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Transport maritime I Michel Labourdère : «On a hâte que les ports primaires soient désengorgés...»

Transport maritime I Michel Labourdère : «On a hâte que les ports primaires soient désengorgés...»

Société | -   Sardou Moussa

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Depuis 2005, la compagnie Sgtm (Société de gestion et de transport maritime) assure le transport des passagers entre les quatre îles de l’archipel des Comores. Elle a survécu à tous les écueils, contrairement à bon nombre de ses consœurs, qui ont fini par disparaître. Retour sur un parcours atypique avec son gérant depuis le début, Michel Labourdère. Interview

 

La Sgtm a commencé à naviguer entre les îles Comores depuis 16 ans. Dans cette intervalle il y a eu de nombreuses compagnies qui ont disparu, la vôtre a survécu jusqu’à maintenant. Qu’est-ce qui fait cette longévité, ce succès ?

On a créé cette compagnie en février 2004, et on a fait notre première rotation entre Mayotte et Ndzuani le 17 décembre 2005. On a donc commencé par Mayotte-Ndzuani et rapidement on a ouvert Ndzuani-Ngazidja, et un an et demi après on a également ouvert Ndzuani-Mwali-Ngazidja.Tout d’abord on a recruté d’excellents collaborateurs, à commencer par des marins, que nous avons continuellement formés, tous les ans, jusqu’à aujourd’hui.

Il y a aussi une structure relativement importante, puisque Sgtm, ce n’est pas qu’une compagnie de navigation, c’est aussi un chantier naval, qui entretient la totalité de ses navires aux plans mécanique, hydraulique, électronique, esthétique (sièges, sol, peinture) et technique. Au sein de nos effectifs on a des électriciens, des électroniciens, des mécaniciens, un personnel naviguant hautement qualifié, des diplômés de l’Ecole nationale supérieure de la marine marchande qui œuvrent autour de cette activité. Nos navires sont suivis et classés par le bureau Veritas, c’est un gage de qualité important. C’est tout cela qui fait qu’au final on a duré...

Sgtm est tout de même une société de droit français qui navigue entre les îles Comores. Pourquoi cela est-il possible avec cette compagnie alors que le code maritime comorien l’interdit ? Avez-vous déjà eu l’idée ou la volonté d’enregistrer votre société ici aux Comores ?

C’est une excellente question qui mérite d’être posée. Sgtm est effectivement une société de droit français enregistrée à Mayotte, mais tous ses navires sont enregistrés aux Comores, avec le pavillon international, mais également le pavillon national. Ce qui nous permet de naviguer entre les îles en toute sécurité et sous l’œil bienveillant de l’Anam [Agence nationale des affaires maritimes] et des autorités qui encadrent tout cela.

Il y a plus de rotations entre Ndzuani et Mayotte qu’entre Ndzuani et la Ngazidja. Une seule entre Mutsamudu et Moroni et deux je pense entre Mutsamudu et Dzaoudzi, alors que vous êtes la seule compagnie autorisée à transporter des passagers entre les îles. Pourquoi n’a-t-on actuellement qu’une seule rotation entre Mutsamudu et Moroni ?

Nous faisons toute l’année, depuis 2005, Mayotte-Ndzuani 7 jours par semaine, Mayotte-Ngazidja une fois, Ndzuani-Ngazidjai-Ndzuani une fois, et Ndzuani-Mayotte 3 fois par semaine. Autrefois on était plus de trois armements : il y avait Zanzibar I et II, Tratringa III et IV, il y avait Ntringui Express, Princesse Caroline, et d’autres qui sont arrivés après. Mais simultanément il y avait au moins trois armements entre Mutsamudu et Moroni, qui faisaient chacun un ou deux voyages par semaine.

Ce qui nous faisait donc six bateaux par semaine. Aujourd’hui on fait une seule rotation par semaine entre Ndzuani et Moroni, et on la fait parce qu’on l’a cumulée avec les passagers de la ligne Mayotte-Moroni, sans quoi on serait incapable aujourd’hui de remplir un seul bateau pour Mutsamudu-Moroni. Pourquoi ? C’est très simple : les 1 200 passagers que nous avions à l’époque de Zanzibar, Tratringa et Ntringui, sont tous partis sur les navires de fret, qui souvent partent le soir. Il y a aussi l’autre moitié du marché qui est allée sur les kwassas, qui partent depuis Dodin. Tout ceci fait que la filière du transport des passagers s’est effondrée

. Mes confrères ont jeté l’éponge pour certains, d’autres ont fait faillite. D’autres essaient de résister mais ne naviguent plus, je pense à El-Djaanfari et Merza One. Et nous on arrêterait aussi s’il n’y avait pas les passagers Dzaoudzi-Moroni. Si on fait l’expérience demain [vendredi 22 octobre], Maria Galanta Express qui va faire Mayotte-Ndzuani et après-demain [samedi 23 octobre] Mutsamudu-Moroni, vous pouvez regarder nos listes des passagers, il y aura un tiers de passagers pour Mayotte-Ngazidja, et deux tiers de passagers Ndzuani-Ngazidja.

Le marché est donc devenu minuscule, alors que nous avons aujourd’hui deux bateaux au chômage, Gombessa et Citadelle, on a des équipages qu’on a quand-même gardés parce qu’on ne veut surtout pas les perdre, mais on n’a plus de travail. Or on ne peut pas prendre le risque de travailler à perte, on a besoin de rentabilité ; il s’agit d’une compagnie maritime aux normes internationales. On n’est pas sur des bateaux d’une valeur de 200 000 euros en moyenne comme vous avez autour de vous actuellement, c’est des bateaux à plus de dix millions d’euros (…).

