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Said Toihir Bin Said Ahmed Maoulana : Itinéraire d’un grand lettré ouvert d’esprit

Said Toihir Bin Said Ahmed Maoulana : Itinéraire d’un grand lettré ouvert d’esprit

Société | -   A.S. Kemba

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Les Comores ont commémoré, vendredi, la deuxième année de la disparition de Said Toihir bin Said Ahmed Maoulana décédé le 8 avril 2020. De nombreuses activités socioreligieuses ont été organisées toute la semaine dernière pour rendre hommage à celui qui fut pendant vingt-deux ans le troisième mufti de la République (1998-2020). Homme d’une très grande culture, «Fundi» Toihir avait une perception fine de la société comorienne et du monde. Il aura marqué les esprits pour sa grande sagesse, l’étendue de ses connaissances et la dimension exceptionnelle de sa personnalité. Il fera l’unanimité au sein de l’élite religieuse nationale dont une très bonne partie dit «revendiquer l’immense héritage». Pour ses disciples, Said Toihir bin Said Ahmed Maoulana avait créé une approche «très efficace» dans l’interprétation des préceptes et une étonnante méthode d’explication des sujets les plus complexes. «Sa connaissance de la société comorienne lui a permis de s’intéresser au problème foncier, à la justice, aux traditions et notamment du Anda na mila», rappelle une brève biographie publiée quelques jours après son décès

 

Un homme agréable à entendre», «Un grand réservoir de savoirs», «Une personnalité à l’humour rare et à la voix unique», «Un citoyen tout court aux idées pointues et au savoir extraordinaire». Après chaque fin de prêche à la radio et en public à l’occasion de cérémonies religieuses ou coutumières, beaucoup avaient tendance à se demander «comment cet homme aura réussi à concentrer un volume aussi important de connaissances. La facilité avec laquelle l’ancien mufti, Saïd Toihir bin Saïd Ahmed Maoulana, expliquait les hadiths et interprétait les différents courants de pensée a été d’une grande originalité. De nombreux adeptes prenaient plaisir à reproduire l’expression gestuelle et à restituer les traditionnelles séances de traduction du Coran assurées par «le maître» à la grande mosquée de Ntsudjini. Suite à ce décès, le pays «n’a pas seulement perdu un digne fils mais aussi une partie de son âme», soutiennent-ils.


L’homme a appris les évolutions et les miracles de la société comorienne. Il a vécu les principales étapes de la construction de l’Etat, contribué à ses équilibres et à sa stabilité. «Said Toihir Bin Said Ahmed Maoulana a incarné l’image du savoir, de la tolérance, de la culture et de la modernité prôné par notre religion musulmane», a souligné le chef de l’Etat, Azali Assoumani à l’occasion de la cérémonie de commémoration officielle de sa disparition, à la place de l’indépendance .

«Grande culture», «pensée», quête permanente du savoir

Homme d’une très grande culture, le troisième mufti des Comores avait une perception fine de la société comorienne et du monde. Il aura marqué les esprits en raison de sa grande sagesse, l’étendue de ses connaissances et la dimension exceptionnelle de sa personnalité. Il fera l’unanimité au sein de l’élite religieuse nationale dont une bonne partie revendique l’«immense héritage». Pour sa part, le grand cadi, Mohamed Said Athoumane, appelle à enseigner la «pensée» du défunt mufti et des autres grands érudits du pays. 


Selon ses disciples, Saïd Toihir bin Said Ahmed Maoulana avait créé une «approche particulière très efficace» dans l’interprétation des théorèmes et une étonnante méthode d’explication des sujets les plus complexes. «Sa connaissance de la société comorienne lui a permis de s’intéresser au problème foncier, la justice, aux traditions et notamment le Anda na mila», soutient une brève biographie publiée quelques jours après son décès. «Le Mufti Said Toihir avait cette faculté de maîtriser n’importe quelle discipline», affirme l’enseignant, Mohamed Ahmed Safari, qui a passé plus de quarante ans à ses côtés. 


Lire lui a, certes, permis de se forger une faculté personnelle de comprendre l’état du monde, ses succès et ses excès, mais son envie insatiable de recherche du savoir avait fait de lui un éternel apprenti. Sa documentation très bien fournie a surtout aidé le chercheur à faire une analyse comparée des grands concepts grâce à un temps illimité de lecture approfondie des meilleurs livres du 20ème siècle.Même à son âge avancé, rien n’a entamé ses réflexes de brillant «étudiant» et son intuition propre à interpréter fidèlement la parole de Dieu. «De son vivant, il n’a cessé d’apprendre, d’actualiser et de renforcer ses connaissances dans un monde en perpétuelle évolution. Il tirait profit de son temps pour lire et aussi écrire», ajoute l’auteur de cette brève biographie.


Celui qui deviendra le troisième mufti des Comores a pris le temps d’apprendre les «sciences islamiques», maitriser les fondements de la théologie, mais ce n’est pas tout : «Sa grande capacité à allier la pratique religieuse avec la culture et les traditions populaires a été son point fort», a reconnu Dr Ouled Ahmed, ancien doyen de la Faculté des Sciences islamique de l’Université des Comores. En plus des connaissances acquises à l’Université d’Al-Azhar, «Fundi» Toihir se «nourrissait» parallèlement des penseurs et philosophes que sont Rousseau, Engels, Kant, Nietzsche, Montesquieu, Max Weber et d’autre encore et s’était approprié la pensés d’Emile Durkheim, le roi de la sociologie.

