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Pouvoir judiciaire : Vers la révision du statut des magistrats?

Pouvoir judiciaire : Vers la révision du statut des magistrats?

Société | -   Abdou Moustoifa

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De nombreux rapports rédigés au cours de ces deux dernières décennies, n’ont eu de cesse de pointer les maux qui rongent le système judiciaire favorisée, selon eux, par la vulnérabilité des juges moins indépendants financièrement notamment.

 

Le 27 septembre dernier, dix magistrats ont officiellement prêté serment au tribunal de Moroni. Ces nouveaux juges font partie du dernier groupe formé dans le cadre du projet «Mahakama Yawusawa», financé par la France. Ce programme avait pour objectif de moderniser la justice comorienne. En trois ans, 161 professionnels de la justice, dont 30 magistrats et greffiers, ont été formés. Cependant, lors de la cérémonie marquant la fin du projet, le 20 mai, il a été souligné que de nombreux défis restaient à relever tels que l’amélioration des conditions salariales des magistrats dans le cadre notamment de la lutte contre la corruption.


Selon un rapport de réflexion sur l’amélioration de la justice, publié en 2011, «les agents de l’État et fonctionnaires, à l’instar des magistrats, vivent dans la misère, ce qui constitue un motif très probable de corruption.» En effet, selon l’article 70 de la loi de 2005 portant statut de la magistrature, les nouvelles recrues sont rémunérées sur la base de l’indice 980, soit 147 000 francs. Actuellement, avec l’ajout d’une indemnité de logement de 70 000 francs, le salaire de base d’un magistrat débutant varie entre 217 000 et 240 000 francs. Ce régime salarial s’applique à l’ensemble des magistrats de siège et du parquet, qu’ils exercent au tribunal de commerce, qu’ils soient juges d’instruction ou cadi.

Une situation qui suscite un profond mécontentement chez plusieurs juges ayant accepté de témoigner sous couvert d’anonymat. «Aujourd’hui, qui peut vivre avec 217 000 francs dans un contexte d’inflation galopante, dans un pays où tout augmente chaque jour ? Avec cette somme, je dois payer le transport quotidien, la nourriture, les soins, sans parler des autres charges pour ceux qui ont une famille. C’est impossible», déplore un magistrat du tribunal de Moroni, qui appelle l’État à réagir.

Les procureurs

Pour permettre aux juges de vivre dignement, l’article 62 du statut prévoit pourtant un avancement tous les deux ans. Mais cette disposition est rarement appliquée. Ainsi, certains magistrats en service auraient dû patienter dix ans, voire davantage, avant de bénéficier d’une augmentation. Au sein de l’appareil judiciaire, seuls les chefs de juridiction, notamment les procureurs, perçoivent des rémunérations confortables, avec des émoluments débutant à 600 000 francs. Ils jouissent également de plusieurs avantages : voiture de fonction, passeport diplomatique, logement, entre autres.

À la Cour suprême aussi, le régime de ses membres est particulier. «Mais nous, qui sommes au bas de l’échelle et prenons tous les risques, subissons ce traitement inégal. À un moment, le pauvre finira par payer pour gagner son procès, pendant que le juge se substituera à l’avocat», alerte un juge d’instruction. Une inquiétude que partage le directeur général des affaires judiciaires. «Avec ces salaires dérisoires, vous vous attendez à ce qu’un juge soit intègre ? Pas si sûr.

Certes, une meilleure rémunération ne garantit pas la probité, mais elle constitue une condition de base. Ensuite, en cas de faute, le magistrat devra subir les sanctions appropriées », soutient cet ancien procureur général, Soilihi Mahamoud, alias Sako, avant d’ajouter : «Si vous faites les calculs, entre le transport, les frais de scolarité, la nourriture et le remboursement de crédits, il ne reste que 15 000 francs sur les 217 000 à la fin du mois, sans compter les dépenses de santé. Ce n’est pas une vie.»

Proposition de 500 000 francs

Ces conditions alimentent inévitablement la démotivation et les tensions internes. «On finit par se tendre des pièges pour obtenir des postes comme ceux de chefs de juridiction, parce qu’ils ouvrent des portes, des connexions dans les banques ou les chancelleries. Une fois en haut, on essaie de s’y maintenir le plus longtemps possible», confie un ancien juge. Il rappelle par ailleurs que le corps de la magistrature est interdit «d’exercer toute activité politique, fonction publique ou autre profession salariée», conformément à l’article 11 du statut.


«Peut-être que la nouvelle génération, voudrait être exemplaire, irréprochable, mais jusqu’à quand elle tiendra le coup si même avec ce qu’elle gagne il leur est difficile de vivre décemment», interroge un ancien procureur. Conscient du risque que peut engendrer cette situation, des ministres ont essayé de revaloriser les salaires des juges. «J’avais proposé d’insérer dans la loi de finances un volet prévoyant un fonds spécial d’un montant inférieur à 230 millions de francs (selon les calculs effectués). Le but était de garantir un salaire minimum de 500 000 francs à tous les magistrats, quel que soit leur revenu indiciaire, sauf ceux qui gagnaient déjà cette somme.

Mais je n’ai pas été soutenu par mes collègues ministres», se remémore l’ancien ministre de la Justice Fahmi Said Ibrahim, selon qui les salaires trop bas que perçoivent actuellement les magistrats les rendent vulnérables. Ce dernier avait toutefois obtenu des prêts garantis par l’État qui ont permis à des juges de s’acheter des voitures.
Selon nos informations, confirmées par le directeur général des affaires judiciaires, le ministère de la Justice travaille actuellement à la révision du statut des magistrats.

L’avant-projet prévoit un salaire de base de 300 000 francs. Mais cela suffira-t-il à endiguer la tentation de corruption dans ce milieu ? «La corruption est profondément enracinée dans la culture. Presque devenue naturelle, elle se propage au sein de la population et touche toutes les strates des milieux professionnels», souligne un rapport de diagnostic sur l’état de la justice, publié en 2015. Le document relevait déjà que «les citoyens, mais aussi les professionnels de la justice qui tentent de s’affirmer et d’adopter une conduite de vie détachée de ces pratiques, s’exposent à des difficultés dans leur vie professionnelle et personnelle, et finissent souvent par être marginalisés».

Un mal ancien

Preuve que les maux qui rongent la justice sont profonds et anciens, un séminaire national sur la justice, tenu en août 2002, dont le rapport a été consulté par Al-watwan, dressait déjà le même constat de ces problèmes demeurés d’une brûlante actualité vingt-trois ans plus tard. Ce diagnostic «sévère» dénonçait la corruption «effrénée» de certains magistrats, qualifiés pour certains de «douaniers». «D’autres, fraîchement recrutés, possèdent une ou deux villas ainsi qu’un parc automobile. Les justiciables dépourvus de relations dans les juridictions risquent de voir leurs affaires anéanties ou classées sans suite, voire d’être carrément déboutés s’ils ne versent pas les pots-de-vin exigés», relevait le rapport issu d’un projet dit d’ «Appui au développement des petites entreprises».


Le rapport du séminaire recommandait en urgence le renforcement du Conseil supérieur de la magistrature, censé se charger de l’affectation, de la nomination et de la notation des juges. Mais s’il existe bien, ce conseil reste aujourd’hui loin d’être pleinement opérationnel.

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