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Portrait d’un iconoclaste I Idriss Mohamed, le franc-tireur du grand mariage

Portrait d’un iconoclaste I Idriss Mohamed, le franc-tireur du grand mariage

Société | -

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Dans une île où le grand mariage reste la clé du prestige social, Idriss Mohamed fait figure d’exception. Fidèle à ses convictions, il refuse un rite qu’il juge ruineux et dévoyé, malgré la pression familiale et sociale.

 

C’est août, le mois des mashuhuli, ces grandioses festivités du grand mariage à Ngazidja. Partout, l’on ne parle que de ça, l’on ne vit que ça. C’est une institution, peut-être plus solide que l’Etat lui-même ! Et personne n’y échappe : le grand mariage est implacable ! Sauf pour quelques irréductibles, comme Idriss Mohamed.
Sous les frondes du jardin ombragé de son hôtel, Le Jardin de la Paix à Moroni Ambassadeur où nous l’avons rencontré, il repose avec une tasse de café sur la table carrée en bois. Il parle sans hausser la voix, mais avec une détermination qui ne laisse aucune place au doute. Il dégage cette assurance tranquille de ceux qui ont longtemps réfléchi avant de trancher : «Le Anda n’a plus de raison d’être dans notre société», croit-il savoir. 


Pourtant, dans sa famille, tout le monde a fait le fameux grand mariage (Anda), ce rite qui, à Ngazidja, ouvre la porte du rang social le plus élevé. Tous… sauf lui. «Ça a été pendant un bon moment un problème. Les gens voulaient que je le fasse », confie-t-il. Il n’ignore pourtant pas la valeur ancienne du anda : son regard se perd un instant, comme pour replonger dans un temps où cette cérémonie incarnait l’âme de l’île. «C’était le cœur de notre culture. On mangeait enfin de la viande, on chantait nos chansons traditionnelles.

C’était un moment rare dans un pays pauvre », se remémore cet ancien chantre du Front démocratique. Mais ce qu’il voit aujourd’hui le révolte : une tradition vidée de son sens, devenue, selon ses mots, «du n’importe quoi». «Les chiffres du baccalauréat sont catastrophiques ? Le pays ne parle que de grand mariage. Le gouvernement annonce la fermeture de lycées publics ? L’on n’a de souci que pour le anda… », regrette le vieux sage de 77 ans. « Avant, seuls l’aîné de la famille, garçon ou fille, y passait. Aujourd’hui, c’est tout le monde. L’épargne du Comorien y passe», ajoute-t-il.

Une question de principe

Idriss a lui-même payé le prix de sa rébellion. Marié en France, il avait prévu avec son épouse une célébration simple à leur retour. Mais sa famille a refusé. «Si ce n’est pas le grand mariage, on ne fera rien», lui a-t-elle rétorqué. Et rien n’a été fait. Ce souvenir ne l’émeut pas plus que cela. «Moi je suis un marginal, donc je m’en fous. Mais je n’accepte pas qu’on m’exclut des autres activités du village. Ah ça non !», assure cet homme trempé depuis tout jeune dans les idées indépendantistes, ancien membre de l’Asec et fondateur du fameux Comité Maore.


Il faut dire que la position qui dérange Idriss ne laisse pas indifférent. Il a été critiqué, interpellé en public. Lui, il sourit : «Je le prends comme un compliment. Ça prouve que je reste fidèle à mes convictions.» Beaucoup qui pensaient comme lui ont fini par céder. Pas lui. Il est de ces hommes qui ne craignent pas de marcher seuls. Il sait que le anda «finira par évoluer tout seul, par nécessité». En attendant, Idriss Mohamed continue de dire non, face à un océan d’adhésion, debout comme un îlot isolé.

Toimayat Hassane avec
Sardou Moussa

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