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Pierre Ganz : «le journalisme est une activité qui exige rigueur, indépendance d’esprit et humilité»

Pierre Ganz : «le journalisme est une activité qui exige rigueur, indépendance d’esprit et humilité»

Société | -

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Vice-président de l’Observatoire de la déontologie de l’information (Odi) en France, Pierre Ganz, aux Comores depuis une semaine, dans le cadre d’un projet de mise en place d’un observatoire des medias, revient sur la nécessité d’une telle structure pour mieux créer des relations de confiance entre les journalistes et le public. Pour lui, et face aux pressions de tout bord, le respect des principes déontologiques reste la règle d’or pour tout journaliste quelles que soient les spécificités socio-culturelles de son terrain d’activité. Après 45 années de carrière dont 18 ans à Rfi, l’ancien journaliste de l’Ortf met son expérience au service des structures nationales de régulation du métier de journaliste confronté aujourd’hui à l’accroissement des nouveaux modes de consommation de l’information.

 


Al-watwan / En quoi consiste votre mission aux Comores ?



Pierre Ganz : Dans le cadre de l’accord de partenariat entre le Cnpa (Conseil national de la presse et de l’audiovisuel, ndlr) et l’Ong française Actions Médias Francophones (Amf), une session de sensibilisation aux moyens d’assurer la responsabilité sociale des médias s’est tenue en avril. Il s’agit maintenant de mettre en place concrètement des outils d’autorégulation déontologique des médias, notamment un observatoire de la déontologie.


Quel est le rôle d’un observatoire des medias dans l’autorégulation de la profession de journaliste?



Pierre Ganz : Plus que d’un observatoire des médias, dont les travaux peuvent être économiques, sociologiques etc, il faut parler d’un observatoire de la déontologie de l’information. Il s’agit d’une instance regroupant des journalistes, des éditeurs et des représentants du public. C’est un lieu de réflexion collective sur les pratiques professionnelles. Il ne s’agit pas de sanctionner : le but est essentiellement pédagogique. L’observatoire répond aux questions ponctuelles du public sur le respect ou non de la déontologie par un média. Il peut publier aussi des recommandations générales. Il refuse de porter un jugement sur les choix éditoriaux des rédactions. Il est indépendant des pouvoirs publics et administratifs.  
    


On a tendance à confondre «le médiateur de la presse», «l’observatoire des medias» et «le conseil de la presse». Quel est le rôle et la mission de chacun ? Et quels sont leurs éventuels points communs ?



Pierre Ganz : Le médiateur est l’interlocuteur des lecteurs d’un journal, des auditeurs d’une radio, ou des téléspectateurs d’une chaine, qui s’interrogent sur la fabrique de l’information par ce média. Il répond à chacun et fait remonter les remarques pertinentes à la rédaction. Un observatoire des médias, ou conseil de presse, joue le même rôle mais suivant un plan national. Pour éviter le corporatisme et l’entre soi, cette instance accueille des représentants du public. Elle diffuse aussi des recommandations sur des points de déontologie. Par exemple sur le respect de la dignité des personnes dans le choix de photo.


Comment autoréguler la profession de journaliste dans un pays où la majorité des personnes qui l’exercent sont dépourvus des connaissances basiques ? Et quelles sont les actions à engager pour, en même temps, relever le défi de la formation et celui du respect de l’éthique professionnelle?



Pierre Ganz : Le rôle pédagogique d’un observatoire prend là toute sa dimension. Dire que telle démarche journalistique concrète répond ou pas aux bonnes pratiques professionnelles est profitable à tous les  journalistes, ceux directement concernés et les autres. C’est un travail pas à pas, qui à la longue donne des résultats. Lancer des formations initiales au journalisme à l’université, comme cela a été fait aux Comores, ou créer des centres de perfectionnement pour les journalistes en activité, et dans les deux cas mettre la déontologie journalistique au programme, sont des moyens d’accroitre le respect de l’éthique professionnelle.


Quelle approche préconisez-vous, aux Comores, pour un meilleur encadrement et un respect effectif des règles déontologiques ?



