Depuis quelques années, des cas d’évanouissements collectifs sont signalés dans plusieurs établissements scolaires et universitaires aux Comores. Ce phénomène suscite inquiétude et interrogations aussi bien chez les parents que chez les enseignants, et alimente un mélange d’explications scientifiques, de croyances populaires et de spéculations mystiques.
Les autorités sanitaires et éducatives, souvent démunies face à ces manifestations, peinent à distinguer les causes rationnelles des interprétations surnaturelles. Tandis que certains y voient les effets du stress, de la chaleur accablante ou encore de la déshydratation, d’autres évoquent la présence de forces invisibles.
À l’école privée Muigni Baraka de Moroni, la secrétaire affirme que dans la majorité des cas, il ne s’agit pas de crises d’angoisse. «Ces évanouissements sont souvent dus à une baisse du taux de sucre dans le sang des enfants, surtout en période de forte chaleur. Ce n’est pas un phénomène propre aux Comores ; dans d’autres pays chauds, on observe aussi ce type de malaises en milieu scolaire», explique-t-elle. Elle ajoute que le stress lié aux examens, la chaleur étouffante dans les salles de classe, la déshydratation ou encore la fatigue chronique peuvent en être les causes. «On observe surtout ces cas entre décembre et avril, lorsque les températures sont élevées et que les enfants ne s’hydratent pas suffisamment», précise-t-elle.
Cependant, pour une partie de la population, l’explication médicale ne suffit pas. Nombreuses sont les familles qui attribuent ces manifestations à des causes surnaturelles. Saindou Houmadi, surveillant à l’école privée La Chance, raconte que certains élèves déclarent avoir vu des ombres ou ressenti des «forces invisibles» juste avant de perdre connaissance. «La dernière fois, avant le mois de ramadan, une élève a dit qu’elle voyait rouge et entendait des voix horribles. Elle a commencé à crier, et d’autres élèves – principalement des filles – ont ressenti les mêmes symptômes, avant de s’évanouir à leur tour», témoigne-t-il. Ces récits renforcent la croyance selon laquelle des djinns, créatures invisibles évoquées dans la tradition islamique, seraient à l’origine de ces crises.
Des conséquences sur la scolarité
Pour Naycha Soulaymana, élève au lycée Saïd Mohamed Cheikh, l’explication est plus terre-à-terre. « Ce sont surtout les fortes odeurs de parfums qui me dérangent. Quand je les sens, je me sens étouffée, et je n’arrive plus à bien respirer», confie-t-elle. Mouza Ali, quant à lui, évoque sans détour l’action des « djinns chaytane», selon lui attirés par les odeurs de parfum et souvent présents dans les arbres proches des écoles. «Même à Mitsamihuli, des établissements ont été touchés. Nous avons recommandé aux élèves de boire et de se laver avec des potions d’azaïma. À l’école Epcmc, nous avons récité des versets coraniques, et Dieu merci, la situation s’est stabilisée», affirme-t-il. Il met en garde contre toute banalisation du phénomène. «Certaines femmes rencontrent souvent des djinns qui les visitent chaque nuit sans qu’elles comprennent ce qui se passe», ajoute-t-il.Face à cette angoisse, plusieurs établissements ont sollicité l’intervention de religieux pour réciter des versets coraniques et purifier les lieux. Dans certains cas, ces rituels semblent apaiser les élèves et réduire les cas d’évanouissements. Toutefois, ces interventions n’apportent qu’un soulagement temporaire.
Ces crises à répétition perturbent le fonctionnement normal des établissements. Les absences se multiplient, et certains parents préfèrent retirer leurs enfants des écoles touchées, craignant pour leur sécurité. «Ma fille a refusé de retourner à l’école. Elle dit qu’elle a peur des djinns», confie Hassanati Mlipve, mère d’une élève à l’école Brun Trust (Gsbt). Au-delà du traumatisme psychologique, elle redoute l’impact sur la scolarité de sa fille. Selon elle, certaines écoles ont même dû suspendre temporairement les cours, aggravant les retards scolaires dans un système éducatif déjà fragile.
Pour y faire face, les autorités plaident pour une approche équilibrée, tenant compte à la fois des croyances culturelles et des impératifs médicaux. «Il faut soigner les corps, mais aussi apaiser les esprits», estime Ibrahim Hamada, censeur à l’école publique Maahadi. Il affirme que le problème a été «résolu» dans son établissement grâce à une méthode controversée.
«L’année dernière, après plusieurs cas, nous avons décidé, avec l’accord de l’administration, de fouetter une élève considérée comme possédée. Le lendemain, nous avons prévenu que toute récidive serait sanctionnée de la même manière. Depuis, plus aucun cas n’a été signalé », raconte-t-il. Une méthode qu’il dit avoir reconduite cette année. Une position que partage Ahamada Mbadjini, professeur d’arabe. «Je me déplace toujours avec mon bâton. Si un élève commence à faire des grimaces, je le corrige, et curieusement, cela ne recommence pas», dit-il.
Une approche à repenser
Si certains établissements adoptent des méthodes radicales et discutables pour «traiter» les cas de possession supposée, ces pratiques suscitent de vives préoccupations. Elles interrogent sur le respect des droits des élèves et les limites de l’autorité éducative dans la gestion de phénomènes mêlant santé mentale, croyances culturelles et climat scolaire.
Pour qu’une réponse durable soit apportée, il apparaît nécessaire de renforcer l’écoute, le soutien psychologique, l’éducation à la santé mentale, tout en respectant les sensibilités culturelles. Le défi est d’autant plus grand qu’il touche à la fois au rationnel et à l’irrationnel, aux convictions personnelles comme aux réalités médicales.