Et je suppose que ce sont les mêmes raisons qui vous ont poussé à arrêter de desservir Mwali…

Pas tout à fait. On faisait la ligne Ndzuani-Mwali-Ngazidja, Ngazidja-Mwali-Ndzuani, avec Princesse Caroline, un bateau assez rustique, qui pouvait accoster sur la jetée à Fomboni. Chose qu’on ne peut pas faire aujourd’hui avec nos bateaux très couteux, trop fragiles, par rapport à Princesse Caroline.

Cette ligne était celle qui avait le meilleur rendement financier. On avait une très bonne rentabilité, c’était vraiment un succès. On a tenu un an, et au bout d’un an sont arrivés les kwassa. Nos bateaux se sont vidés, on faisait des rotations dans lesquelles on n’avait plus que trois ou quatre passagers. On a donc été contraint d’arrêter et de vendre Princesse Caroline à Majunga. C’est bien dommage parce que c’était un rêve pour nous. On aime beaucoup Mwali, c’était une escale très charmante, et on avait aussi l’ambition d’ouvrir une ligne Dzaoudzi-Mwali. Il y a énormément de touristes qui veulent y aller pour visiter la réserve et les beaux joyaux de l’île.

Et, à votre avis, qu’est-ce qui fait qu’un passager en arrive à préférer un kwassa au lieu de vos bateaux confortables et rapides ?

Premièrement parce que les kwassas partent en 30 minutes. Il n’y a pas de formalités de la Paf et de la douane. Il n’y a pas toutes les autres filtres que nous avons, la brigade, l’Eppam [autorité portuaire], toutes sortes d’organisations et de contrôles. Ensuite, leur trajet est beaucoup plus court : ils partent d’une pointe pour aller sur une autre pointe. Donc, en une heure, ils ont atteint la côte. Et donc ils sont compétitifs, pas au sens sécuritaire, mais la distance est divisée par quatre, et à l’arrivée tout le monde débarque en deux minutes. Nous, pour accoster il faut déjà vingt minutes. Et encore quand on peut accoster, parce qu’aujourd’hui à Mutsamudu la moitié du bateau reste en dehors du quai, parce que les quais sont encombrés par des navires qui ne naviguent pas, et qui ne paient pas, mais qui empêchent de travailler ceux qui naviguent et qui paient. C’est une vérité, je n’affiche pas d’animosité en disant cela, et les autorités font leur possible pour que cela change.

 

On voit bien qu’il y a plein d’écueils dans votre activité, mais vous faites malgré tout le nécessaire pour vous pourvoir en bateaux confortables et proposer de nouveaux services comme le transport des personnes décédées ou blessées. Quels sont vos projets à court et à long terme pour pouvoir continuer à entretenir cette société et à proposer des services confortables pendant encore longtemps ?

Effectivement on fait le transport mortuaire, les passagers en fin de vie, médicalisés, qui partent du Chr [Centre hospitalier de référence] de Mamoudzou pour rejoindre leur dernière demeure. On fait aussi les grands brûlés dans le sens Ngazidja-Mayotte, et les pompiers à l’arrivée du Chm de Mamoudzou. Mais on travaille aussi en étroite collaboration avec toutes les associations humanitaires, sportives et culturelles, de manière régulière. On est très présent auprès des associations ; on ne le fait pas savoir parce que ce n’est pas notre genre de fanfaronner, on est relativement discret. Mais maintenant qu’on a une chargée de communication, on va essayer de communiquer un peu plus dans ces domaines. C’est nous qui finançons le festival Medina 100 %, quoi qu’on en dise. Sur le long terme on voudrait faire plus de rotations, rouvrir absolument Mwali au départ de Mayotte. On a donc hâte que le port primaire de Mwali soit aménagé. Ensuite on aimerait faire plus de rotations entre Mutsamudu et Moroni, et donc on a hâte que les ports primaires soient désengorgés, désensablés, protégés et sécurisés, car aujourd’hui, durant nos opérations, il n’est pas rare de voir deux cents, trois cents personnes sur les quais qui ne sont pas des passagers ni des autorités, et c’est problématique pour la régularité de nos opérations. On souhaiterait également mettre plus de services, et dès que les conditions Covid-19 seront levées, (je parle des quotas que nous avons actuellement dans le sens Mayotte et les autres îles, où on est limité à 420 passagers par semaine, ce qui nous prive de passagers dans l’autre sens, car les gens hésitent à partir parce qu’ils ne peuvent pas revenir aisément), on pourra remettre des tarifs week-end comme autrefois, des allers-retours à moins de 100 euros.

Vos clients disent ne pas comprendre pourquoi la ligne Ndzuani-Mayotte est beaucoup plus chère que la ligne Ndzuani-Ngazidja, alors que c’est pratiquement le même trajet…

La Sgtm est obligée de s’adapter au marché, au pouvoir d’achat entre les îles. Au départ de Mayotte le pouvoir d’achat n’est pas le même qu’au départ de Ndzuani vers Moroni. Il est normal qu’on fasse aussi des efforts, mais on peut faire ces efforts de tarif de 20 000 francs en moyenne entre Mutsamudu et Moroni grâce aussi à la ligne Mayotte-Ndzuani. Il est donc important qu’on retrouve une stabilité entre Mutsamudu et Moroni pour créer l’équilibre.

 

 

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