Pierre Ganz : Prendre conscience que le journalisme est une activité qui exige rigueur, indépendance d’esprit et humilité. Aux Comores comme ailleurs, même sans connaissances de base étendues, on peut concevoir qu’informer est une responsabilité sociale qui demande de respecter les faits et de ne pas avoir d’a priori. L’encadrement a un rôle essentiel à jouer, en faisant écran entre les rédactions et ceux qui tentent de faire pression sur elles.


Pierre Ganz, s'entretient avec le CNPA


Vous insistez beaucoup plus sur la nécessité de développer des relations entre les médias et le public. Pour quelle finalité? Et que peuvent faire les médias pour créer une interactivité avec les lecteurs et le public, en général ?



Pierre Ganz : Nous sommes à l’ère de l’expression de tous sur les réseaux sociaux et des commentaires en ligne sous les articles.
Les journalistes doivent quitter leur position de surplomb de la société et accepter le débat sur leur travail. Le dialogue avec le public est une source d’enrichissement des contenus, d’idées de reportages, d’enquêtes.
Créer, par exemple, un rendez-vous régulier pour répondre aux questions sur la «fabrique de l’info» est une piste. Partir des interrogations du public sur un sujet d’intérêt général pour lancer une enquête une autre.



Ceux qui apporteront un regard critique sur le contenu sont des citoyens qui ont forcément des intérêts politiques, corporatistes et autres. Comment éviter que leurs propres intérêts n’influent pas sur les choix éditoriaux des medias?



Pierre Ganz : Même les citoyens engagés sont capables de réfléchir au bien commun qu’est une information fiable de qualité. Au sein d’un observatoire des médias, ils n’auront pas plus que les autres membres à juger la ligne éditoriale d’un média et ses choix, mais uniquement le respect des règles déontologiques.

 


Il y a, aujourd’hui, le développement des fake news. Les réseaux sociaux se développent. Des citoyens sont à la fois producteurs et consommateurs de l’information. Faut-il réinventer une autre forme de journalisme? Que devrait être l’attitude du journaliste aujourd’hui ?



Pierre Ganz : Il faut certainement tenir compte des évolutions technologiques, inventer des formats qui répondent à des comportements inédits (faible capacité d’attention, usage de la vidéo, des textes courts etc…). Il faut prendre en compte les nouvelles habitudes de vie et de consommation de l’information. Mais il faut avoir conscience que ces outils accroissent comme jamais la diffusion et l’impact d’informations manipulées, par leur puissance et leur instantanéité, et parce qu’ils font appel davantage à l’émotion qu’à la connaissance et à l’analyse. Les journalistes doivent renforcer leur exigence professionnelle - car informer est un métier qui répond à des règles -  et travailler plus que jamais dans le seul intérêt du public. Le respect de la déontologie est la voie à suivre.


On voit se développer «un journalisme militant» partout dans les pays. Ceux qui l’exercent sont des activistes du net. Ils sont, soit manipulés sans le savoir, soit engagés pour des causes justes. Comment épargner le journaliste du piège de l’aliénation idéologique?



Pierre Ganz : Le journaliste peut avoir des convictions politiques ou philosophiques. Il peut être militant d’une cause  - la défense des minorités, l’égalité femmes/hommes, la protection de l’environnement etc.- mais ne peut être au service d’une faction. Il ne doit jamais perdre de vue que son travail est d’abord de rapporter les faits avec exactitude. Quel que soit son engagement, les faits établis contradictoirement l’emportent. Il doit prendre en considération ce qui va à l’encontre de ses convictions, savoir «penser contre soi-même».


Propos recueillis par A.S.Kemba

 


BIO EXPRESS


Journaliste depuis 1970, Pierre Ganz a démarré sa carrière à l’Ortf (Office de radio et de télévision française). De France Inter à Radio France international (Rfi) où il a passé la moitié de sa carrière, il reste «un fidèle convaincu» des règles déontologiques du métier. Il y a quelques années, Pierre Ganz a publié «les chroniques de déontologie», un recueil des textes fondés sur les pratiques et qui servent de guide pour imaginer les normes à mettre en place pour améliorer l’éthique professionnelle. Aujourd’hui, il travaille avec l’Upf (Union de la presse francophone) et l’Ong Actions Médias francophones (Amf) pour accompagner les institutions et structures nationales en charge de la presse à développer des outils de régulation pour faire respecter les règles déontologiques universellement partagées.


 

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