Autrefois symbole de solidarité et d’entraide, les tontines ces cercles magiques où l’argent font des rondes comme à la récré sont en train de virer au thriller. Ce qui ressemblait à une belle histoire de confiance vire parfois à la série policière, version quartier.Le principe, pourtant, semblait tout droit sorti d’un manuel de bonne conduite : quelques amies (souvent des femmes), un montant fixe à cotiser chaque mois, et à tour de rôle, chacune empoche le pactole. Simple, propre, efficace. Mais aujourd’hui, ce système vacille comme une table à trois pieds.
Maman Rahima, une habituée du système, en dresse un tableau pas très reluisant : «On commence toujours avec de bonnes intentions. Une présidente est désignée, une secrétaire prend les notes, une trésorière gère les fonds. Mais au fil du temps, certaines profitent du système. Elles encaissent leur part, parfois un million ou plus, puis disparaissent. Téléphones éteints, plus aucun contact. Quand on essaie de les retrouver, elles deviennent agressives.» Autant dire qu’après la fête, c’est parfois la chasse à l’homme… ou plutôt à la femme. Car certaines tontinières en colère ne s’embarrassent plus de procès-verbaux : elles passent à la saisie express.
«Des membres énervés vont directement chez la personne endettée pour récupérer leur dû en nature. Une télé ici, un ventilateur là. Il n’y a pas longtemps, on a même saisi une machine à laver », témoigne Harmia Salim. On est donc bien loin du partage autour d’un thé et de beignets. Face à cette ambiance digne d’un feuilleton à suspense, certaines ont préféré décrocher à temps.Rahama Soulé ne regrette pas son retrait : «J’ai quitté ces tontines très tôt, alhamdoulilah. On ne sait jamais qui est honnête ou pas. Le pire, c’est que certains refusent même de faire leur twarab [soirée dansante traditionnelle] chez eux pour qu’on ne sache pas où ils habitent. Ils prennent l’argent et fuient.» Tout simplement !
Les nouvelles générations de cotiseuses fugitives
Le fameux twarab, autrefois une cérémonie symbolique marquant la réception officielle de la cagnotte, est donc désormais esquivée. Plus question de montrer son adresse, de peur qu’on vienne y récupérer… la table de la salle à manger. Fatima Msa, elle, se souvient avec nostalgie des cotisations d’antan : «Dans les temps anciens, les cotisations pour les événements, mariages, mtwalaan, ou cérémonie de la cigarette étaient bien encadrées. Chaque maman payait avec fierté, en sachant que le même geste lui serait retourné un jour. L’argent récolté était redistribué équitablement, et chaque membre voyait concrètement le fruit de sa contribution.»
Mais ce bel esprit communautaire semble s’être évaporé avec les nouvelles générations de cotiseuses fugitives. «Aujourd’hui, avec les nouvelles tontines, on cotise pour quelqu’un, et cette personne disparaît avec l’argent ou arrête de cotiser sans honte.» Et quand on ose les confronter ? «Si tu oses leur rappeler leur devoir, elles crient “Tu veux que je vole ?”», poursuit Fatima. Pourtant, elles n’ont pas dit ça quand elles prenaient l’argent. Un autre membre, resté anonyme (sûrement pour éviter les représailles), résume ainsi le sentiment général : «On s’était entendus entre nous sur ces cotisations. Mais aujourd’hui, il n’y a plus d’honnêteté. On ne respecte plus nos engagements.»
Ce que beaucoup réclament ? Un bon vieux retour aux fondamentaux : intégrité, respect de la parole donnée et honnêteté. En attendant, il vaut peut-être mieux faire comme Rahama Soulé : y tourner le dos.
IMM avec SM