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Sécurité aérienne I Des enquêtes mais «aucun éclairage officiel» sur les accidents

Sécurité aérienne I Des enquêtes mais «aucun éclairage officiel» sur les accidents

Société | -   Abdillahi Housni

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Le 26 février 2022, un vol d’AB Aviation disparaissait en mer. Le 5 mai 2024, un avion de R’Komor ratait son décollage à Mwali. Trois ans et un an plus tard, toujours aucun rapport officiel. Un silence révélateur des failles persistantes du système d’enquête aéronautique national.

 

Le 26 février 2022, le vol Y61102 opéré par Fly Zanzibar pour le compte d’AB Aviation s’écrasait au large de Mwali, à l’approche de la piste de Bandar-Salama, dans des conditions météorologiques difficiles. À bord, 14 personnes dont deux membres d’équipage. Aucun survivant. Aucun corps non plus, ni épave, retrouvée à ce jour. L’enquête ouverte dans la foulée semblait prometteuse : mobilisation des autorités, création d’une cellule d’investigation. Mais les résultats n’ont jamais été rendus publics comme le confirme l’avocat des familles des victimes, Me Saïd Mohamed Saïd Hassane, qui affirme n’être au courant d’aucun rapport officiel sur les circonstances du crash d’AB Aviation.

Un cas qui n’est pas isolé

Des sources proches du dossier affirment que des conclusions préliminaires auraient été transmises au président de la République. Mais ces documents n’ont pas été divulgués. Aucune explication officielle sur le pourquoi de cette décision et de ce silence institutionnel. Sur la plage de Djwaezi, ce jour-là, des enfants jouaient au football. Ils affirment avoir vu l’avion tomber du ciel. Il est un peu plus de 14h ce 5 mai 2024 lorsque le Fokker 50 de R’Komor, qui s’apprête à décoller de l’aéroport de Bandar-Salama à Mwali à destination de Hahaya, quitte brutalement la piste. À son bord, 50 passagers et trois membres d’équipage. L’avion finit sa course dans les broussailles à quelques mètres du tarmac. Plusieurs blessés sont signalés, dont deux graves évacués par la compagnie aérienne vers Dar es Salaam pour y recevoir des soins. L’accident aurait pu tourner au drame.


Un an plus tard, aucun rapport officiel n’a été publié. Pourtant, ce n’était pas la première alerte concernant cet appareil. Quelques mois auparavant, le même avion avait déjà connu une sortie de piste à Anjouan, cette fois lors d’un atterrissage avec un pneu crevé. L’appareil avait ensuite été remis en service après une maintenance effectuée en Tanzanie. Depuis, les interrogations s’accumulent. Pourquoi l’avion a-t-il été autorisé à voler à nouveau ? Quels dysfonctionnements ont conduit à cette nouvelle sortie de piste ? Et surtout, pourquoi les conclusions de l’enquête n’ont-elles jamais été rendues publiques, alors qu’une commission ad hoc avait été là aussi créée dans la foulée ?

Une culture du silence qui interroge

Contacté par Al-watwan, Mohamed Saandi Anzi, inspecteur de vol et directeur de la sécurité des vols à l’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie (Anacm), confirme l’absence d’un cadre structurel pérenne pour les enquêtes aéronautiques. Pour cet inspecteur et examinateur en vol, «il n’y a jamais eu de bureau enquête et accident aux Comores. Quand ce genre d’événement survient, une commission ad hoc se constitue. Elle commence le travail, mais s’arrête très vite, faute de budget. En ma connaissance, la seule enquête qui a abouti est celle de Yemenia dont le commandement était entre les mains de la Dgac Française».


Concernant l’accident de Mwali, il précise avoir dirigé une mission sur place avec quatre autres membres de la commission, qui ont «rendu compte à l’autorité hiérarchique», sans suite concrète. «Le Point focal de la Compagnie Fokker.B.V des Pays Bas, constructeur de l’avion nous relance régulièrement. Il y a moins de deux semaines encore, j’ai été interpellé, mais je n’ai pas de réponse digne à leur fournir», explique Mohamed Saandi Anzi. Si les passagers du vol R’Komor ont pu échapper au pire, le traumatisme reste profond. Aboul-Khair Ali Mbaraka El Amine, l’un des passagers, raconte une scène de panique. «Quand l’avion accélérait, tout paraissait normal. Puis, une sorte d’explosion, un changement dans le bruit des moteurs… L’appareil vibrait dans tous les sens.

On a paniqué. J’étais à l’arrière, j’ai ouvert une porte et j’ai couru loin de l’avion, persuadé qu’il allait exploser». Quelques jours après l’incident, une équipe est venue démonter des pièces de l’appareil pour les transporter vers Moroni. Mais l’épave principale, elle, est toujours visible, à quelques mètres de la piste de Bandar-Salama. Une présence fantomatique, témoin muet de l’inaction des autorités de tutelle. Ce statu quo illustre une faiblesse structurelle majeure dans la gestion des incidents aériens dans le pays. En l’absence d’un Bureau permanent d’enquête et d’analyse, les investigations reposent sur des commissions temporaires, sans budget, ni garantie d’aboutir, comme l’a expliqué Mohamed Saandi Anzi. Une situation qui laisse les victimes sans réponses, les familles dans l’attente, et les citoyens dans l’inquiétude. 

 

 

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