Quel est l’état des lieux de la fonction publique de manière générale ?
D’une manière générale le fichier de la Fonction publique est un fichier qui est très mal géré. Très mal géré dans le sens où il n’y a pas eu respect des procédures en matière de gestion de carrière des agents. Déjà, la loi qui régit la Fonction publique est une loi de 2004. Elle prévoit beaucoup de dispositions, notamment la modalité d’application des organes consultatifs. Mais comme il n’y a pas eu un décret d’application mis en place à cet égard, il y a eu défaillance dans le traitement des dossiers, surtout les dossiers en contentieux. C’est ce qui alourdit un peu la tâche de l’administration.
Malgré la volonté impulsée au plus haut niveau par les autorités actuelles pour faire bouger les choses, en bas de l’échelle – si tout le monde est d’accord qu’il faut maîtriser, assainir la masse salariale, les effectifs – personne ne veut être concerné. C’est cela qui pose véritablement problème.
Quand je suis arrivé, j’ai constaté beaucoup de dérapages, surtout en matière de recrutements dans la période électorale. Il y a eu des dérapages incontrôlés. Il a fallu, fort heureusement, un arrêté du ministre de la Justice au début du régime pour retirer des fichiers de la Fop tous les recrutements intervenus à partir de décembre 2015.
Dans la loi électorale est en effet prévu qu’aucun agent ne peut être régularisé, pour aucun motif, durant la période électorale, soit six mois avant les élections. Et justement c’est dans ces six mois-là qu’il y a eu le plus de recrutements.
J’ai trouvé, en ce qui concerne les recrutements et les régularisations, des numéros d’ordre allant jusqu’à 800, voire 1000, durant cette période. Parfois à raison, parfois à tort. Tous les éléments cités m’ont permis de revoir un peu le fichier pour essayer de mettre de l’ordre dans la Fop.
Quelles sont les irrégularités relevées ?
Les contrôles ont démarré le 18 septembre 2017, au niveau des services de l’Union qui se trouvent à Ngazidja. Je tiens ici à rectifier ce qui a été écrit par votre collègue.
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Nous avons bien contrôlé les agents de l’île autonome de Ngazidja, mais nous n’avons pas encore sorti les résultats. L’analyse mentionnée portait sur les services de l’Union qui se trouvent à Ngazidja. Il y a des services de l’Union qui se trouvent à Mwali et à Ndzuani. Nous prevoyons les contrôles à Ndzuani à partir de janvier 2018.
Nous avons commencé par analyser les fichiers dans le système – des agents de l’Union donc – qui se trouvent à Mwali, à Ndzuani et à Ngazidja. En faisant des recoupements de tous ces fichiers nous nous sommes trouvés en face de doublons. Nous avons trouvé à peu près 51 personnes avec un double salaire entre Ngazidja et l’Union, à peu près 30 personnes entre l’Union et Ndzuani et 19 personnes à peu près entre Mwali et l’Union.
Une dizaine de personnes entre les îles autonomes de Ndzuani et Ngazidja, et environ 5 personnes entre Mwali et Ngazidja. Ces chiffres concernent les traitements sur fichiers seulement, pas les contrôles sur place. Comme vous pouvez le constater, même entre les îles il y a des doublons.
Pire encore, nous avons eu à identifier certaines personnes, deux personnes différentes, qui utilisent le même compte. À peu près une dizaine de personnes, c’est-à-dire dix comptes utilisées par 20 personnes. Nous avons identifié aussi des personnes qui ont le même nom, le même numéro d’identité nationale mais qui ont deux comptes différents. Sans compter les abandons de poste et les agents fantômes.
Comment expliquer l’existence de doublons ?
Ce sont des personnes qui opèrent des transferts d’une entité vers une autre. Lorsqu’elles intègrent une nouvelle entité, on leur demande de produire ce qu’on appelle un certificat de cessation de paiement, qui est délivré par le trésor de l’entité dont elles relèvent.
Ce qui se passe ce qu’on prend la cessation de paiement comme étant un document normal qui doit être pris en compte, on informatise la personne dans la nouvelle entité, mais l’entité à qui elle appartenait auparavant n’exécute pas la cessation de paiement au niveau de la machine.
C’est là où se créent les doublons. Ce qui fait qu’aujourd’hui même si quelqu’un présente une cessation de paiement, j’exige une fiche signalétique pour vérifier que la personne a bien été détachée de l’ancienne entité, preuve qu’elle ne sera pas doublement payée.
À quelles périodes s’étalent-ils?
Il y a des doublons qui sont récents et des doublons qui datent de très longtemps. Un individu qui était payé dans l’Union et dans l’île de Ngazidja a eu à rembourser jusqu’à 12 millions de francs comoriens. À qui la faute ? À tout le monde quelque part. Mais surtout à celui qui perçoit. Parce qu’il sait très bien qu’il perçoit un double salaire, mais se tait et encaisse l’argent.
Pouvez-vous évaluer le montant du préjudice subi ?
Le montant a été évalué, rien qu’entre Ngazidja et l’Union, à plus de 80 millions. Les autres doublons sont évalués à peu près à 19 millions par mois. Par an, on est dans les 200 millions.
Qu’en est-il des faux diplômes ?
Nous n’en sommes pas encore arrivés là, mais nous y travaillons. Nous ramassons tous les dossiers et les passons au peigne fin. Une fois que nous aurons identifié un faux diplôme, nous agirons en conséquence.
Des personnes haut placées…
Il n’y a pas de personnes haut placées ou personnes mal placées. Le fichier contient des agents de l’État.
La suspension des salaires à Ndzuani a-t-il un lien avec les contrôles en cours ?
Effectivement. Nous avons cru pouvoir terminer le travail bien avant. Malheureusement nous n’avons pas pu aller plus vite. Le gouvernement a donc décidé de payer, sachant que les contrôles vont se poursuivre.
En termes de collaboration il n’y a pas de problème. Toutes les autorités des îles ont souhaité à ce que ces contrôles se fassent. Le gouverneur Salami, en particulier, nous a demandé de les accélérer. L’analyse des fichiers et la préparation des équipes nous ont pris du temps. Mais là, nous sommes prêts.
Qu’en est-il du gel des avancements ?
Ils sont gelés en partie. Des avancements se font actuellement, mais ils concernent les agents qui ont atteint l’âge limite de la retraite. Nous sommes obligés de les régulariser rapidement, six mois en amont, pour qu’ils puissent justement bénéficier de leurs pensions.
Nous ne pouvons pas faire des avancements en masse pour les raisons citées plus haut. Nous devons remettre de l’ordre, assainir le fichier. Il faut comprendre que l’argent des avancements est aux mains d’autres personnes.
Quelles sont les sanctions prévues ?
Nous avons suspendu quelques agents. Nous avons prévu de réagir au fur et à mesure. L’objectif n’est pas de sanctionner mais de rectifier le tir, faire en sorte que le fichier soit correct. Maintenant s’il y a des agents qui ont commis beaucoup d’abus, il y aura des sanctions.
Quand espérez-vous rendre le rapport définitif ?
Nous pensons qu’il sera prêt au mois de février.
Propos recueillis par
Dayar Salim Darkaoui