On ne le voit plus, le pas alerte, l’appareil photo en bandoulière, cherchant à se frayer un passage lors d’un événement pour avoir la meilleure prise. On ne le voit plus non plus dans les rédactions des différents organes de presse écrite de la Grande-Comore, nuitamment demandant aux secrétaires de rédaction s’ils avaient toutes les illustrations qu’il leur fallait pour l’édition du lendemain. Surtout, il vient de moins en moins à Moroni.
En revanche, il continue de se tenir informé. Il est relativement actif sur le réseau social Facebook, commentant qui, un classico, qui publiant des photos d’actualité de la ville dans laquelle il vit désormais. Toimimou Abdou Mbae, puisqu’il s’agit de lui, photographe qui n’est plus à présenter, coule des jours pas malheureux à Mbeni, au Sud-Est de la capitale. Heureux, il eut pu l’être beaucoup plus. Pour cela, il lui faut les crépitements des flashs, et être au cœur de l’actualité. La maison qui l’emploie le journal Al-fajr, pour des raisons liées à sa santé, le tient éloigné, le temps qu’il aille mieux.
Pour autant, il aura marqué le paysage, d’abord, en étant pendant longtemps l’un de ceux chez qui les citoyens allaient se procurer de l’information.« De Toimimou Abdou Mbae, je retiens le kiosque emblématique qu’il tenait à la place des Banques, qui constituait le point de rencontres de beaucoup de gens, un espace de communion, lequel a dû disparaitre avec le temps » dira de lui, Ousseine Djoubeire Irchad, ancien secrétaire de rédaction de Al-watwan Presse Éditions. Si le Doyen Toimimou est plus connu en tant que photographe, pendant longtemps, il a officié en tant que « dépositaire des journaux au milieu des années 1980»
. Il a vendu quasiment tous les titres de l’archipel durant près de deux décennies, dans un kiosque qui était alors situé à l’emplacement de l’actuelle Banque Fédérale de Commerce. « Outre les titres de presse, je vendais aussi des cartes postales, des cigarettes, lesquelles me permettaient d’arrondir allègrement mes fins de mois grâce à Gilles et Bara Youssouf à qui je renouvelle toute ma reconnaissance », a-t-il déclaré. Quel événement l’a-t-il marqué quand il tenait son kiosque ? « En 1989, à la suite de l’assassinat de l’ancien président Ahmed Abdallah Abderemane, j’ai été pris d’assaut, le numéro d’Al-watwan a été littéralement dévalisé en une poignée de secondes, c’est, je crois, ma meilleure vente », s’est-il rappelé.
Il aura ensuite marqué le paysage en prenant des photos. Pendant longtemps, le sexagénaire, père d’un enfant, assistait aux événements culturels pour les immortaliser. Plus par passion que par amour du gain. En 2008, il est recruté par Albalad en tant que photographe. Le directeur général de la défunte boite, Ali Moindjié est marqué par son professionnalisme et son assiduité. « C’est un professionnel qui a toujours fait montre de disponibilité et de dynamisme, qui a su se conformer à des normes exigeantes et pour cela, malgré quelques légers différends qui ne manquent pas d’arriver dans le monde professionnel, Toimimou nous a entièrement donné satisfaction », a déclaré au téléphone ce samedi, celui qui officie en tant que conseiller au sein du Conseil National de la Presse Audiovisuelle.
Il n’a pas manqué de souligner que Toimimou a eu la chance d’exercer un métier dont il est infiniment passionné. « Pour beaucoup de choses, il m’a bluffé », a-t-il reconnu. Sa dignité, son altruisme. « Dès qu’il prenait quelqu’un en photo, que ce soit un quidam ou une personnalité, il se proposait toujours de donner les images gracieusement au concerné contrairement à certains », a fait savoir Nassila Ben Ali, ancien rédacteur en chef de Al-watwan. Quand l’aventure Albalad prend fin, il est recruté par Al-fajr.
« J’ai choisi ce métier pour deux raisons principales, être au cœur de l’information et connaitre les gens tout en me faisant connaitre d’eux », a indiqué « Doyen Toimimou ». Mission accomplie pour les deux objectifs de l’avis de beaucoup de ses collègues. « Tu te souviens quand je suis tombé malade en décembre 2019, grâce à mes confrères et à des amis que j’ai connus grâce à ce métier, j’ai pu bénéficier d’une évacuation sanitaire pour me soigner, pour cela je leur suis grandement reconnaissant », m’a-t-il lancé, un brin ému. Ce que Toimimou ne sait pas, c’est l’admiration que lui portent les journalistes toutes générations confondues, laquelle s’est manifestée activement quand il n’était pas au mieux de sa forme, à l’instar de Abdallah Mzembaba.
« Quand j'étais secrétaire de rédaction puis rédacteur en chef d'Al-watwan, nous avons eu à recourir à lui pour illustrer des articles avec des photos. Mais Toimimou, ce n'est pas que cela. C'est aussi une expérience de plus de trente ans dans le métier et cela aide beaucoup d'avoir des gens comme lui. Avec lui, tu as toujours des anecdotes sur le métier, des moments qu'il a immortalisés et surtout des débats passionnés sur l'Olympique de Marseille dont il est l'un des plus grands fans dans le pays. On ne décrit pas un homme comme Toimimou en quelques phrases, mais si j'avais à donner trois mots qui le symbolisent, ça serait : professionnel, généreux et passionné ».
L’ancien directeur de Masiwa, Idjabou Bakari abonde dans le même sens. « Le Doyen Toimimou est le type d’homme que l’on croise de moins en moins dans la profession. Jovial, courtois et serviable. Un confrère sur qui on pouvait compter. Toujours prêt à rendre service, à partager ses informations et l’un des premiers arrivé sur les évènements. En tant que directeur de Masiwa, j’avais décidé́ de ne plus répondre aux sollicitations pour des points de presse. Souvent, pour traiter l’information, à défaut de communiqué, je faisais appel au doyen et ses précieux enregistrements audios.
Et si la connexion ne le permettait pas, en voisin, il faisait le court déplacement jusqu’au siège du quotidien ». Masiwa se trouvait en effet à quelques encablures du journal Al-fajr dans le quartier historique de Badjanani, au centre de la capitale.Celui qui avait un appareil photo dès le début des années 1980 évoque avec émotion la visite aux Comores de l’ancien président iranien, Ahmed Ahmadinejad en 2009 et pour une seule et simple raison : « c’est la seule fois où l’on m’a laissé travailler sans avoir à subir bousculade et refoulement par les forces de sécurité », a-t-il relaté.
Quant à sa plus grande fierté, « c’est d’avoir servi mon pays, de m’être usé pour lui afin que mes compatriotes soient informés ». Il regrette cependant que les organes privés ne soient pas soutenus malgré les promesses de l’actuel chef de l’Etat, Azali Assoumani et que pas mal de d’hommes et de femmes de la profession vivent dans une précarité criante. Son rêve ? « « Être de nouveau sur le terrain, vivre du crépitement des flashs ». C’est tout le mal que nous lui souhaitons.
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