L’environnement régional est aujourd’hui traversé par une lutte d’influence intense entre grandes puissances (France, Russie, Chine, États-Unis) à laquelle s’ajoutent des acteurs intermédiaires tels que la Turquie, les Émirats arabes unis, l’Inde ou l’Iran. Cette compétition s’étend progressivement vers les zones insulaires et africaines, considérées comme stratégiques en raison de leurs ressources naturelles, de leur position géographique et de leur rôle diplomatique au sein des organisations internationales.Aucune de ces puissances ne parvient, pour l’heure, à imposer une vision claire et stabilisatrice. Cette indétermination stratégique alimente des zones d’incertitude propices aux déséquilibres politiques, aux tensions sociales et aux scénarios de chaos, dans l’attente de nouveaux rapports de force mondiaux.
Dans ce contexte mouvant, la France se trouve dans une position paradoxale. Malgré une présence forte et parfois coercitive à Mayotte, elle peine à assumer un rôle constructif et stabilisateur dans la région. Sa passivité politique et diplomatique, combinée à l’absence de vision claire sur l’avenir de l’océan Indien, a contribué à l’érosion progressive de son influence. Le nœud persistant de la question de Mayotte, resté en suspens depuis l’indépendance des Comores, demeure une source d’incompréhension et de tension.Au lieu de saisir cette question comme une opportunité historique pour refonder une relation apaisée et mutuellement bénéfique avec l’Union des Comores, la France s’y est enlisée, perdant ainsi une partie de son crédit moral et stratégique dans la région. Sans ces blocages et ces ambiguïtés, elle aurait pu jouer un rôle majeur de stabilisation et de coopération régionale, contribuant à la sécurité collective et au développement partagé.
La Russie, de son côté, renforce sa présence à travers des accords sécuritaires et le déploiement de sociétés militaires privées, notamment dans les États fragiles du Sahel, en Centrafrique ou au Soudan. La Chine poursuit une politique d’influence économique et infrastructurelle à long terme, fondée sur les prêts, les grands chantiers et les partenariats stratégiques. Les États-Unis, sous l’administration Trump, réinvestissent le champ diplomatique et sécuritaire, misant sur le contrôle des routes maritimes et la limitation de l’expansion chinoise et russe.Dans ce nouvel échiquier, les petits États insulaires et les pays politiquement fragiles deviennent des espaces d’affrontement indirect, exposés à des pressions croisées, à des manipulations et à des ingérences multiples.
Madagascar traverse aujourd’hui une crise ouverte, marquée par des mobilisations sociales massives, des divisions politiques internes et des tensions militaires. Les grandes puissances y adoptent des postures ambiguës, oscillant entre prudence diplomatique et intervention déguisée. Le Soudan illustre, quant à lui, le basculement d’une rivalité interne en une guerre prolongée, alimentée par des soutiens extérieurs, ayant conduit à l’effondrement de l’État. La présidence comorienne de l’Union africaine avait pourtant, un temps, permis d’amorcer un dialogue entre les deux camps.Au Sahel, les transitions militaires successives n’ont pas permis de restaurer la stabilité : la rivalité franco-russe y a accentué les fractures internes, laissant les populations dans une insécurité chronique et sans perspective politique claire.
Ces exemples confirment que, sans leadership national solide ni cadre politique inclusif, la rivalité des puissances extérieures accentue les divisions internes et transforme les États en champs de bataille géopolitiques. La vulnérabilité institutionnelle face aux chocs externes et aux stratégies d’influence parallèles constitue un risque majeur pour la souveraineté et la stabilité de l’Union des Comores.L’archipel des Comores occupe une position géostratégique convoitée dans l’océan Indien. Sa vaste zone économique exclusive, ses ressources halieutiques et énergétiques, ainsi que sa proximité avec plusieurs bases militaires étrangères, en font un territoire de grand intérêt pour les puissances mondiales. La présence militaire française à Mayotte, combinée aux drames humains en mer et aux pressions migratoires récurrentes, fragilise la cohésion nationale et alimente les tensions régionales. Ces fractures, politiques, insulaires ou sociales, peuvent être exploitées par des acteurs extérieurs cherchant à renforcer leur influence.
Dans ce contexte, l’impact potentiel sur la stabilité politique, la sécurité intérieure et la mise en œuvre du Plan Comores Émergent 2030 est considérable.
Il est dès lors urgent d’instaurer un dialogue national permanent, associant partis politiques, société civile, autorités religieuses, diaspora et forces économiques. Ce cadre de concertation doit permettre de définir des positions communes sur les enjeux essentiels de sécurité, de développement et de souveraineté, tout en consolidant les dispositifs institutionnels pour éviter que les divergences internes ne deviennent des leviers d’influence étrangère.Le dialogue, ne saurait se réduire à des rencontres nationales conjoncturelles sans lendemains, ni à des assises ponctuelles, même si des actes forts y sont posés. Pour être crédible et constructif, il doit devenir une pratique permanente, érigée en modèle de gouvernance, et fondée sur la confiance, la transparence et l’inclusivité.La mobilisation de personnalités politiques fortes, crédibles et transversales est également nécessaire pour incarner une stabilité dynamique, capable de canaliser les tensions plutôt que de les subir. Ces figures doivent être associées aux initiatives de réforme et de gouvernance afin de protéger les citoyens, préserver les institutions et prévenir tout vide de pouvoir exploitable.
La capacité d’anticipation et de veille géopolitique de l’État doit être renforcée pour identifier les signaux précoces de déstabilisation et y répondre avec discernement. Enfin, la diplomatie comorienne doit affirmer une posture d’équilibre et d’autonomie, évitant tout alignement exclusif, afin de préserver une marge de manœuvre stratégique dans un environnement international marqué par la polarisation.Dans une région en recomposition rapide, le chaos n’est jamais neutre : il profite à ceux qui l’instrumentalisent et frappe toujours ceux qui le subissent. L’Union des Comores doit transformer sa vulnérabilité géopolitique en atout stratégique, en consolidant son unité politique interne, en s’appuyant sur un dialogue inclusif et sur des leaderships responsables, et en développant une diplomatie agile, autonome et prévoyante.
Ahmed Ali Amir