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Suspension du ndola ya anda I Un impact social et économique indéniable

Suspension du ndola ya anda I Un impact social et économique indéniable

Société | -

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Des études estiment les sommes générées lors de la célébration du “Grand mariage” en temps normal, autour de 100 milliards de francs comoriens par an, à raison de 10 à 30 millions de francs, parfois même plus, par noce. Les conséquences de sa suspension, dans le cadre des mesures barrières contre la Covid, sont fortement ressenties, depuis près d’un an, dans de nombreux domaines de la société.

 

Le mariage traditionnel ou “anda”, anime et rythme la société comorienne, plus particulièrement à Ngazidja où il “règlemente” souvent en profondeur les comportements, notamment en instaurant une forte cohésion, une interdépendance et une solidarité sociales entre les différentes couches de la société, et a un impact indéniable sur l’économie et particulièrement au niveau commercial.


Les activités menées dans le cadre de cette pratique coutumière qui encourage, notamment, le partage et la redistribution des richesses et dope la consommation sur une période d’au moins six mois chaque année, apporte un sérieux coup de pousse à la croissance économique. Des études estiment, en effet, les sommes générées par le “Grand mariage” à des dizaines de milliards de francs comoriens par an, à raison de 10 à 30 millions de francs et parfois même plus par noce.
Depuis un an, un décret présidentiel a suspendu, par deux fois, la tenue du anda dans le cadre des mesures de distanciation physique adoptées pour tenter d’enrayer la propagation de la pandémie de la Covid-19 qui frappe le monde.

Une contribution Importante

Cette décision a fortement impacté la vie des Comoriens et cette tradition installée dans le pays depuis des siècles et, parfois, selon certains historiens, et sous des formes diverses, depuis son premier peuplement vers le premier millénaire ap. J.-C.“Le mariage traditionnel prête main forte à l’économie surtout au niveau de la consommation. Les nombreux achats qu’il occasionne notamment en matière de construction, contribuent à la croissance économique.

En effet, quand on parle de anda, on parle de consommation, et plus vous consommez, plus vous augmentez la richesse du pays. Le “anda” favorise également la consommation des ménages. Il accroît la richesse locale étant donné qu’on réalise des achats liés à l’agriculture, l’élevage et la pêche. Le problème vient de ce que, pendant ces mariages, il y a une certaine tendance à chercher à importer de l’étranger. Toutefois, en envoyant nos devises à l’extérieur, cela augmente notre marge commerciale”, analyse pour Al-watwan, le gouverneur de la Banque centrale des Comores, Younoussa ben Imani.

 
La suspension des festivités liées au anda, a entrainé une importante baisse du chiffre d’affaires et de la marge commerciale au niveau de nombreuses activités, et une baisse nette des opportunités d’emploi, donc une hausse du chômage, dans certains secteurs d’activités. De l’agriculture à la bijouterie en passant par les salons de beauté, la couture, le commerce de produits alimentaires et l’habillage, entre autres, c’est presque toute l’activé économique du pays qui est ébranlée.
Cela ne s’arrête pas là. Les scénographes, les chanteurs, producteurs, interprètes et autres paroliers de la chanson de mariage ont dû, souvent, tout simplement baisser le rideau. C’est d’autant plus inquiétant que, ces derniers temps, la plupart d’entre eux, avouent vivre, de plus en plus, principalement des recettes occasionnée par les activités directement liées aux ndola ya anda.


“Depuis l’ouverture de notre affaire il y’a sept ans, nous n’avons jamais rencontré autant de problèmes qu’en ces temps de suspension du anda. Avant la pandémie, je pouvais recevoir quatre à cinq clients quotidiennement et jusqu’à dix à quinze, le week-end. Actuellement nous en sommes à deux et parfois moins. J’ai dû licencier deux employées étant donné qu’à la fin du mois il y’a les salaires et le loyer à payer et des produits à acheter, entre autres”, résume, pour sa part, la gérante de l’institut de beauté, Au palais des princesses, sise à Itsandraya mdjini, Asma Piaraly Kalfane.

Outil de développement

La suspension du grand mariage impacte non seulement la vie du citoyen lambda, mais, également l’Etat à travers les municipalités. Pour une autorisation de mariage, un couple doit payer à la municipalité une somme d’argent variable selon la commune. À la mairie de la capitale, Moroni, par exemples, on paie 15.000 fc pendant que dans le Washili à l’est de Ngazidja, elle est fixée à… 25.000.
De même, l’effort de développement au niveau communautaire s’en ressent fortement, du moins pour ce qui est de l’île Ngazidja, une île où les routes secondaires, des structures sanitaires, des salles de classe, les lieux de rassemblement et de loisirs tels que les bangwe, les foyers de jeunes, les terrains de jeux, la gestion des structures associatives de tout genre, parfois même l’électrification des localités, sont financés substantiellement, souvent uniquement, par le anda.
“Il est indéniable que la suspension du mariage traditionnel a un impact négatif d’une part, chez les commerçants qui, en temps normal, profitent, généreusement, de l’afflux massif de Comoriens de l’étranger qui viennent célébrer ces mariages, pour doper leurs chiffres d’affaire et, d’autre part, sur les villes et villages ou l’Etat est absent dans le financement des projets de la collectivité. En effet, il serait d’une malhonnêteté intellectuelle certaine de ne pas reconnaitre que la majorité des réalisations dans les localités de Ngazidja vient de l’argent du mariage traditionnel”, soutient le chercheur associé au Centre national de documentation et de la recherche scientifique (Cndrs) et sociologue, Charafa Toybou,.

Interrogations

Dans un pays où la majeure partie des adultes puise les occasions de se divertir dans les festivités liée au mariage traditionnel, la suspension de ce dernier entraine des problèmes d’autres natures. L’Homme a un besoin nécessaire de maintenir les liens sociaux pour conserver son équilibre mental et psychologique et l’impression de bien-être. Une longue suspension du anda peut entraver cet équilibre et causer du stress supplémentaire en obligeant à un repli sur soi qui fragilise les liens sociaux, avec les conséquences que cela entraîne.


En effet, selon toujours, Charafa Toybou, pour un MGazidja, ne pas pouvoir honorer son mariage traditionnel qui permet d’atteindre le statut social très convoité qui en découle, “impacte psychologiquement”. Même si le sociologue admet que cette idée constitue une prénotion dans la mesure où, pour en avoir le cœur net, il aurait fallu des enquêtes plus approfondies avant de tirer des conclusions d’ordre général.


“Nous sommes réduits à rester à la maison et à se regarder à longueur de journée sans rien à faire après le boulot. Forcément, nous allons finir par lâcher à la fois aussi bien sur le plan physique que psychologique. Il est peut-être judicieux d’arrêter le anda, en ces temps de crise sanitaire, mais il faut bien admettre que les activités qu’il occasionne auraient pu nous soulager dans cette période de chaos”, devait déclarer, comme pour conclure, le notable Ali Msaidié.

Mahdawi Ben Ali

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