Le troisième sommet des Nations unies sur les océans a pris fin le 13 juin. Quelles peuvent être les retombées pour un pays comme le nôtre ?
Pour tirer bénéfice de ce genre de sommet, il faut arriver préparé, avoir une stratégie, faire du lobbying et du plaidoyer et disposer d’une équipe d’experts solides. En dehors de cela on fait simplement acte de présence…
Justement à propos de l’océan, suite à un carton rouge de l’Union européenne de 2016, les accords de pêche entre Bruxelles et l’Union des Comores ont été suspendus. Ils pourraient de nouveau être signés, mais est-ce que les précédents étaient équilibrés ?
Sur le papier, les accords entre l’Union européenne et ses partenaires des États Afrique-Caraïbes-Pacifique (Acp) semblent équitables. En pratique, c’est complètement déséquilibré. Beaucoup de ces États Acp acceptent de signer des clauses tout en sachant qu’ils ne pourront jamais les mettre en œuvre. Par exemple, signer que les bateaux européens vont verser leurs cargaisons sur des balances dans les pays où il n’y a pas de système de chaine du froid, accepter qu’il y aura des marins du pays dans les bateaux européens sont quelques exemples d’engagements impossibles à réaliser, pourtant séduisants sur le papier. Depuis 1988, les Européens viennent pêcher dans nos eaux, qu’avons-nous fait de la contrepartie financière qu’il nous verse. Le pêcheur comorien qui utilise la pirogue à balancier pêche comme on a pêché au moyen-âge. Pourtant depuis plus de 30 ans des sommes sont allouées à l’amélioration de la filière pêche…
Le montant lui-même oscillant entre 600 000 et 1 million d’euros ne devrait-il pas être revu ?
Les montants devraient être revus, de même que la destination ou l’usage de ces financements. Pendant 37 ans, nous avons été incapables de construire la moindre infrastructure pour améliorer la pêche artisanale ou industrielle. Je propose dans les prochains cycles de négociations de ne plus verser l’argent aux autorités comoriennes mais de demander en contrepartie des infrastructures pour les pêcheurs industriels et artisanaux. Ainsi l’Union européenne doit, au lieu de nous verser l’argent , construire des balances de pesée pour les bateaux qui viennent pêcher chez nous. Dans la somme qu’elle nous verse, qu’elle nous achète directement des équipements de surveillance maritime civile. L’Ecole de pêche de Mirontsi peut constituer un embryon d’une politique nationale d’économie bleue en transformant l’infrastructure en école-usine de transformation de produits halieutiques. Nous sommes les seules îles au monde sans chantier naval. Il est temps de créer une école-chantier naval et de nous engager au remplacement des pirogues à pagaie par des bateaux à moteur d’ici 2030, pour l’émergence du secteur de la pêche.
Les Accords de pêche entre l’Union européenne et l’État comorien ont été mis en place pour la première fois en 1988. En quoi consistent-ils exactement ?
Ces accords prévoient qu’un certain nombre de bateaux européens puissent venir pêcher dans les eaux territoriales comoriennes on contrepartie d’une rémunération financière.
Quelles en sont les clauses ?
Il existe beaucoup de clauses, notamment sur la taille des mailles des filets, les périodes de pêche, les zones de frayage, ainsi que la taille des navires, l’affectation des bateau de pêche ou de transport etc.
Etaient-elles effectivement suivies ?
Le fait de ne pas être en mesure de nous acquitter de nos responsabilités est du pain béni pour les armateurs européens. Ils sont heureux que nous ne soyons pas capables de ramener nos marins dans les bateaux européens. Peut-être qu’ils utilisent des mailles de filet plus petites que celles autorisées dans les accords mais avec l’absence de marine équipée, il nous est impossible de vérifier cette information. Donc même si les accords semblent parfaits sur le papier, le suivi est une autre histoire.
Avons-nous les moyens de surveiller notre zone économique exclusive ?
Selon les dires de certains observateurs, nous n’avons pas les moyens de surveiller notre zone économique exclusive. Il est connu de tout le monde que beaucoup de pays pratiquent la pêche illégales dans notre zone économique exclusive et cela représente un manque à gagner considérable. Nous ne nous en rendons pas compte parce que la richesse halieutique n’est pas visible.
Les pêcheurs parlent de gros navires présents régulièrement dans nos eaux. S’ils n’appartiennent pas à l’UE, à qui appartiennent-ils ?
Je ne voudrais pas faire ici des accusations gratuites, mais les soupçons vont plus vers des pays asiatiques…
Il semblerait qu’ils s’adonnent à la pêche illégale, de quels moyens disposent les Comores pour lutter contre ces pratiques ?
Contre la pêche illégale nous sommes très faibles, nous ne disposons pas pas d’intercepteurs rapides, pas de relais satellite ni de drone d’observation du trafic maritime…
Que pourrions-nous faire pour que les Accords de pêche soient réellement bénéfiques à la population ?
Il faudrait commencer par créer une commission nationale transparente et ouverte aux experts comoriens, aux pêcheurs ainsi qu’aux membres du parlement... Ensuite, nous devons augmenter nos compétences en termes d’expertise et de maîtrise de nos ressources. Enfin, définir des positions claires et connues de toute la population comorienne sur les négociations au sujet des accords de pêche…
Les pêcheurs comoriens doivent s’aventurer de plus en plus loin, parfois jusqu’aux côtes mozambicaines, pour trouver du poisson. Les ressources halieutiques se raréfient-elles ?
Effectivement la pêche industrielle a tendance à assécher la mer. En l’absence d’infrastructures de surveillance, certains bateaux étrangers rentrent même dans la zone réservée à la pêche artisanale. A terme ce sont nos océans que nous allons totalement vider et bientôt nous devrons importer du poisson.
Comment allier activités économiques et préservation de nos ressources ?
Il existe une expertise reconnue, disponible sur des pratiques de pêche durables et responsables. Si vraiment nous le voulons, nous pourrons y accéder sans difficulté.
Un mot sur les bateaux étrangers battant pavillon comorien ?
C’est là aussi un scandale parmi nos pratiques opaques ; nul ne sait comment ces pavillons sont attribués, quels sont les montants et pour combien de temps. C’est un mystère. Il serait pertinent de créer une commission nationale ouverte, transparente et inclusive, qui fixerait les prix et créer un règlement sur l’attribution des pavillons comoriens.