“La situation financière de la SCH est très difficile”, c’est l’un des constats du rapport analytique préparé par une équipe des services du Fonds monétaire international (Fmi) et achevé le 1er décembre 2023. Approuvé par le département Afrique et publié en janvier 2024, ce document d’une soixantaine de pages révèle les difficultés que rencontre la Société comorienne des hydrocarbures (Sch) face à une forte hausse du cours du Brent, bien qu’elle résiste à la concurrence et remplit ses missions sans l’aide de l’Etat. Ce document illustre, chiffres à l’appui, l’importance de la Sch dans l’activité économique à travers le volume de ses importations et dans les recettes de l’Etat. L’analyse de la structure de prix révèle des pertes très importantes dans ce secteur, d’où découlent des subventions très coûteuses à l’Etat.
Considérée depuis la nuit des temps comme une société à la bonne santé financière, le Fmi démontre plutôt l’inverse en s’appuyant sur des chiffres qui semblent convaincants et alarmants. L’on parle de pertes qui atteignent une dizaine de milliards de francs comoriens. «En 2022, les pertes s’élèvent à 14.5 milliards (soit 2,5% du Pib). On observe que toutes les marges sont négatives sauf dans le cas du JET (carburant aux avions)», est-il clairement précisé dans ce rapport. Evoquant les fortes hausses du prix du baril au cours de l’année 2022, occasionnées par le conflit en l’Ukraine et la Russie , le rapport estime que l’augmentation du prix à la pompe en mai 2022, qui a suscité beaucoup de mécontentements auprès des consommateurs comoriens, n’a pas pu éviter ces pertes considérables. «Ces ajustements n’ont pas pu empêcher les pertes importantes enregistrées par la Sch durant l’année 2022 », reconnait l’équipe de l’institution internationale.
Des observateurs se demandent les raisons de cette dégringolade alors que l’établissement public assurait régulièrement sa large contribution au budget de l’Etat, bien loin par rapport aux autres sociétés. Ce document souligne que le secteur public ignore l’ampleur des pertes sur ses ventes de gasoil à la société nationale de l’électricité (Sonelec). Pourtant, parmi les plus de 100 millions de litres d’hydrocarbures importés annuellement en moyenne durant les cinq dernières années, le gasoil livré à la Sonelec représente 45 à 51% du total selon les années. «Les pertes sont particulièrement élevées dans les cas du gasoil vendu à la Sonelec (6.5 milliards, soit 45% des pertes) et le pétrole domestique (4.65 milliards, soit 32% des pertes). Ces deux produits représentent ainsi à eux seuls 77% des pertes récentes de la Sch », découvre-t-on dans ce document. Il y a lieu de se demander si la Sonelec serait, d’ici peu, la cause d’une crise systémique, en allant en faillite tout à la fois en occasionnant la faillite de la Sch.Comment est on arrivé là pendant que l’on a toujours parlé d’un tirage auprès de l’Islamic Trade Finance Corporation (Itfc) sur le financement des approvisionnements énergétiques ? L’équipe du Fmi découvre que la société d’Etat est obligée de compléter le financement de ses achats par d’autres sources de financements, par fonds propres ou prêts bancaires.
6.5 Milliards, soit 45% des pertes
«Depuis quelques années, le financement des approvisionnements énergétiques est assuré par un tirage auprès de l’Itfc. Mais avec la forte hausse du cours du Brent, les fonds de l’Itfc ne suffisent plus à couvrir intégralement le financement des importations », y est-il précisé.Le document a, par ailleurs, insisté sur « l’irrationalité » sur les recettes attendues de la Société comorienne des hydrocarbures et prévues dans le budget. Elles ne reflètent pas de ses états financiers. «Ces recettes ne doivent plus être dictées par les tensions de trésorerie de l’Etat mais par les états financiers de la société. Les paiements en 2022 d’impôts sur les bénéfices (1.16 milliards KMF) et dividendes (0.611 milliards KMF) ne reflètent pas les pertes importantes enregistrées par la Sch (environ 14,5 milliards). Demander plus de versement qu’il n’en faut à la SCH fragilise sa santé financière et donc sa capacité à payer plus d’impôts plus tard », est-il écrit dans le rapport.
Selon ce rapport, la Sch est la plus grande contributrice de recettes publiques parmi toutes les sociétés d’Etat, allant jusqu’à près de 19% des recettes domestiques en 2020. Elle contribue aux recettes de l’Etat en versant, durant l’année 2023, la taxe intérieure sur les produits pétroliers (Tipp) estimée à 8,527 milliards de francs. L’on voit que malgré les pertes attendues et connues par les services de tutelle, l’Etat continuait à réclamer de versements au budget. Pourtant, la Sch, selon toujours le rapport, n’est pas autorisée à fixer les prix suivant les cours du baril.
Irrationalité sur les recettes
Quelques mauvaises pratiques ont été également révélées par le rapport. L’on peut citer l’avance de carburant au profit des stations essences pour être payée après l’écoulement des produits, créant souvent des tensions de trésorerie. «La SCH déduit directement le montant de son impôt sur les sociétés ainsi que de ses dividendes du résultat en l’imputant sur un compte de tiers. La Sch verse aussi à l’armée une partie de la Tipp collectée au titre de pensions alimentaires (au lieu de les verser à la banque centrale sur le compte du trésor avant l’affectation par l’Etat dans d’autres postes de dépenses), en plus de fournir du carburant en nature à l’armée”, peut-on lire dans le rapport. Enfin, les pertes enregistrées par la Sch conduisent à des subventions de sous-tarification de produits pétroliers. Il est bien précisé que la Sch ne reçoit pas de subvention de l’Etat ni dans le cadre de ses investissements ni dans le cadre de ses coûts de fonctionnement.En revanche, la Sch peut se trouver dans une situation où la société vend certains de ses produits à perte. «Les pertes enregistrées peuvent être considérées comme des subventions au prix de carburant pour les clients de la Sch, ou des subventions de sous-tarification. Ces subventions peuvent avoir des incidences sur la situation financière de la SCH et/ou sur les recettes fiscales », la sonnette d’alarme est tirée dans le rapport.