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Ruptures précoces, violences, mariages forcés I Une plongée dans les causes du divorce aux Comores

Ruptures précoces, violences, mariages forcés I Une plongée dans les causes du divorce aux Comores

Société | -   Abdou Moustoifa

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Des données globales sur le phénomène manquent. Toutefois, des chiffres de 2024, provenant de l’Unfpa, énumèrent parmi les causes des divorces en hausse les violences conjugales, les mariages précoces, ou encore la polygamie.

 

Irma et Saïd (noms d’emprunt), après trois ans de fiançailles, avaient décidé de se marier. Âgés respectivement de 27 et 29 ans, ils se sont finalement séparés huit mois plus tard. Ce type de rupture soudaine après le mariage est loin d’être rare. Il est difficile de disposer de chiffres précis sur l’ampleur du phénomène, et encore moins de taux exacts. Toutefois, certaines causes reviennent fréquemment et font consensus : manque de maturité, absence de préparation émotionnelle, époux non prêts à s’engager, mariages financés entièrement par les parents sans réel amour entre les conjoints... mais la liste ne s’arrête pas là.


Au niveau de l’Institut national de la statistique et des études économiques et démographiques (Inseed), une enquête harmonisée sur les conditions de vie de 2020, menée auprès de 5000 ménages a seulement révélé que 63,8% des sondées sont en union, tandis que 3,27 % se disent divorcés. Dans des données actualisées 2024, le Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap), avance quelques-unes des raisons qui poussent les couples comoriens à se séparer.


A lire cette synthèse, cinq principales causes des divorces se distinguent : les violences conjugales, les mariages précoces, la polygamie, le manque de services de soutien, les pratiques culturelles et juridiques (la répudiation par exemple). Le même document révèle que les mariages d’enfants restent courants avec 31,6% des femmes âgées entre 20 et 24 ans, mariées avant les 18 ans. «Cette pratique contribue à l’instabilité matrimoniale et peut mener à des divorces précoces en raison de l’inexpérience et des attentes irréalistes», indique le document.A propos des violences, environ 17% des femmes disent être victimes de violences sexuelle ou physique dans leurs vies, pendant que 4,9% l’ont été au cours de ces 12 derniers mois de l’enquête. Toutefois, on pense que ces chiffres sont sous-estimés en raison du tabou social et le manque de confiance envers la justice, ce qui conduit à des divorces.

Code de la famille

Il convient de noter que l’article 57 du Code de la famille en vigueur définit le divorce (twalaka) comme l’acte par lequel l’époux se sépare de son épouse. Toutefois, ce même code, en vigueur depuis 2005, reconnaît également à la femme le droit de demander le divorce en cas de défaut d’entretien, d’absence prolongée sans contact manifeste, de démence ou de maladie grave. L’épouse est également en droit de solliciter le twalaka si elle déclare être victime de sévices infligés par son mari.


La fin du mariage peut aussi être demandée par la femme si son époux est «homosexuel, alcoolique, adultère ou médicalement reconnu comme impuissant», entre autres cas prévus par la loi.Approché, l’un des juges du tribunal cadial de la capitale, affirme recevoir, rien que dans son cabinet couvrant Moroni, Mkazi, Mavinguni, Nvuni, près de 7 demandes de divorce par semaine. «90% sont déposées par les femmes. De notre côté, après avoir reçu la requête, nous convoquons les deux époux pour une audience au cours de laquelle ils ont le droit de se faire assister par des avocats. L’objectif de la démarche est de trouver un consensus. Nous ne sommes pas là pour mettre fin aux mariages», a souligné le juge, Abdallah Mohamed Chakir.


A l’en croire, après l’audition, le cabinet dispose de six mois maximum, période durant laquelle trois renvois sont prononcés, toujours dans le but de donner une chance au couple de se réconcilier. «Si un arrangement s’avère impossible et que l’un des époux exige le divorce, à ce moment-là nous prononçons la fin de l’union», éclaire Mohamed, qui admet que nombreuses sont les ruptures qui interviennent dans les foyers sans le juge.Une hypothèse appuyée par une étude rédigée par le docteur en sociologie du genre, le juriste Abderemane Soilihi Djae. Cet enseignant à l’Université des Comores s’est penché sur la problématique du divorce aux Comores, pour donner quelques indices aux acteurs juridiques d’agir afin de réduire considérablement les divorces sans procédures ni motifs valables.

22 femmes interrogées

Publiée dans la revue «European academic research», l’enquête, a été menée dans les tribunaux de Moroni, Fomboni et Mutsamudu, entre janvier 2017 et février 2020. Près de 11 praticiens du droit en exercice, 22 femmes victimes de divorce et 7 chefs religieux ont répondu au questionnaire. L’équipe a aussi consulté des dossiers déjà traités. On peut dire que les conclusions sont frappantes.L’étude a révélé que « 18% seulement des divorces » sont prononcés devant les tribunaux contre « 88% survenus» dans les foyers. «Près de 63% de ces femmes répudiées vivent en milieu rural et sont sans emplois. Ceci nous fait croire que le milieu urbain est moins touché», avance l’étude, selon laquelle les femmes et les enfants deviennent vulnérables après le divorce.


Les causes répertoriées sont multiples. Adultère, alcoolisme, la polygamie ou mésentente grave entrainant un climat de désaffection grave, ou encore les mariages croisés très présents à Ngazidja.Se basant sur des témoignages recueillis, le sociologue, Abderemane Soilihi Djae a aussi noté qu’à Ndzuani, une femme arrivée au mariage sans sa virginité est susceptible d’être répudiée. Là encore, le manque de données ne permet pas d’apprécier quelle place occupe ce phénomène.

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