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Viols-violences contre les femmes et les enfants | 198 cas enregistrés en six mois

Viols-violences contre les femmes et les enfants | 198 cas enregistrés en six mois

Société | -

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Le nombre de cas de violences faites aux enfants et aux femmes est en hausse, suscitant plusieurs interrogations. Les responsables des institutions et organisations travaillant dans ce domaine tirent la sonnette d’alarme et proposent des mesures drastiques. Pour eux, les pouvoirs publics doivent se montrer intransigeants en appliquant les lois à lettre. Pour des spécialistes des faits sociaux, le phénomène tend à se banaliser sous le prisme d’une société comorienne traditionnellement conservatrice.

 

Dans son discours à l’occasion de la 45è fête de l’indépendance, le président de la République, Azali Assoumani, s’est engagé à «prendre des initiatives et des mesures dans les jours et les semaines qui viennent contre la recrudescence inquiétante des actes des violence et des agressions faites aux enfants et aux femmes». Cet engagement a été bien accueilli par les associations de défense des droits des femmes et des enfants. Dans un entretien accordé à Al-watwan, le directeur général des Affaires sociales de Ngazidja, Ahmed Saïd Ahmed, a fait part de son inquiétude face à la recrudescence des actes de violence. Pour lui, «le confinement nocturne a contribué à l’accroissement des violences. Les enfants n’allaient pas à l’école. Comme les parents se rendaient au travail, les enfants se trouvaient seuls à la maison et les violeurs ont profité de l’occasion».


Ce chef du service d’écoute et de protection des enfants victimes de violence (section de Ngazidja) a partagé les données de deux premiers trimestres de 2020. Dans leurs statistiques des six derniers mois, le service d’écoute a enregistré 198 cas de violences sur l’ensemble des îles. «Au cours du premier trimestre 2020, 144 cas de violence dont 127 cas sur les enfants […] Les cas les plus fréquents rapportés sur les enfants sont les violences sexuelles (84 cas soit 66%.)», a-t-il révélé.
Pour le deuxième trimestre 2020, le rapport d’avril à juin mentionne «50 cas dont 45 du sexe féminin. 47 cas de violence sexuelle». Sur ce même document, on trouve «six victimes de violence sexuelle en situation d’handicape». Lundi 13 juillet, quatre cas ont été enregistrés. Il s’agit de quatre enfants de 13, 14, 15 et 16 ans, sachant que celle de 15 ans aurait «été abusée avec une grossesse non désirée».

Un quartier pour mineurs à la maison d’arrêt

A propos des mesures promises par les autorités, Ahmed Saïd Ahmed en a proposé six. «Pour bien lutter contre les violences, nous sollicitons l’extension des services d’écoute et la création des services de protection des enfants dans les différentes communes. Nous demandons ensuite des moyens de protection et de prise en charge des victimes de violences mais également le renforcement et l’application des lois contre les abus et agressions sexuelles», a-t-il cité avant d’ajouter dans sa liste des doléances la création d’un centre d’accueil d’urgence des enfants victimes de viols. «Des fois, nous nous retrouvons avec des enfants fugués qui ne peuvent pas retourner chez eux. Nos employés sont obligés de prendre en charge ces enfants», a-t-il expliqué.

«Traduire les paroles en actes»

Ce membre de la Cellule d’écoute de Ngazidja demande qu’un quartier pour mineurs à la maison d’arrêt soit créé. «Des fois, il y a des agresseurs mineurs qui sont condamnés. Ils se retrouvent en prison avec des criminels. Au lieu de sensibiliser ces enfants à ne plus refaire les mêmes erreurs, ils deviennent des délinquants», montre-t-il, sollicitant enfin la création d’une branche de formation des travailleurs sociaux et la mise en place d’un service d’assistance sociale.
De son côté, la commissaire nationale à la solidarité, à la protection sociale et à la promotion du genre a, elle aussi, salué l’engagement du chef de l’Etat. «Je tiens a remercier le président de la République pour s’être prononcé pour une lutte sans merci contre les violences. Nous savons que le président est derrière nous, mais son discours nous rassure et nous encourage», a-t-elle d’abord déclaré avant de souligner qu’il est urgent de «traduire les paroles en actes». Mariama Ahamada M’sa insiste sur le respect de la loi. «La première mesure c’est le respect de la loi. Le président doit prendre des mesures fermes sur la question du respect des lois. La Justice doit être catégorique sur la question de violences. On ne peut pas jouer avec la vie de nos enfants», martèle-t-elle proposant l’ouverture d’un service d’assistance sociale «pour aider psychologiquement les victimes, mais aussi les agresseurs».

