Le projet de loi sur le code de l’information et de la communication, soumis à l’Assemblée nationale pour révision, suscite de vives réactions. Selon l’article 159 du code en vigueur, « le journaliste n’est pas tenu de divulguer ses sources et ne peut, dans ce cas, être inquiété par l’autorité publique ». Le nouveau texte introduit une exception : l’article 169 stipule que le journaliste peut être contraint de révéler ses sources « sauf décision judiciaire motivée, dans les cas exceptionnels prévus par la loi ». Nombreux sont ceux qui s’inquiètent de cette nouvelle disposition. Al-watwan a recueilli les points de vue de journalistes, d’anciens responsables médiatiques et d’un juriste sur le sujet.
Mohamed Jaffar Abbas, ancien président du Conseil national de la presse et de l'audiovisuel (Cnpa) :
« Je ne serai jamais favorable à toute initiative visant à affaiblir la loi qui protège le secret des sources des journalistes. Cette protection constitue un pilier fondamental de la liberté de la presse et donc de la démocratie. Certains cherchent aujourd’hui à remettre en cause ce droit essentiel en prétendant que la levée du secret des sources ne se ferait que dans des situations exceptionnelles et strictement encadrées. Mais chacun sait que, dans un environnement où la justice manque souvent d’indépendance et d’équité, ce type de mesure risque surtout d’offrir un nouvel outil de pression permettant de réprimer davantage les journalistes. Qu’au lieu de renforcer la transparence et la responsabilité, on ouvre la voie à des abus qui intimideraient les professionnels de l’information et mettraient en péril leur rôle indispensable de contre-pouvoir. »
Bakari Idjabou Mboreha, ancien journaliste :
« C'est une proposition inique et inadmissible. La protection des sources est pour le journaliste l’équivalent du secret médical pour le médecin. Le divulguer même à un juge revient à rompre le lien de confiance entre le journaliste et sa source d’information. Valider cet article serait museler une presse déjà frileuse. »
Ahmed Ali Amir, ancien directeur général du journal Al-watwan :
« Le Code de l’information et de la communication en vigueur aux Comores affirme un principe simple et clair : le journaliste n’est pas tenu de divulguer ses sources et ne peut, dans ce cas, être inquiété par l’autorité publique. Cette disposition constituait un socle essentiel de la liberté de la presse dans notre pays. Or, le projet de loi 2025 introduit une nuance lourde de conséquences : "Le journaliste n’est pas tenu de divulguer ses sources d’information, sauf décision judiciaire motivée, dans les cas exceptionnels prévus par la loi." À mon avis, derrière l’apparente continuité, c’est un véritable changement de philosophie. On passe d’une protection absolue à une protection conditionnelle. Il est vrai que cette évolution s’aligne sur des standards internationaux permettant au juge d’intervenir dans des enquêtes extrêmes concernant par exemple le terrorisme, la criminalité organisée… Mais l’Histoire nous enseigne que les 'cas exceptionnels' peuvent devenir des pratiques ordinaires. »
Ali Moindjié, ancien directeur général d’Al-watwan, d’Al-balad et de l’Ortc :
« Le principe est la liberté. Les restrictions sont l’exception. Je ne vois pas pourquoi on doit annoncer cette restriction de l'information illicite que personne ne peut définir. La loi prévoit déjà les limites de cette liberté : le secret-défense, la diffamation et l'injure. Pourquoi devoir créer ce concept d’information illicite difficile à cerner ? Tout se passe comme si le but était de restreindre la liberté d’expression et non pas de la promouvoir. Et c’est regrettable, notamment parce que les entreprises médiatiques sont loin d'être développées dans notre pays. Il aurait été plus logique de tenter d'encourager l’investissement dans le secteur et non pas le contraire. Quand vous allez à Mutsamudu aujourd'hui, vous verrez qu’il n'y a aucun journal qui y est distribué, pas plus qu’il n'y a de télévision locale. Ce sont des manques qui doivent être comblés. Il faut pour cela être vigilant par rapport au cadre légal qui peut défavoriser la création de nouveaux médias ou repousser les porteurs de projets. »
Moudjahidi Abdoulbastoi, avocat au barreau de Moroni :
« Dans certains systèmes, la protection des sources peut être levée exceptionnellement, par voie judiciaire. Ce n'est pas ce que moi j'aurais proposé. Personnellement, j'aurais proposé que ce soit le Conseil national de la presse et de l’audiovisuel qui ordonne la levée de la protection, après avoir auditionné le journaliste en question. Toutefois, si vous laissez passer l'exception judiciaire, laissez l'article 169 tel qu'il est en y rajoutant les conditions suivantes :
-la gravité de l'information : l'exception ne doit être autorisée que pour prévenir ou réprimer un crime ou un délit particulièrement grave (terrorisme, atteinte à la vie, corruption à grande échelle, etc.) ;
-la nécessité impérieuse : la révélation de l'identité de la source doit être d'une importance cruciale pour l'enquête ;
-le dernier recours : l'information doit être impossible à obtenir par d'autres moyens (principe de subsidiarité) ;
-la proportionnalité : l'atteinte au secret professionnel du journaliste doit être proportionnée à l'intérêt public que représente la manifestation de la vérité pour l'affaire en question.
D'ailleurs, si vous suggériez l'exception Cnpa, j'aurais proposé toujours les mêmes conditions. Dans tous les cas, faites préciser dans la loi que l'autorisation judiciaire ne peut s'obtenir dans le cadre d'une enquête dirigée contre le journaliste lui-même. »
