Dans notre pays, beaucoup de foyers ont choisi le français comme langue courante, au détriment du shikomori, notre langue maternelle. Il en résulte qu’il n’est pas rare de tomber sur des enfants, nés aux Comores et élevés sur place, qui ne parlent que le français, au foyer, à l’école et dehors, car ayant été exclusivement élevés par leurs parents dans cette langue. Faut-il donc continuer à parler shikomori à la maison ou privilégier le français ? Pour Loulou Said Islam, mère de famille, la situation est préoccupante. «Je suis du genre à veiller pour la valorisation de notre langue maternelle.
Cependant, avec mes enfants influencés par le français, je réalise que nous, les parents, tombons souvent dans le piège de croire que cette langue facilite la communication. C’est une erreur », confie-t-elle. Cette dernière regrette de voir les enfants s’éloigner des repères culturels comoriens, tout en soulignant sa propre lutte. « J’essaie de leur parler en shikomori, même s’ils persistent à répondre en debe debe. Au moins, j’aurai essayé de leur transmettre les bases», dit-elle. Un avis partagé par Darouèche Ali, enseignant d’anglais, qui voit dans la langue maternelle un pilier de l’identité nationale.« Parler fréquemment une langue étrangère à la maison fait perdre notre identité. La différence entre les enfants nés ici et ceux nés à l’extérieur se voit dans leur maîtrise du shikomori. Nous devons au moins leur apprendre à s’exprimer facilement», suggère-t-il. Pour lui, la langue étrangère s’acquiert à l’école, tandis que la langue comorienne se transmet au foyer.
À l’inverse, Mouslim Halidi, diplômé sans emploi, défend une approche plus pragmatique. «Nous voulons des enfants capables d’affronter la réalité du millénaire. Les initier aux langues vivantes dès leur jeune âge est une nécessité. Le shikomori reste limité et manque de normes linguistiques. Parler français à la maison facilite leur apprentissage et leur ouverture sur le monde», pense ce dernier. Selon lui, maîtriser le français ne met pas en danger le shikomori, car « nos enfants ne peuvent pas se passer de leur langue maternelle».
Notre dernier interlocuteur est aux antipodes de Dr Abdou Djohar, linguiste, pour qui la situation est alarmante. « Il est regrettable de voir des parents comoriens délaisser leur langue maternelle pour parler français à leurs enfants. Le shikomori n’est pas qu’un moyen de communication, c’est notre patrimoine immatériel, le symbole de notre identité et de notre culture», affirme le chercheur. Et de rappeler que la transmission du shikomori passe avant tout par la famille. « Si les parents cessent de le parler, les générations futures risquent de ne plus le comprendre. Par ailleurs, maîtriser sa langue maternelle aide à mieux apprendre les autres langues», assure-t-il.
Quant à Soilihi Moumine, ancien enseignant, il adopte un point de vue plus nuancé. «Le français est notre langue d’enseignement. Le parler à la maison avec les jeunes enfants leur permettra de mieux s’adapter à l’école et d’améliorer leur niveau. Tout dépend de la manière dont les parents équilibrent les deux langues», soutient-il.Le débat reste ouvert. Entre ceux qui prônent la préservation du shikomori et ceux qui privilégient le français comme outil de réussite. Mais une chose fait consensus : la langue maternelle demeure le socle de l’identité, et son avenir dépend avant tout de la volonté des parents à la transmettre, sans pour autant fermer la porte à la modernité et au plurilinguisme.
