À quelques pas des gradins du stade de Maluzini, Djaffar Mhoumadi, alias Chababi, a installé son garage en plein air il y a plus d’une décennie. Alors qu’il est affairé sous le capot d’une 4x4 bleue de marque Duster, stationnée à l’ombre d’un manguier, il nous accueille avec son salut habituel « salam a’aleikum », utilisant un coin de son t-shirt trempé de sueur pour essuyer son visage. À quelques mètres de lui, ses apprentis s’affairent sous un soleil brûlant, en train de démonter le moteur d’un minibus dont la carrosserie très usée rend difficile l’identification de la marque. « démonter tous ces moteurs est une tâche complexe. Ils occupent tellement d’espace qu’il est parfois difficile de glisser ne serait-ce qu’un doigt », soupire Tadjou, un jeune apprenti d’une vingtaine d’années en train de dévisser un bloc.
«Ici, tout se fait à la force des bras»
Dans ce garage dépourvu de clôture, où des carcasses de voitures jonchent le sol, il n’y a ni fosse d’inspection, ni pont élévateur, encore moins de grue d’atelier pour extraire les moteurs. « Ici, tout se fait à la force des bras », se plaint Chababi, le propriétaire des lieux. « Nous utilisons cette vieille chaîne que nous avons attachée à une branche de ce manguier pour extraire les moteurs. Il faut être très attentif car cette manœuvre comporte des risques. La moindre distraction peut entraîner des blessures », explique notre interlocuteur après une courte pause. « Nous n’avons pas les moyens de nous offrir le luxe d’une grue d’atelier. Nous devons compter uniquement sur la force de nos muscles », poursuit-il, affichant un sourire qui trahit bien la souffrance qu’il endure au quotidien.
A l’âge de 15 ans
À Moroni, Chababi est une perle rare, car il fait partie du cercle très restreint des mécaniciens maîtrisant les moteurs diesel. Il s’est forgé une réputation qui dépasse l’île de Ngazidja où il réside depuis plus de vingt ans. «Ce gars est un véritable magicien. Il m’arrive de le faire venir à Ndzuani car il est le seul capable de diagnostiquer rapidement et de réparer les pannes, en particulier sur une Kia Sporting dont j’ai du mal à me séparer», témoigne Nakib Ali, haut fonctionnaire de l’administration comorienne à la retraite, de passage à Moroni.
Pourtant, rien ne le prédestinait à devenir mécanicien. Originaire de Dindri, dans la région de la Cuvette à Ndzuani, Djaffar Mhoumadi a débarqué à Ngazidja en 2002 à l’âge de 15 ans. Il avait été confié à son oncle, qui finira par l’abandonner. Il sera récupéré par un ami de la même localité, qui deviendra son tuteur. « Je viens d’une famille pauvre. Je n’avais d’autre choix que d’apprendre un métier pour subvenir aux besoins de ma famille», se rappelle-t-il.
Chababi a d’abord essayé la menuiserie, puis la maçonnerie, en vain. «Pour être honnête, je ne me sentais pas à l’aise. L’idée de prendre des mesures pour construire une porte ou autre chose me hantait, car je n’avais pas eu la chance d’aller à l’école. Je n’ai pas tardé à tout abandonner pour m’inscrire dans un garage à Malouzini», se souvient-il. «J’ai eu la chance d’avoir un maître d’apprentissage qui partageait toutes ses connaissances en mécanique automobile. Même si j’étais un adolescent à l’époque, j’apprenais rapidement parce que j’étais très motivé. En huit ans d’apprentissage, je suis devenu ce que je suis aujourd’hui », raconte ce jeune père de famille.
En moyenne, il répare trois voitures par jour, en plus de celles qui viennent pour un entretien régulier. «Dieu merci, grâce à ce garage, j’arrive à subvenir aux besoins de ma famille. J’arrive également à aider mes parents qui sont restés dans mon village à Ndzuani», affirme-t-il avec fierté.Devenu à son tour maître d’apprentissage, il a actuellement neuf apprentis sous sa tutelle, et plus de trois générations ont déjà travaillé à leur compte, soit dans d’autres garages automobiles, soit en tant que chauffeurs de taxi.«Ce secteur est négligé par les autorités publiques. Nous n’avons jamais reçu aucune aide. Pourtant, nous estimons que ce secteur contribue grandement à lutter contre le chômage des jeunes. Nous manquons de tout, en particulier d’outils dont les prix ne cessent d’augmenter. Nous lançons un appel à l’État, car l’avenir de notre métier est incertain sans son soutien», conclut-il.