«Grande ouverture d’esprit»

Un cocktail de connaissances qui a contribué à parfaire sa compréhension du monde et à lui ouvrir l’accès au savoir et aux théories scientifiques des plus grands penseurs du monde. Grand fan des médias, «Fundi Toihiri» était au courant des grands débats internationaux et des multiples bouleversements mondiaux.«Il aimait les travaux de recherches. Il se documentait beaucoup, même avec les ouvrages qui n’étaient pas religieux, comme les écrits de Lénine et K. Marx ou ceux sur les autres religions. Le mufti a beaucoup plus travaillé sur les droits de l’Homme et les droits de la femme dans l’islam comparé à ses pairs prédicateurs», soutient le doyen de la faculté Imam Chafoun, Dr Abdouraouf Abdou Omar.Amateur de football alors qu’il était tout jeune, comme il le dit lui-même dans une autobiographie avec notre collègue journaliste Ibnou Mohamed, le mufti devait «tourner le dos aux grands fastes de la vie» pour se concentrer aux études.


Un choix qui s’était révélé payant : un séjour à Zanzibar, l’éducation reçue de son oncle et son formidable envie d’apprendre lui ont permis d’arriver en tête d’un concours avec, à la clé, une bourse pour l’Egypte à l’Université d’Al-Azhar.L’étudiant comorien avait impressionné le monde universitaire jusqu’au sommet de l’Etat égyptien. «Etudiant, il a pris la parole lors d’un grand rassemblement au Caire, en présence du président égyptien Gamal Abdel Nasser. Il sortira de l’Université Al-Azhar avec un diplôme de master en Usul’LFikhi, il reste l’un des premiers comoriens diplômés de la prestigieuse université égyptienne Azhar charif», lit-on encore dans la biographie.


De son vivant, Said Toihir bin Ahmed Said Maoulana combattait toute forme d’ignorance et s’érigeait en défenseur d’un «islam ouvert» et d’un «vrai dialogue des cultures» : «A mon arrivée aux Comores, je n’avais qu’un seul objectif : éveiller la conscience de la population, lutter contre l’ignorance, apprendre la religion aux gens et enseigner et vulgariser les sciences islamiques», devait-il préciser dans cette autobiographie où il avoue, par ailleurs, n’avoir jamais été victime de mauvais traitements ou d’injustice de la part des autorités politiques du pays.

Au service de la paix et de la concorde

Son implication dans la résolution des conflits sociaux, la réconciliation des familles déchirées et le renforcement de la paix ont fait de Fundi Toihir un intellectuel qui a mis ses idées au service de la concorde au sein de la société. «Sa voix aura marqué plusieurs générations à travers ses interventions publiques dans les villes, mosquées, et lors de ses habituelles émissions radiophoniques où il enseignait les valeurs de l’islam», souligne la biographie.Sa disparition, il y a deux ans, avait marqué les esprits.A l’annonce de son décès le mercredi 8 avril 2020 dans la soirée, c’est la respiration de toute la population d’un pays qui s’était arrêtée un instant. Ceux qui connaissaient la stature et la richesse intellectuelle du défunt reconnaissaient aussi sans ambages que l’ancien élève d’Al-Azhar est irremplaçable. Paix à son âme.

 

Said Toihir bin Said Ahmed Maoulana en 20 dates

1942
Naissance à Ntsoudjini, arrière-petit-fils de Fu Mbavu, grand frère de M’sa Fumu

1949
Départ à Zanzibar chez Said Moustoifa bin Djaffar

1956
Inscription en classe de première au Lycée d’Al-Azhar en Egypte

1958
Obtention du baccalauréat et entrée à la faculté de droit de la prestigieuse université d’Al-Azhar

1961
Obtention d’une licence et d’un diplôme de Magistère en Sciences islamiques (Fiqh)

1964
Formation et obtention d’un diplôme de pédagogie et diverses formations dans des instituts de formation au Caire

1967
Voyage en Ouganda, Madagascar et à Zanzibar et retour aux Comores, accueilli en fanfare à l’aéroport Prince Said Ibrahim

1968
Début de carrière d’enseignant de "la morale islamique" au Lycée Said Mohamed Cheikh

1978
Inspecteur pédagogique de l’enseignement, conseiller au Tribunal de Moroni

1981
Premier grand prêche public du futur Mufti à Mitsamihuli, soit plus de 40 ans d’enseignement et de vulgarisation de la religion aux quatre coins du pays

1982
Début des réflexions pour la mise en place du Conseil des ulémas

1988
Conception, élaboration et mise à jour de plusieurs programmes d’enseignement de la langue arabe

1990
Président légitime du Conseil des ulémas après le décès du deuxième mufti Said Mohamed Abdurahman

1993
Nommé membre de la Cour suprême des Comores

1994
Membre du Conseil islamique mondial et auteur de nombreuses publications sur l’Islam et la modernité

1998
Nommé Mufti de la République par le président feu Mohamed Taki Abdulkarim

2000
Début des réflexions pour la création de la Faculté Imam Chafiou

2003
Membre fondateur de l’Université des Comores

2014
Grâce à sa grande culture et son ouverture d’esprit, la France lui décerne la Légion d’honneur

2020
Décès à l’hôpital El-Maarouf de Moroni à l’âge de 84 ans

 

 

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