«Respect stricte des lois»

Pour sa part, la présidente de l’Ong Hifadhu s’est réjouie de l’engagement promis par Azali Assoumani. «Cet engagement est un signal fort pour nous tous. Le président sait bien qu’aucun développement n’est envisageable, sans la sécurité des femmes et des enfants qui assurent la paix dans les familles. J’espère de tout cœur que des actes suivront très bientôt pour renforcer et concrétiser sa déclaration», a soutenu Rahamatou Goulam.
Saluant cet engagement, l’Ong Mwana tsi wamdzima, demande que la protection des enfants soit une priorité nationale. «Il faut tout simplement appliquer la loi sans aucune distinction», précise Najda Said Abdallah, appelant au respect strict de «la loi Fatah», «la loi Mourad» et à «l’amélioration des lois existantes». Les deux responsables des Ong citées demandent une revision des conditions de la liberté provisoire «pour éviter la justice populaire comme ce fût le cas récemment à Ndzuani».
Interrogé sur ce phénomène, le sociologue Mistoihi Abdillahi répond que la violence est un fait social. «La violence répond alors à tous les critères d’un fait social. La question reste de déterminer la nature de la violence, ses portées et ses limites», a-t-il expliqué avant de poursuivre que «la résolution des cas de violence par le système traditionnel comorien trouve son assise dans cette hypothèse. Je profite pour dénoncer toute forme de démission de l’Etat qui consiste à confier la gestion des conflits sociaux de nature violente à des hommes qui n’ont ni théorie, ni capacités mais dont leur atout est d’avoir distribué des billets de banques à des honorables. Il y a des magistrats formés pour régler des faits similaires».

Les réseaux sociaux contribuent à briser le silence

Et les réseaux sociaux dans tout ça ? Ahmed Saïd Ahmed dira que ces derniers ont beaucoup aidé, notamment sur la dénonciation des différents cas d’agressions et de violences . A l’en croire ça contribue aussi à la sensibilisation et à la conscientisation des gens. «Dans de nombreux pays, les réseaux sociaux constituent un refuge pour les femmes et les parents d’enfants victimes de violences. Malheureusement, ce refuge n’est pas systématiquement parfait. La culture comorienne ne nous permet pas de tirer profit de ces réseaux sociaux», soulignera Mistoihi Abdillahi. Pour lui, le plus souvent, on se focalise sur la victime et non le coupable «comme si c’est l’effet qui nous interpelle et non la cause». «Par conséquent, quelques années après, le violeur réussit à se réintégrer socialement et la victime meurt dans son isolement avec tous les effets psychologiques qui l’accompagnent», déplore ce sociologue avec un constat selon lequel «le peuple comorien est violent de nature, au point que la violence soit elle-même banalisée. Ce qui fait que cette violence est légitimée par un conservatisme ambiant, tout semble normal».


Pour lutter contre ce fléau social, Mistoihi Abdillahi propose de revoir le système. «Le plus urgent est de déterminer les causes -les motivations- de ces violences. Il est urgent qu’une étude soit réalisée à cet effet. J’ai essayé de le faire comprendre à de nombreux acteurs, personne ne veut m’écouter. Tous les combats qu’on mène se font dans le vide, vu qu’on ignore les motivations. Il faut une étude sérieuse sur les causes de ces violences. Autrement, nous dénonçons pour le plaisir de dénoncer. Je rigole quand j’entends des militants des droits de l’Homme plaider la peine de mort pour quelqu’un dont sa place se trouverait dans un hôpital psychiatrique», conclut-il.

Chamsoudine Saïd Mhadji

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