir au jeune journaliste, à la plume acérée et aux idées révolutionnaires. Et puis, un premier drame en 1989. Sa femme, sa Pomme meurt, trop vite, trop tôt. Il n’a pas le temps d’être anéanti.


Désormais jeune veuf, il a 6 enfants à élever seul. Il refuse obstinément que ses rejetons soient élevés par un membre de la famille de son épouse, comme cela se fait généralement. C’était un père, il endosse le rôle de mère. Longtemps, dans le salon familial, trônera la photo de la chère disparue avec cette inscription : “Pomme n’est pas morte, elle s’est légèrement endormie”. Ses enfants, il les aime de toutes ses forces et s’investit corps et âme dans leur éducation, cherchant à faire d’eux les meilleurs. Et puis un second drame. Son aîné, Abdel meurt en 1991.

L’éducation de ses enfants

Mohamed Hassani refuse de s’écrouler. Il affronte debout “cette mort injuste”. Tout au plus, fume-t-il plus de cigarettes. Son regard est parfois envahi par la tristesse qu’il s’empresse de chasser. Il n’a pas le temps de s’apitoyer sur lui. Comme Pomme, Abdel n’est pas mort, il dort.Mohamed Hassani s’investit dans l’éducation de ses enfants, en même temps que dans le journalisme. Au sein de ces 2 familles, il est pédagogue. Il s’illustre dans les conférences de rédaction qui ressemblent à des ateliers d’information. Il fait la même chose dans son foyer qui s’est entre-temps agrandie de 3 enfants (Souraya, Djamil et Djalim). Il n’hésite pas à utiliser tout son salaire pour acheter un ordinateur pour ses gosses. Pour eux, il veut le meilleur et ne lésine sur rien.

Il renoue surtout avec la terre à Uzio

Être journaliste aux Comores est souvent synonyme d’ennuis. Pour Al-watwan, le reporter rédige un article particulièrement critique contre la gendarmerie, avec des témoignages anonymes. Ils sont convoqués chez qui de droit. Inflexible, il refuse de livrer ses sources. Au bout de 4 jours d’interrogatoire musclé, las, les flics finissent par le laisser partir.


Il faudrait plus qu’une page pour raconter les milles et une vies de Mohamed Hassani. De la fierté qu’il ressent pour chacun de ses enfants. De Hassani, son portrait craché, fonctionnaire onusien à Adam le petit dernier qui n’a pas encore fini de grandir. Mohamed a vécu un troisième drame avec la mort en 2017, de sa femme Saminya Bounou, ancienne rédactrice en chef d’Al-watwan, des suites d’une longue maladie. L’histoire se répète.


Il élève seul Abdillah et Adam. Il assure la communication de la Société Comorienne des Hydrocarbures, ces dernières années, prenant là une forme de retraite. Il renoue surtout avec la terre à Uzio, ce village qu’il aimait tant, où il s’est fait agriculteur et pas qu’à ses heures perduesn

Article rédigé avec l’aimable contribution de Ali Moindjie, Samir Mohamed Hassani, Mohamed Inoussa, Mohamed Soilihi Ahmed

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